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Avec un marché qui a grimpé de 30 % en dix ans, le livre d’occasion est en pleine expansion. Un essor qui inquiète le monde du livre. Dans une tribune parue ce samedi dans le Monde, un collectif d’auteurs et autrices estime que la revente rapide de livres récents à prix cassé « est en train de cannibaliser en silence toute la chaîne du livre ». Face à cette problématique, certains acteurs du secteur réclament une rémunération des auteurs sur les ventes de livres d’occasion.
« Payer une taxe sur de l’occasion, hors de question »
« Payer une taxe sur de l’occasion, hors de question », tranche Yann-Claude, 50 ans, éducateur spécialisé. « Est-ce que les antiquaires paient une redevance aux designers quand ils vendent un objet d’occasion ? Pourquoi agir différemment pour les livres ? », s’interroge Marie-Francine, 69 ans, retraitée, qui achète des livres d’occasion « surtout pour la préservation des forêts » et qui y consacre un budget de 45 euros mensuel, « conséquent pour une retraitée ».
« J’achète des livres d’occasion, car j’ai une toute petite retraite, je ne suis pas prête à payer des droits d’auteur vu qu’ils ont déjà été payés au premier achat », abonde Irène, 57 ans, retraitée. Même son de cloche pour Isabelle, informaticienne : « Possédant de nombreux livres (plus d’une centaine) achetés neufs, j’ai déjà participé à la rémunération de cette branche, tout comme la personne à qui je rachète un livre… Je ne vois nullement la raison pour laquelle nous devrions payer une seconde fois. »
Nelson, 40 ans, rappelle le mécanisme « d’épuisement du droit », qui signifie que lorsqu’un auteur a autorisé la reproduction de son œuvre et sa commercialisation, il n’a plus la faculté de s’opposer à sa libre circulation, y compris sous forme de revente. « Revenir sur ce principe serait ouvrir la porte à une dérive (puis-je donner un livre que j’ai lu à un proche, lui prêter ?) qui ne trouverait sa justification que dans le manque à gagner des maisons d’édition », avertit-il.
« Saluer le travail des auteurs »
« Moi, je serai prête à donner quelques centimes de plus pour saluer le travail des auteurs ! », affirme Karine, 37 ans, technicienne laboratoire. Cette dernière « évite d’acheter neuf par souci environnemental » et assouvie sa passion « en empruntant des livres à la bibliothèque et à ses amis ». Et d’expliquer : « L’absence des droits d’auteur me pose problème dans le circuit de l’occasion, cela me semble injuste. Acheter neuf, c’est rémunérer l’auteur, certes, mais c’est continuer la déforestation… Bref, c’est un vrai conflit intérieur ! »
« Je suis prête à payer plus un livre d’occasion à condition que cette somme revienne uniquement aux auteurs. Mais la véritable problématique est celle de départ : sur un livre, la part de l’auteur n’est que de 8 % en moyenne, ce qui est ridicule quand ils sont le cœur de l’ouvrage et à l’origine de son existence. C’est peut-être au 92 % restants de revoir leur mode de calcul », estime Charlotte, 42 ans, employée.
« Je suis d’accord pour payer plus pour les auteurs, mais contre l’idée que cela profite également aux éditeurs. En effet, dans mon cas, les livres d’occasion que j’achète sont des livres que l’on ne trouve plus en librairie parce que les éditeurs refusent de les rééditer pour des raisons financières. Il est donc normal qu’ils ne profitent pas de ce réseau parallèle », témoigne Thierry, 60 ans.
« La rémunération des auteurs sur le marché du neuf »
« Et si l’on passait de 8-10 % de droits d’auteur actuellement à 16-20 % par exemple ? C’est une bonne piste à étudier n’est-ce pas ? », suggère Alexandre, 71 ans, retraité. « Si les instances pensent que les auteurs doivent être mieux rémunérés, cela doit être vu avec les éditeurs pas le lecteur ! », estime Sarah, 42 ans, greffier des services judiciaires, une dévoreuse de livres pour qui la lecture représente le second poste de dépense après son loyer.
« Les usages changent, entre le numérique et l’IA, et plutôt que de s’adapter et de proposer des solutions innovantes et orientées vers le lecteur et l’auteur, l’industrie du livre veut à tout prix protéger son modèle dépassé », pense Aymeline, 38 ans, assistante et « grande lectrice ».
Parmi les contributeurs à notre appel, un professionnel du livre d’occasion, Sylvain, 41 ans, codirigeant de Recyclivre, estime qu’il faudrait « s’attaquer au problème de la rémunération des auteurs sur le marché du neuf », ajoutant que « le sujet est un faux sujet remonté par les éditeurs qui refusent de rémunérer mieux les auteurs depuis de longues années. Depuis vingt ans, le volume de livres neufs vendus est en légère croissance et n’a jamais souffert du développement de l’occasion. Peut-on vraiment imaginer taxer des produits de seconde main qui permettent de limiter l’impact environnemental d’une filière qui jette 25 000 tonnes de livres au pilon chaque année ? »
« Collecter les centimes sur les braderies ? »
Les internautes sont également circonspects quant à l’application d’une rémunération des auteurs sur les livres d’occasion. « On va devoir payer combien de fonctionnaires pour collecter les centimes entre les particuliers sur les braderies ? », se demande Jean-Michel, 44 ans, CSP +. « Les associations et les bouquinistes ont un petit peu de mal déjà à s’en sortir, c’est peut-être pas la peine de leur rajouter d’autres contraintes administratives complexes », souligne encore Sophie.
« Seules devraient être taxées les stratégies de décote d’ouvrages encore neufs sur Internet », considère Laurent, 69 ans, retraité. Et d’offrir une belle conclusion : « Librairies, bouquinistes, bibliothèques… Quand on aime les livres, on déniche ce qui nous intéresse partout. »