Table of Contents
Les présidents sénégalais : une adhésion tardive à la démocratie malgré les coups d’État
Les Sénégalais considèrent souvent l’ascension de leur président actuel, Macky Sall, au pouvoir en 2012 comme un tournant dans l’histoire de leur pays. Cela a incarné les espoirs de la jeunesse rebelle contre la corruption et la dictature. Cependant, son potentiel départ du palais présidentiel ne sera pas aussi paisible que son entrée, car les manifestations de colère se propagent dans les rues de la capitale, Dakar.
Macky Sall a bénéficié de deux mandats successifs, totalisant environ 12 ans, au cours desquels il a côtoyé plusieurs présidents de la région. Il a vécu des élections, des coups d’État et des crises dans les pays voisins, tandis que des dirigeants comme son ami, l’ancien président mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz, se retrouvaient en prison. La transition d’une présidence à une autre a parfois plongé ces pays dans des crises politiques et ethniques.
Pendant 60 ans, le Sénégal a réussi à être une exception démocratique, malgré des périodes agitées, y compris une guerre séparatiste dans la région de Casamance. Cependant, les récentes crises politiques et constitutionnelles suscitent des inquiétudes quant à la stabilité du pays.
Un siècle et demi d’élections
La société sénégalaise possède une structure organisationnelle traditionnelle héritée des époques des royaumes et des leaderships locaux. Bien que la dictature et la répression aient été des méthodes courantes de gestion des relations entre chefs et suiveurs, la nation s’est dotée d’une organisation continue et stable.
Les Français ont initié les premières tentatives de construction démocratique sous une autorité coloniale « étrange de visage et de langue » en lançant les premières élections municipales en 1864, se limitant à seulement quatre municipalités dans tout le pays : Dakar, Gorée, Rufisque et Saint-Louis.
Les Sénégalais ont élu des conseillers municipaux et un député au Parlement français dès 1946, tout comme les habitants des colonies françaises en général. En 1960, avec l’indépendance du pays, l’ancrage colonial a pris fin, ouvrant la voie à de nouvelles institutions parlementaires et à l’élection d’un président de la République, plaçant ainsi le destin du pays entre les mains du politicien et écrivain, Léopold Sédar Senghor.
De Senghor à Sall
Senghor a exercé un contrôle absolu sur le pouvoir, la pensée et la culture au Sénégal, remodelant l’identité nationale dans ce pays à majorité musulmane. Pendant ses 18 années de règne, il a dirigé le pouvoir et la société de manière autocratique, soutenant un parti unique à travers l’Union nationale sénégalaise, créée en 1958 et renommée Parti socialiste en 1976, adoptant le slogan de l’Internationale socialiste. Il a ainsi ouvert la voie à la pluralité politique et mis fin au système du parti unique.
Le Sénégal a ensuite connu ses premières élections pluralistes en 1978, où Senghor a remporté plus de 80 % des voix contre son rival Abdoulaye Wade. Malgré les moments difficiles de son règne, marqués par des dissensions internes, Senghor a initié un processus de transition constitutionnelle après une tentative d’assassinat en 1974. Son successeur intelligent et imposant, Abdou Diouf, a pris le relais pour poursuivre la senghorisation théorique de la gouvernance et la gestion des relations.
Les années de Diouf ont été difficiles non seulement sur le plan de la démocratie sénégalaise, mais aussi sur le plan économique, avec une croissance des crises internes et externes. Sa défaite face à Abdoulaye Wade à la fin du siècle a marqué un énorme tournant économique pour le Sénégal, basé sur une agitation démocratique, mettant fin à son projet d’extension de son mandat au pouvoir. Son camarade, Macky Sall, a dû lui aussi abandonner l’idée de briguer un troisième mandat, après avoir été contraint par les manifestants à renoncer à cette ambition.
Au cours des 11 années de règne de Sall, de nombreux de ses adversaires ont été confrontés à la justice et à des peines de prison. Les tensions politiques et économiques du pays ont également contribué à sa chute à la fin de son mandat, inaugurant une ère de changements économiques majeurs sous la présidence d’Abdoulaye Wade.
Le lion démocratique : l’armée, la religion et les partis
Dans ce long processus tumultueux vers la démocratie dans un espace africain marqué par les coups d’État, le transfert pacifique du pouvoir au Sénégal a été soutenu par trois piliers fondamentaux :
-
Maîtrise de l’armée et démilitarisation : le Sénégal se distingue par la neutralité politique de son armée, sauvant ainsi la nation des coups d’État, à l’exception de la tentative de coup menée par l’ancien Premier ministre Mamadou Dia en 1962. L’armée sénégalaise n’a pas interféré dans la politique, en raison de la « clarté des missions de l’armée ».
-
Force des partis politiques et leur ancienneté : certains partis politiques au Sénégal ont une existence militante de plus de 80 ans, mais convaincre le public reste un défi. Malgré la présence de plus de 120 partis politiques, le pays continue à voir des coalitions émergentes et des luttes politiques constantes.
-
Rôle des confréries soufies : ces confréries jouent un rôle essentiel dans la stabilité du Sénégal, agissant comme des remparts contre la radicalisation et contribuant à gérer les questions religieuses. En plus de diriger les affaires religieuses, elles constituent un élément majeur pour maintenir la stabilité sociale.
- Société civile active : les dynamiques sociétales et diverses organisations, telles que les syndicats, les groupes de jeunes et les étudiants, ont joué un rôle important dans la consolidation de la transition pacifique du pouvoir et la lutte contre la répression. Ils ont contribué à renverser les trois présidents successifs après le départ de Senghor, en défiant sans cesse le pouvoir présidentiel.
Dans ce cadre, les Sénégalais continuent à évoluer dans une démocratie forte mais tumultueuse, marquée par des crises profondes et continues, tout en démontrant une grande capacité à gérer ces tensions au travers du judiciaire, des élections, et des réconciliations.