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Berne veut interdire l’adoption internationale, mais tant que la loi n’est pas votée, les couples oscillent entre espoir et résignation.
En bref :
– Le Conseil fédéral prévoit d’interdire l’adoption internationale en Suisse.
– Les abus dans les adoptions motivent ce projet controversé.
– Les cantons expriment des doutes quant au succès des demandes actuelles.
– Les opportunités d’adoption internationale sont déjà très limitées.
Pour les personnes qui espèrent de tout leur cœur adopter bientôt un enfant, l’annonce récente de Beat Jans a eu l’effet d’un coup de massue. Le chef du Département de justice et police (DFJP) a en effet déclaré que le Conseil fédéral souhaitait interdire l’adoption à l’étranger, pour éviter les abus.
Formellement, la loi est loin d’être votée. À ce stade, le DFJP est chargé de rédiger un projet de consultation, attendu autour de fin 2026. «Les réformes dans ce domaine doivent bénéficier d’un large soutien de la société», précise depuis Berne Ingrid Ryser, porte-parole du département fédéral. «Pour cela, il est important de disposer de recherches scientifiques solides. Après des travaux d’experts approfondis, le Conseil fédéral a maintenant lancé un débat de société.»
«Un projet lamentable»
Pascal Boegli, membre de l’association Dekthaiyim, qui réunit des parents ayant adopté des enfants de Thaïlande, est sous le choc. «Le projet du Conseil fédéral est lamentable, estime-t-il. D’abord parce que les irrégularités sont infimes. La volonté d’interdire démontre une incapacité – ou un manque de volonté – du département de Beat Jans à mettre les moyens humains pour assurer une étude rigoureuse de chaque dossier de demande d’adoption. Le nôtre, en 2004-2005, a été traité sérieusement, et notre procédure d’adoption s’est déroulée dans les règles, comme pour toutes les familles avec qui nous sommes en contact.»
Le sujet est sensible : à Berne, Ingrid Ryser répète qu’il ne s’agit pas de «critiquer les parents adoptifs actuels».
Le désarroi des candidats à l’adoption
Cette situation a découragé Nicolas Hernan et son conjoint de sauter le pas. «Le temps que notre cas soit enregistré, la loi sera votée, donc je pense que c’est voué à l’échec, regrette cet hôtelier vaudois. C’est très dur. Je comprends qu’il faille lutter contre le trafic d’enfants, mais il y a assez d’orphelins dans le monde qui méritent un foyer stable et aimant. J’en suis particulièrement conscient, puisque j’ai été moi-même adopté au Chili en 1990.»
De fait, l’adoption internationale est déjà fortement en baisse depuis la signature de la Convention de La Haye du 29 mai 1993 sur la protection des enfants et la coopération en la matière. Actuellement, une petite dizaine de pays le permettent encore en théorie, notamment le Vietnam, la Thaïlande, la Colombie, le Burkina Faso, l’Inde, la Roumanie, la République dominicaine, le Togo, et le Brésil. Mais dans les faits, rares sont les opportunités et l’attente peut durer plus de cinq ans. En Suisse, une trentaine d’enfants sont adoptés à l’international chaque année, contre un millier dans les années 80.
Une vingtaine d’orphelins par an en Suisse
À l’échelle du canton de Vaud, en 2024, trois enfants seulement sont arrivés sur le territoire dans le cadre d’une adoption internationale. Ils étaient trois aussi à Genève. Les chiffres sont équivalents à Neuchâtel et Fribourg. Les associations qui soutiennent les familles dans leur démarche, comme Espace A, constatent que le nombre d’adoption à l’étranger est devenu très faible ces dernières années.
Qu’en est-il des orphelins nés en Suisse ? Ils sont chaque année à peine une vingtaine à être adoptés, mentionne une brochure éditée par l’Office fédéral de la justice. Dans les cantons romands, cela fait entre zéro et deux enfants dans ce cas par an. Pas de quoi répondre à la demande.
Des enfants porteurs de handicap
Pour les personnes qui souhaitent tout de même ardemment adopter, les autorités précisent que cela pourrait être possible avec des enfants qui ne sont pas des nourrissons, sont plus âgés et parfois porteurs de handicaps. «Très peu d’enfants sont placés en adoption nationale mis à part des enfants polyhandicapés qui nécessitent une prise en charge soutenue, souvent possible uniquement dans des établissements professionnels de soins», précise Elodie Masson, à la DGEJ. «Les perspectives d’adopter un enfant de moins de 4 ans en bonne santé sont désormais infimes», conclut sans ambages le service dédié à Neuchâtel.
Une autre solution évoquée est celle de devenir famille d’accueil, car les besoins sont grands. Mais cela ne séduit pas forcément les personnes engagées dans un parcours d’adoption qui cherchent à avoir un enfant pour le long terme, si ce n’est pour la vie, alors que par définition, un placement est temporaire, même si certains se prolongent souvent.
Plus de PMA ?
Pour Nicolas Hernan, la future interdiction suisse est «hypocrite, parce que cela va pousser les couples à se tourner vers des solutions illégales chez nous, mais légales ailleurs, comme la procréation médicalement assistée (PMA) ou la gestation pour autrui (GPA). C’est une manière de fermer les yeux sur les problèmes des citoyens et, au final, c’est à nous de nous débrouiller tout seuls.»
D’autres pays que la Suisse ont décidé d’interdire progressivement les adoptions internationales à la suite de plusieurs scandales, notamment les Pays-Bas et le Danemark.