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Les conscrits américains, en attente de leur examen médical, se présentent tour à tour, torses nus, devant un médecin militaire. Cet examen joue un rôle crucial en déterminant qui est apte à servir et qui ne l’est pas. *«Le soldat doit avoir un organisme sain, robuste, bien constitué, capable de résister aux nombreuses causes de maladie en temps de paix et de supporter les privations, les fatigues, les intempéries en campagne»*, déclare le docteur Ernest Moreau-Defarges, médecin militaire durant la Première Guerre mondiale, dans un manuel de 1916.
Un passage obligé vers l’armée
L’examen médical représente un véritable rite de passage pour les hommes désireux de rejoindre l’armée. Au début du XXe siècle, en France et au Royaume-Uni, on estime que 60 à 80 % des recrues réussissent cet examen, ce qui le rend relativement sélectif. À l’époque, l’évaluation était principalement physique. Des conditions telles que le bégaiement, la myopie, les varices, les malformations du squelette et des maladies comme la tuberculose suffisaient à exclure un individu du service actif. Les personnes considérées comme contagieuses, malingres ou trop faibles étaient souvent jugées inaptes à servir dans l’armée.
Des enjeux psychologiques non pris en compte
Concernant les troubles mentaux, les afflictions nerveuses n’étaient pas systématiquement identifiées lors de l’examen médical. Ce n’est qu’après plusieurs années de conflits mécanisés, caractérisés par l’utilisation de gaz de combat et d’armes lourdes, que les séquelles psychologiques de la guerre ont commencé à être reconnues. Des vétérans revenaient avec des symptômes de ce qu’on appelait l’«obusite» (shell shock), engendrant des troubles de stress post-traumatique souvent irréversibles qui choquaient le corps médical.
Le psychologue américain Robert S. Woodworth, observant les convalescents, a réalisé qu’il était possible d’identifier, avant leur départ, les recrues susceptibles de développer de tels traumatismes. En 1917, il met au point le *Woodworth Personal Data Sheet*, un examen destiné à évaluer la «stabilité émotionnelle» des soldats.
116 questions, 30 mauvaises réponses
Considéré comme le premier test de personnalité de l’histoire, le questionnaire de Woodworth comprend 116 questions auxquelles les recrues doivent répondre par «oui» ou «non» en moins de quinze minutes. Les questions portent sur des sujets variés, allant des relations sociales à la condition physique, en passant par des antécédents médicaux.
Certaines questions, cependant, peuvent sembler surprenantes :
- #32. Étiez-vous considéré comme un mauvais garçon [ou une mauvaise fille]?
- #51. Vous êtes-vous déjà fait du mal en vous masturbant?
- #57. Avez-vous déjà eu l’impression que quelqu’un vous hypnotisait et vous faisait agir contre votre volonté?
- #59. Avez-vous parfois l’impression bizarre de ne plus être vous-même?
- #81. Avez-vous du mal à uriner en présence d’autres personnes?
- #83. Avez-vous parfois envie d’aller mettre le feu à quelque chose?
- #116. Supportez-vous les odeurs dégoûtantes?
Chaque réponse est notée, et un score est calculé. Les recrues idéales devraient obtenir un score proche de 10, tandis que celles jugées inaptes se situent généralement entre 30 et 40.
Bien que plus de mille recrues américaines aient été soumises à ce questionnaire, l’armistice est intervenu avant que Woodworth n’ait pu généraliser son système à l’ensemble des régiments. La période de l’entre-deux-guerres a alors servi de laboratoire pour divers tests psychologiques visant à évaluer l’intelligence ainsi que des traits de personnalité, en partie motivés par des politiques eugénistes.