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Nehar Jihoon : Un fleuve crucial en Asie centrale et ses enjeux

by Sara
Nehar Jihoon : Un fleuve crucial en Asie centrale et ses enjeux
Afghanistan, Kazakstan, Turkménistan, Ouzbékistan

Nehar Jihoon : un fleuve crucial en Asie centrale et ses enjeux

Au cœur de l’Asie centrale, là où les défis environnementaux et politiques s’entrelacent avec des intérêts économiques et géographiques, le fleuve Amou Daria, connu en arabe sous le nom de Nehar Jihoon, s’impose comme une ressource vitale partagée par quatre pays : l’Afghanistan, le Tadjikistan, le Turkménistan et l’Ouzbékistan. Ce fleuve se jette finalement dans la mer d’Aral, aujourd’hui menacée par la sécheresse.

Ce cours d’eau constitue un véritable artère de vie pour la région, alimentant l’agriculture et l’industrie tout en reflétant des problématiques complexes liées à la coopération internationale et à la gestion partagée des ressources hydriques.

Alors que l’Ouzbékistan dépend fortement des eaux de l’Amou Daria pour son secteur cotonnier, pilier de son économie, le Turkménistan utilise cette eau pour irriguer ses terres désertiques. De son côté, l’Afghanistan cherche à exploiter sa part d’eau via le projet ambitieux du canal Qosh Tepa, suscitant des inquiétudes régionales en l’absence d’un consensus régissant l’usage de cette ressource commune selon le droit international et local.

Afghanistan et la crise de l’eau

L’Afghanistan traverse une crise aiguë de pénurie d’eau, illustrée par des vers de poètes tels que Jalal al-Din Rumi évoquant une cruche pleine d’eau tandis que les lèvres restent sèches de soif. Malgré une superficie de plus de 650 000 km² et cinq bassins hydrographiques majeurs, le pays peine à satisfaire les besoins hydriques de sa population.

Les experts attribuent cette crise au fait que l’Afghanistan perd une grande partie de ses eaux à ses voisins, sans pouvoir bénéficier pleinement de sa part. Selon Riyad Darmal, spécialiste afghan des ressources hydriques, le pays ne dispose d’aucun accord de partage des eaux avec ses voisins, hormis l’Iran, ce qui le fragilise considérablement.

À cela s’ajoutent les effets des inondations récurrentes de l’Amou Daria, qui forme une frontière naturelle avec les pays d’Asie centrale. Selon Nasrullah Estankzi, ancien professeur à l’université de Kaboul, les rives afghanes ne sont pas protégées, ce qui entraîne un glissement des terres lors des crues sans que le pays puisse tirer profit de ces eaux.

L’importance des eaux de l’Amou Daria

Turkménistan

Le canal de Karakoum, vital pour l’approvisionnement en eau du Turkménistan, puise la majeure partie de ses eaux dans l’Amou Daria. Construit à l’époque soviétique pour lutter contre la sécheresse, ce canal de 1300 km irrigue environ un million d’hectares, notamment de cultures cotonnières.

Le Turkménistan, la région la plus sèche d’Asie centrale, subit les conséquences du contrôle afghan sur sa part d’eau. Le fleuve Murghab, qui traverse le pays, est également l’objet de tensions, car des barrages y ont été construits par le Turkménistan et l’Iran sans consultation de l’Afghanistan, partenaire essentiel dans la gestion de ces eaux.

Ouzbékistan

En Ouzbékistan, l’Amou Daria est une artère vitale pour l’agriculture, soutenant six provinces majeures et des cultures clés comme le coton et les céréales. L’eau du fleuve est essentielle pour l’irrigation avant que ses eaux ne rejoignent la mer d’Aral, dont la diminution continue est aggravée par l’utilisation intensive de l’eau.

L’Ouzbékistan a investi dans des infrastructures hydrauliques, notamment le barrage de Turbaliang, pour mieux gérer ces ressources.

Tadjikistan

Le Tadjikistan valorise les eaux de l’Amou Daria non seulement pour l’agriculture mais aussi pour la production énergétique. Le pays prévoit la construction de 14 nouvelles centrales hydroélectriques, totalisant une capacité de 4000 MW.

Parmi ces projets, la centrale de Dasht-i-Jum, qui devrait produire environ 15,6 milliards de kWh par an, est considérée comme un pilier des ambitions énergétiques renouvelables du pays.

Canal Qosh Tepa : projet ambitieux ou source de tensions ?

Depuis longtemps privée de sa juste part des eaux de l’Amou Daria, l’Afghanistan, sous le gouvernement taliban, initie le projet du canal Qosh Tepa, lancé au printemps 2022. Ce canal de 285 km de long, de 8,5 m de profondeur et 100 m de largeur moyenne, vise à irriguer 550 000 hectares dans les provinces de Balkh, Jowzjan et Faryab, renforçant ainsi la sécurité alimentaire et réduisant la dépendance aux importations dans un pays marqué par la pauvreté et l’instabilité.

Le projet devrait générer jusqu’à 200 000 emplois et accroître la production agricole de 30%, devenant un levier clé du développement économique.

Cependant, cette initiative, bien que légitime selon le droit international, suscite des inquiétudes fortes chez les pays en aval, notamment l’Ouzbékistan et le Turkménistan, qui dépendent respectivement de 42% et 35% du débit du fleuve pour leurs économies agricoles. L’Afghanistan utilise aujourd’hui moins de 10% du débit total, et le canal pourrait porter cette part à 15-20%, exacerbant ainsi les tensions potentielles.

Malgré le principe d’« usage équitable et raisonnable » inscrit dans la Convention des Nations unies de 1997, l’absence d’un consensus régional et de mécanismes clairs complique la gestion de cette ressource partagée.

Conséquences environnementales et économiques

Sur le plan environnemental, le projet Qosh Tepa suscite des craintes quant à l’avenir de la mer d’Aral, dont la superficie a été réduite à moins de 10% de sa taille initiale à cause de l’irrigation intensive. Les experts avertissent que ce canal pourrait réduire le débit annuel de l’Amou Daria de jusqu’à 10 milliards de m³, accélérant la disparition du lac, la désertification et la salinisation des sols dans le delta.

Le changement climatique aggrave encore la situation : les rapports des Nations unies prévoient une diminution de 30% des débits des rivières glaciaires d’ici 2050, rendant chaque goutte d’eau plus précieuse.

Sur le plan économique, le projet représente un espoir pour l’Afghanistan, avec une augmentation de la production agricole estimée à 200 millions de dollars par an dans les cinq ans. À l’inverse, l’Ouzbékistan pourrait subir des pertes jusqu’à 300 millions de dollars annuels, avec une baisse possible de 25% de la production cotonnière, tandis que le Turkménistan pourrait voir s’aggraver la crise alimentaire dans ses régions méridionales, où 70% de la population dépend de l’agriculture.

Tensions politiques et défis de coopération

Politiquement, cette crise révèle l’absence d’un cadre régional efficace pour la gestion de l’eau conforme aux normes internationales. Les anciens accords soviétiques, qui répartissent 85% des eaux de l’Amou Daria entre Ouzbékistan, Turkménistan et Tadjikistan, excluent de facto l’Afghanistan, en contradiction avec le principe de « non-nuisance grave » de la convention de 1997.

En novembre 2024, l’Ouzbékistan, ayant noué des relations diplomatiques avec les talibans depuis 2021, a mis en garde contre des « conséquences imprévues » si l’Afghanistan n’était pas intégré dans un dialogue sur l’eau. Le Turkménistan, lui, évite les confrontations publiques malgré un mécontentement interne.

Les talibans affirment exercer leur souveraineté conformément au droit international, mais leur isolement, les sanctions persistantes et l’absence de reconnaissance limitent leur capacité à négocier ou à attirer des investissements.

Selon Farid Hermand, chercheur en gestion de l’eau, les trois pays riverains ont signé en 1997 un accord excluant l’Afghanistan, sans effet légal sur les droits afghans. Il estime que la part minimale d’eau pour l’Afghanistan devrait être d’au moins 35%, compte tenu de la longueur de son territoire riverain.

Les inquiétudes quant au canal Qosh Tepa ont conduit les présidents du Tadjikistan, du Turkménistan et de l’Ouzbékistan à se réunir en urgence en août 2022 à Achgabat. Leur déclaration finale soulignait la nécessité d’améliorer les mécanismes multilatéraux face aux nouveaux défis, notamment liés au changement climatique et à la pression croissante sur les ressources hydriques.

Perspectives : coopération ou conflit ?

La société afghane de développement national a annoncé en décembre 2024 que la construction du canal Qosh Tepa était achevée à 81% dans sa deuxième phase. Selon le magazine britannique The Economist, la finalisation de ce projet pourrait déclencher des tensions régionales autour de l’utilisation des eaux de l’Amou Daria.

Le porte-parole du gouvernement intérimaire afghan, Zabihullah Mujahid, insiste sur le droit de l’Afghanistan à utiliser ces eaux, affirmant que « l’Émirat islamique n’a pas besoin de prélever de l’eau chez d’autres pays ». Il assure que les relations avec l’Ouzbékistan sont amicales et coopératives, notamment dans la reconstruction du pays.

Des experts rappellent que les conflits ayant marqué l’Afghanistan l’ont empêché de profiter de ses ressources hydriques et que le pays a le droit d’exploiter ces eaux via Qosh Tepa.

Hamidullah Yalani, ancien responsable des eaux afghanes, espère que l’Ouzbékistan respectera ce droit sans que ce projet ne génère de conflit. Najeebullah Sadid, expert en ressources hydriques, estime que le canal ne mobilisera que 8 à 10% du débit total.

Alors que l’achèvement du canal est prévu début 2026, la région fait face à plusieurs scénarios, dont un dialogue et une coopération régionale pour partager l’eau ou, à défaut, un risque accru de tension entre l’Afghanistan et ses voisins d’Asie centrale.

Le monde observe de près comment cette région, où s’entremêlent sécurité hydrique, stabilité politique et avenir environnemental, gèrera ce défi majeur.

source:https://www.aljazeera.net/politics/2025/4/17/%d9%87%d9%84-%d8%aa%d8%b5%d8%a8%d8%ad-%d8%a7%d9%84%d9%85%d9%8a%d8%a7%d9%87-%d8%b4%d8%b1%d8%a7%d8%b1%d8%a9-%d9%84%d9%84%d8%b5%d8%b1%d8%a7%d8%b9-%d8%a7%d9%84%d8%a5%d9%82%d9%84%d9%8a%d9%85%d9%8a

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