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Tensions croissantes entre l’Éthiopie et l’Érythrée : un risque de conflit imminent ?
La guerre dans la région du Tigré en Éthiopie en 2020 a marqué un sommet de coordination et de rapprochement entre l’Éthiopie et l’Érythrée. Néanmoins, les accords conclus à l’issue de ce conflit ont ouvert une nouvelle page dans leurs relations, caractérisée par une tension latente nourrie par de nombreux dossiers conflictuels.
Cette tension a pris une tournure ascendante ces derniers mois, avec la préparation des deux parties à un possible affrontement armé, des rassemblements militaires des deux côtés de la frontière, et l’annonce par le gouvernement érythréen d’une mobilisation générale.
Les moteurs de l’escalade
Les causes de cette tension entre l’Érythrée et l’Éthiopie s’articulent autour de trois cercles imbriqués :
- Les situations internes des deux pays : Pour le Premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed, cette montée des tensions avec l’Érythrée sert à détourner l’attention des crises économiques, sécuritaires et sociales internes. L’Éthiopie subit les conséquences économiques de la guerre au Tigré, tandis que de nombreuses régions comme l’Amhara et l’Oromia connaissent des troubles persistants. Parallèlement, la montée du discours ethnique attise les divisions depuis 2018. Du côté érythréen, ce climat de tension permet de repousser les défis nationaux attendus.
- Les enjeux régionaux et rivalités : Le différend entre la Somalie et l’Éthiopie, lié à la signature d’un protocole d’accord entre Addis-Abeba et la région sécessionniste de Somaliland, a redessiné la carte des alliances. Un triptyque formé en octobre 2024 par l’Égypte, l’Érythrée et la Somalie vise à contrebalancer l’influence éthiopienne dans la Corne de l’Afrique, suscitant l’inquiétude d’Addis-Abeba.
- L’ambition éthiopienne d’accéder à la mer Rouge via l’Érythrée : La revendication d’Abiy Ahmed d’un accès souverain au littoral maritime est au cœur de la crise actuelle. Ce projet ravive les blessures historiques liées à l’intégration forcée de l’Érythrée à l’Éthiopie en 1952, qui a déclenché une longue guerre d’indépendance. Certains courants nationalistes éthiopiens considèrent cette perte comme une erreur historique à corriger. Cette revendication est présentée comme un enjeu existentiel, et une priorité pour l’avenir économique du pays.
Un contexte régional complexe et fragile
Après des années de combats meurtriers, le gouvernement éthiopien et le Front de libération du peuple du Tigré (TPLF) ont signé en novembre 2022 l’accord de Pretoria, ouvrant une perspective de paix et de stabilité. Toutefois, l’Érythrée a adopté une position hostile à cet accord, perçu comme une « trahison » par certains de ses dirigeants.
Plusieurs facteurs expliquent cette opposition :
- L’accord permet la survie politique du TPLF, que l’Érythrée souhaitait voir dissous.
- Il officialise une coopération stratégique entre Addis-Abeba, le Tigré et Washington, que l’Érythrée perçoit avec méfiance.
- Il fragilise l’alliance entre le Premier ministre Abiy Ahmed et les milices nationalistes amhara, partenaires clés dans la guerre contre le TPLF.
À cela s’ajoute la question des territoires disputés entre l’Amhara et le Tigré, qui a exacerbé les tensions internes et contribué à aggraver la rivalité entre les factions.
Accusations mutuelles et montée des tensions
Plusieurs acteurs éthiopiens accusent l’Érythrée de soutenir les milices amhara engagées dans des combats sanglants contre les forces fédérales dans la région d’Amhara. L’Érythrée nie ces accusations, mais la situation a considérablement détérioré les relations bilatérales.
Par ailleurs, l’Érythrée est accusée d’héberger un faction dissidente du TPLF, dirigée par Debretsion Gebremichael, qui a récemment repris le contrôle de la capitale régionale Mekele, consolidant son influence sur une large partie de la région.
L’accord de Pretoria stipule le retrait de toutes les forces étrangères du Tigré, y compris l’armée érythréenne, une clause qui alimente également la tension entre les deux États.
Signes récents d’une escalade inquiétante
Plusieurs indices témoignent de la montée des tensions :
- L’Éthiopie héberge l’opposition érythréenne.
- La suspension des vols entre Addis-Abeba et Asmara.
- Des échanges virulents sur les réseaux sociaux.
- La saisie de navires azerbaïdjanais transportant du matériel militaire vers l’Éthiopie.
Les conséquences redoutées d’un conflit
Sur le plan humain, une guerre entre l’Éthiopie et l’Érythrée serait catastrophique, avec un nombre de victimes estimé entre 70 000 et 300 000, en se basant sur les expériences passées dans la région.
Politiquement, un conflit empêcherait toute avancée vers des réformes en Érythrée, affaiblirait l’économie fragile et accroîtrait la souffrance des populations, favorisant l’exode illégal.
En Éthiopie, cela accentuerait l’instabilité déjà profonde, menaçant l’intégrité étatique face aux violences dans des régions comme Oromia et Amhara.
Enfin, une guerre compromettrait la sécurité de la navigation en mer Rouge, une artère commerciale majeure, et bénéficierait probablement aux intérêts extérieurs qui cherchent à exploiter les divisions régionales, notamment dans les conflits au Soudan et au Somaliland.
Un conflit direct improbable malgré les tensions
Malgré les menaces belliqueuses, une confrontation militaire ouverte et étendue paraît peu probable :
- L’Éthiopie, déjà fragilisée par ses crises internes, n’a pas les capacités économiques et sécuritaires pour un nouveau conflit.
- L’Érythrée, adoptant une posture défensive, semble réticente à s’engager dans une guerre.
Le risque demeure toutefois élevé, et la gravité de la situation pourrait pousser à des initiatives diplomatiques régionales et internationales, impliquant des acteurs acceptés par les deux parties, pour favoriser un dialogue apaisé.
Cette démarche nécessite une coopération étroite, un soutien politique, économique et sécuritaire ainsi que des solutions innovantes pour régler des problématiques complexes, en vue d’assurer une paix durable et une coordination régionale efficace.
Face aux alternatives que sont la poursuite des tensions ou une guerre dévastatrice, la diplomatie reste la meilleure voie à privilégier.