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L’amour de la terre palestinienne dans la poésie d’Ibrahim Touqan
Les poètes de la Nakba palestinienne et des périodes qui ont suivi ont souvent fait de la terre arabe en Palestine une matière ardente dans leurs expériences poétiques. Ils en ont tiré la chaleur et l’ardeur, nourries par une révolution intense et une haine profonde envers les envahisseurs. Ibrahim Touqan, poète emblématique de la cause palestinienne, a, quant à lui, avant même la Nakba, élevé la terre sacrée au rang d’une valeur éclatante dans ses poèmes. Celle-ci constitue le centre passionné autour duquel gravitent ses œuvres nationales, riches en critiques réalistes cinglantes, en prophéties sincères et en un amour pur pour une Palestine menacée de disparition.
La terre, une valeur précieuse et un symbole multiple
Comment ne pas faire de la terre une valeur fondamentale quand on se tient sur un sol qui tremble de peur, menacé d’être arraché par des mains cupides ? Pour Ibrahim Touqan, la terre possède plusieurs significations selon les états poétiques qu’il exprime.
- La terre apparaît comme une valeur et un symbole dans de nombreux poèmes, assumant différentes fonctions poétiques et émotionnelles.
- Le mot « terre » revient à plusieurs reprises dans son œuvre, révélant son obsession intellectuelle et émotionnelle pour ce sujet.
- Chaque occurrence de « terre » diffère par son sens et son intensité selon le contexte poétique.
Cette diversité reflète la conscience élargie du poète face à la terre natale, ainsi que les différentes thématiques et sentiments qu’il explore dans ses poèmes, notamment la lutte acharnée qu’il mène dans les années 1930 et au-delà.
L’attachement profond à la nature palestinienne
Pour Ibrahim Touqan, la terre représente d’abord une valeur précieuse gravée au plus profond du cœur. Son amour sincère pour la nature palestinienne est manifeste dans plusieurs poèmes, où il évoque notamment la beauté du mont Ebal à Naplouse :
Mont qui, dans ses entrailles, garde une passion,
Près de devenir une maladie chronique,
Et une poésie jaillit de mon cœur bouillonnant,
Que j’offre claire à boire à ma patrie.
Son amour va jusqu’à l’extase mystique, imaginant porter les vallées et les sommets majestueux de Palestine dans son cœur et ses yeux :
Les ambassadeurs du matin, lumière et oiseaux,
Chantent dans les branches en berceuse,
La splendeur des vallées remplit les entrailles,
Et la beauté des montagnes remplit les yeux.
La terre-mère et l’union spirituelle avec ses enfants
La terre devient aussi une mère nourricière qui embrasse tendrement ses martyrs et tous ceux qui se sacrifient ou défendent sa pérennité. La relation entre l’homme et la terre est une fusion sincère, un amour terrestre profond unissant le corps humain aux particules de poussière :
Elle hébergeait ses terres en son sein,
Et devint comme un cœur avec ses côtes,
Ô patrie, dans ta terre repose ton maître,
Il aurait eu honte de vous vendre, vous ne l’avez pas fait.
À propos de l’union du martyr à la terre, il écrit :
Peut-être que la terre a inscrit, dépouillée de linceul,
Tu ignores si elle l’a caché ou enterré.
La terre comme arme de résistance et défi
Cette terre qui chérit ses enfants vivants et les accueille morts se transforme sous la plume de Touqan en un serpent venimeux crachant son venin aux envahisseurs. Le sang des fils versé sur son sol devient un breuvage ardent que les étrangers doivent boire :
Le lait de la terre déborda d’un venin âcre,
Et le sang coula, descendez et tenez-le,
Buvez-le pleinement, joyeusement,
C’est ainsi que boivent les loups errants.
Face aux envahisseurs, la terre arabe fertile devient un trésor de malheurs, renfermant de l’or à l’intérieur, mais cet or est teinté du jaune de la mort, avertissant ceux qui convoitent la terre :
Étrangers du pays, la Palestine est une terre dont les trésors sont des châtiments,
Son or est le jaune de la mort, prenez-le de ses enfants et partez.
La dénonciation des marchands de terre
Ibrahim Touqan consacre également une partie importante de sa poésie à la critique acerbe des marchands et vendeurs de terre. Ceux-ci sont dépeints comme des traîtres à leur patrie, vendant la terre sans scrupules. Le poète mêle satire et sarcasme pour les condamner :
Ne me blâme pas, j’ai vu tant de larmes fausses,
Riant de leurs pleurs,
Ceux qui vendent la terre l’ont arrosée de pleurs,
Que ses plaines et ses collines les maudissent.
Face à cette réalité, Touqan oscille entre la colère et la tentative de les conseiller :
Investissez dans l’argent, la terre est votre coffre-fort et sa base,
Achetez la terre, elle vous achètera de l’oppression, un sombre avenir arrive.
Il exhorte aussi :
Ô vendeur de terre, tu n’as pas prêté attention aux conséquences,
Tu ne sais pas que l’ennemi est trompeur.
Pense à ta mort dans la terre où tu as grandi,
Laisse à ta tombe une terre d’une longueur d’une coudée.
La nature refuse aux traîtres ses beautés
La terre semble même se désolidariser des fils indignes qui trahissent leur patrie. La nature refuse de leur offrir ses printemps et ses fleurs :
À qui appartient le printemps, son parfum, son air et ses fleurs magnifiques ?
La joie du printemps est pour celui qui a une terre, non pour celui qui vend.
Les héros fidèles et la mémoire des martyrs
En contraste avec les traîtres, Ibrahim Touqan rend hommage aux fidèles à leur terre. Il glorifie les martyrs qui ont sacrifié leur vie pour préserver cette terre arabe pure des envahisseurs. Dans son poème « Ô hommes du pays », il maudit les vendeurs et célèbre celui qui refuse de négocier sa terre, même au prix de sa vie :
Que Dieu bénisse celui qui fut fidèle à son pays,
Ils lui ont proposé le monde entier mais il a refusé,
Si on lui avait offert la valeur de sa terre en or,
Il aurait dit : Je défends ma terre.
Des poèmes emblématiques de la résistance palestinienne
La poésie d’Ibrahim Touqan regorge de récits de lutte inlassable pour la terre et la cause palestiniennes. Parmi ses œuvres les plus célèbres figurent :
- « Le mardi rouge »
- « Le martyr »
- « Le fedayin »
Ces poèmes, désormais populaires, incarnent la résistance populaire contre la colonisation la plus féroce jamais connue dans le monde arabe.
La terre blessée et l’appel aux poètes arabes
Un aspect marquant de l’œuvre de Touqan est sa peinture de la terre palestinienne comme une mère blessée, saignant, appelant ses enfants et proches à lui venir en aide. Il exprime sa frustration face aux poètes arabes, notamment égyptiens, qui écrivent sur les malheurs du monde mais oublient la Palestine meurtrie. Dans un poème destiné à Mahmoud Chawki, il exhorte à raviver l’esprit de lutte islamique palestinienne :
Fais halte à Hattin, et humilie-toi, ton cœur ne cesse de se briser,
Regarde là-bas, vois-tu les traces de (Youssef) en ce lieu ?
Réveille Saladin, maître de la couronne et de l’épée yéménite,
Et les chevaux ayyoubides hurlants se mettent en marche.
Dans un autre poème intitulé « Remontrance aux poètes d’Égypte », il critique avec humour :
Ils diront que cette terre est sacrée, alors pourquoi l’aurions-nous pour diable ?
Mais la Palestine est pleine de démons, humains et djinns ont péri.
La prophétie et la vision d’avenir
Ibrahim Touqan, en ressentant les blessures et les douleurs de la terre, perçoit la Nakba imminente. Son regard est pessimiste, même si teinté d’un appel à la vigilance. Il s’adresse aux Palestiniens, mêlant compassion et avertissement :
Ô fils du pays, toi qui es maître de ta terre et de ton ciel,
Je t’avertis avec inquiétude,
Regarde ta vie, te satisfait-il qu’une rose amère
Soit le flot incessant de l’exil ?
Dans son célèbre poème « Méthodes », il anticipe l’effondrement de la terre et du peuple :
Devant toi, ô Arabe, un jour
Dont l’horreur fera blanchir les mèches noires,
Demain, ni les palais spacieux ne resteront,
Ni les cabanes ne tiendront face à des jours périlleux et à leurs lourdes conséquences.
Quel avenir pour la terre défendue par Ibrahim Touqan ?
La passion et la lutte poétique d’Ibrahim Touqan pour la terre palestinienne soulèvent une interrogation essentielle : qu’est-il advenu de cette terre qu’il a défendue avec tant d’ardeur ? Sa prophétie s’est-elle réalisée ? La réponse, douloureuse, invite à une réflexion profonde sur la destinée de la Palestine et le rôle de la poésie dans la résistance.