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Un héritage renouvelé : une tradition apicole vivante
Au cœur des campagnes afghanes, où les vallées de Hérat s’étendent jusqu’aux champs de safran, la vie bourdonne dans les prairies de Balkh, Nangarhar et Takhar. Des sommets escarpés de Badakhchan aux plaines fertiles de Laghman, l’apiculture raconte une histoire de résilience.
Le miel, loin d’être un simple aliment, est surnommé « l’or doux » pour sa valeur vitale et son rôle de source de revenus pour des milliers de familles dans un pays marqué par des crises politiques, économiques et la réduction drastique de l’aide internationale.
Une renaissance portée par la demande croissante
L’apiculture a toujours été un pilier du patrimoine rural afghan. Ces dernières années, elle connaît une revitalisation grâce à une demande accrue de miel naturel et à des alternatives économiques durables.
De l’ouest à l’est, de Hérat à Nangarhar, en passant par Balkh, Badakhchan et Takhar, les apiculteurs s’efforcent de faire de ce métier une source économique capable de s’adapter aux bouleversements.
Musbah-ud-Din Musta’in, porte-parole du ministère de l’Agriculture, de l’Irrigation et des Ressources animales, indique que la production de miel a augmenté de 15 % en 2024, atteignant 2860 tonnes grâce à la distribution de 237 000 ruches et à des formations étendues dans plusieurs provinces. La production pour 2025 est estimée entre 2800 et 3000 tonnes.
Hérat : cœur de la production et porte du changement
Située à l’ouest, la province de Hérat bénéficie d’un climat tempéré et de ses célèbres champs de safran, produisant annuellement entre 200 et 250 tonnes de miel via environ 25 000 ruches.
Mohammad Yaser Jamshidi, apiculteur dans le district de Ghorian, explique : « J’ai commencé avec six ruches, aujourd’hui j’en possède 35 qui produisent 400 kg par an. La demande pour le miel de safran est élevée, mais le coût des ruches reste un obstacle. »
Fatima Ali Zada, jeune femme du district d’Injil, témoigne : « Après une formation organisée par le ministère, je gère désormais 20 ruches. Ce travail m’a offert une indépendance financière et un sentiment d’autonomie. »
Nangarhar : vallées fertiles et ambitions juvéniles
Dans l’est, Nangarhar se distingue par ses vallées riches en fleurs sauvages, offrant un environnement idéal pour l’apiculture.
Ahmed Miyakhil, revenu du Pakistan à Jalalabad, a investi ses économies dans l’achat de 10 ruches produisant 100 kg par an. Il déplore : « La sécheresse menace les fleurs, et le manque de formation limite notre capacité d’expansion. »
Malgré ces défis, Ahmed mène une initiative de formation pour apiculteurs. La province produit environ 150 tonnes par an grâce à 15 000 ruches, mais la faiblesse de l’emballage et l’absence de systèmes modernes de commercialisation freinent l’exportation.
Balkh : une ambition féminine au cœur des prairies
Au nord, Balkh offre un environnement propice à l’apiculture dans ses prairies agricoles fertiles. Zahra Mohammadi, une jeune femme de Mazar-i-Sharif, partage : « Après une formation, je gère 12 ruches qui produisent 120 kg de miel. »
Le nombre de ruches a augmenté de 30 %, apportant beaucoup d’espoir, bien que le financement reste un défi majeur. Zahra dirige une équipe féminine soutenue par des organisations locales. Balkh produit environ 180 tonnes annuellement via 18 000 ruches, avec des plans pour conquérir les marchés du Golfe.
Badakhchan : la qualité du miel dans les hauteurs montagneuses
Dans la province septentrionale de Badakhchan, les fleurs de montagne confèrent un goût unique au miel, mais les apiculteurs font face à d’importants défis climatiques.
Abdul Majid Badakh, de Feyzabad, raconte : « Je produis 150 kg avec 15 ruches, mais les fortes pluies de 2022 ont réduit la production de moitié. »
La production est passée de 113 tonnes en 2021 à 48 tonnes en 2022 avant de remonter progressivement à 70 tonnes en 2024 grâce à des formations et à la gestion d’environ 7 000 ruches. Toutefois, les routes montagneuses difficiles compliquent le transport et la commercialisation.
Laghman : un rêve d’expansion malgré la rareté des ressources
Dans la province orientale de Laghman, les fleurs sauvages constituent une source naturelle pour les abeilles, mais les défis logistiques freinent la croissance.
Sirajuddin Kakoozy, du district d’Alisheng, explique : « J’ai commencé avec deux ruches, aujourd’hui je possède 40 ruches produisant 600 kg par an. L’absence d’entrepôts de stockage limite notre développement. »
Il rêve de créer une coopérative de commercialisation à Kaboul et dans les pays du Golfe. Laghman produit environ 100 tonnes annuellement via 10 000 ruches.
Takhar : résilience face à la sécheresse
Dans les plaines de Takhar, malgré la sécheresse et la faible pluviométrie, les apiculteurs poursuivent leur activité.
Rahimullah, de Taloqan, déclare : « Je gère 20 ruches produisant 200 kg, mais la sécheresse a réduit la production de 30 %. »
Il fait partie d’une association locale regroupant 500 apiculteurs et gérant 12 000 ruches, avec une production annuelle de 75 tonnes, contre 107 tonnes en 2023.
Une partie du miel de Takhar est exportée vers le Golfe via le Pakistan, malgré les sanctions qui limitent l’expansion.
Carte de la production en chiffres
- 2019 : 2100 tonnes
- 2020 : 2490 tonnes
- 2023 : environ 2487 tonnes
- 2024 : 2860 tonnes
Les prévisions annoncent une croissance continue en 2025 avec :
- Hérat : 200-250 tonnes (25 000 ruches)
- Nangarhar : 150 tonnes (15 000 ruches)
- Balkh : 180 tonnes (18 000 ruches)
- Badakhchan : 70 tonnes (7 000 ruches)
- Laghman : 100 tonnes (10 000 ruches)
- Takhar : 75 tonnes (12 000 ruches)
Ce secteur vital emploie plus de 27 700 apiculteurs afghans, dont 652 femmes.
Un environnement unique face à des défis persistants
L’Afghanistan bénéficie d’un environnement idéal pour la production de miel naturel, allant du safran de Hérat aux fleurs de Badakhchan. Pourtant, plusieurs obstacles demeurent :
- Équipement insuffisant : le tri manuel affecte la qualité et augmente les coûts.
- Infrastructures faibles : absence de réseaux de transport modernes et de centres d’emballage limite l’accès aux marchés.
- Changements climatiques : sécheresse dans certaines provinces, pluies excessives dans d’autres perturbent les récoltes.
- Sanctions internationales : compliquent l’exportation vers l’Europe et le Golfe.
La jeunesse à la tête du changement
Malgré les difficultés, des initiatives locales menées par des jeunes et des femmes émergent :
- Fatima à Hérat dirige une équipe féminine.
- Ahmed à Nangarhar développe des formations pour apiculteurs.
- Zahra à Balkh conduit un mouvement féminin en apiculture.
- Abdul Majid à Badakhchan partage son savoir-faire.
- Siraj à Laghman projette une coopérative commerciale.
- Rahimullah à Takhar organise une association locale.
Ces initiatives, soutenues par des ONG et des programmes turcs, témoignent de la vitalité des communautés rurales et de leur capacité à surmonter les défis.
Une alternative stratégique au pavot
Depuis l’interdiction du pavot en 2022, qui a réduit sa culture de 95 % selon l’ONU, l’apiculture se présente comme une solution économique prometteuse, notamment dans les provinces de Nangarhar, Balkh, Laghman et Takhar.
Les agriculteurs de Hérat se tournent progressivement de la culture du pavot vers le safran et le miel, soutenus par des projets agricoles internationaux.
Des stratégies en cours de mise en œuvre
L’expert économique Abdul Wahid Nouri souligne que l’apiculture « contribue à réduire la dépendance à l’aide étrangère et crée des emplois locaux durables ».
Il recommande la création de centres modernes d’emballage à Hérat et Nangarhar, l’octroi de prêts avantageux aux apiculteurs et l’établissement de partenariats commerciaux avec les marchés du Golfe.
Musbah-ud-Din Musta’in annonce que le ministère prévoit d’ouvrir dix centres d’emballage d’ici 2026, ciblant les provinces à forte production pour renforcer les capacités d’exportation.
La ruche de l’espoir
Des montagnes de Badakhchan aux fermes de Balkh, des vallées de Nangarhar aux plaines de Takhar, les ruches symbolisent la persévérance des campagnes afghanes face aux conditions difficiles.
Plus que de simples lieux de production, elles incarnent l’espoir, la dignité et les opportunités. Les histoires de Fatima, Ahmed, Zahra, Abdul Majid, Siraj et Rahimullah illustrent un nouvel élan, né en pleine crise, qui laisse entrevoir un avenir construit sur l’effort local et le soutien international.