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Le Royaume-Uni, selon Eric Schmidt, ancien patron de Google, est confronté à un paradoxe : une multitude de freins pour dire non, mais une grande facilité à dire oui aux géants de la technologie. Ce constat soulève des critiques sur l’influence disproportionnée exercée par ces entreprises sur le gouvernement, notamment sous l’administration Labour, qui place la croissance économique au cœur de ses priorités.
Une présence dominante des géants américains de la tech
Lors d’un sommet sur les investissements en octobre dernier, Eric Schmidt s’est entretenu avec Keir Starmer, soulignant l’importance stratégique du secteur technologique pour le gouvernement britannique. Des acteurs majeurs tels que Google, Meta (dirigé par Mark Zuckerberg), Amazon, Apple, Microsoft, et Palantir, la société d’intelligence des données cofondée par Peter Thiel, sont largement implantés au Royaume-Uni.
Avec une capitalisation boursière combinée de plusieurs milliers de milliards d’euros, ces entreprises représentent des alliés incontournables pour toute politique axée sur la croissance.
Un ancien employé de l’une de ces grandes firmes explique que cette puissance économique facilite grandement l’accès aux couloirs du pouvoir à Whitehall : « Nous n’avons jamais eu de problème à circuler dans les ministères car nous pouvions prétendre créer des milliers d’emplois et générer des millions pour l’économie. Les gouvernements adorent annoncer des créations d’emplois », confie-t-il.
Renforcement des liens entre gouvernement et géants tech
Dans ce contexte, Peter Kyle, secrétaire chargé des technologies, a multiplié par près de 70 % ses rencontres avec des représentants du secteur technologique par rapport à sa prédécesseure, Michelle Donelan, avec en moyenne plus d’une réunion par semaine. Parmi ses interlocuteurs figurent régulièrement Google, Amazon, Meta et Apple.
Mais ce rapprochement suscite des inquiétudes, notamment de la part de UKAI, l’association professionnelle représentant l’industrie britannique de l’intelligence artificielle. Son directeur général, Tim Flagg, dénonce un déséquilibre flagrant :
- Quelques acteurs mondiaux influencent directement la politique du gouvernement,
- Tandis que des milliers d’autres entreprises composant le secteur de l’IA au Royaume-Uni peinent à se faire entendre,
- Or, selon lui, la croissance économique souhaitée par le gouvernement dépend justement de ces petites et moyennes entreprises.
Tim Flagg souligne que les géants de la tech disposent des moyens pour entretenir des relations politiques solides et concentrer leur influence à un niveau élevé.
Une influence amplifiée avant les élections et l’exemple du Tony Blair Institute
Un observateur des interactions entre le gouvernement et le secteur technologique confirme que les grandes firmes ont activé leurs ressources avant les dernières élections générales, leur permettant d’entretenir des relations établies dès la victoire écrasante du Labour.
Un autre évoque l’accès « phénoménal » du Tony Blair Institute à Downing Street. Ce think tank, financé par le milliardaire tech Larry Ellison, s’est imposé comme une voix majeure dans le débat sur la politique liée à l’intelligence artificielle, tout en affirmant conserver son indépendance intellectuelle.
Les réformes du droit d’auteur, un point de tension majeur
La tentative du gouvernement de réformer la législation sur le droit d’auteur illustre ce déséquilibre des rapports de force. Le projet ministériel viserait à permettre aux entreprises d’IA d’utiliser des œuvres protégées par le droit d’auteur sans obtenir de permission préalable, sauf si les détenteurs des droits choisissent de se retirer d’un tel dispositif d’« opt-out », dont les modalités restent floues.
Une source proche de Peter Kyle indique que cette option d’« opt-out » n’est plus privilégiée parmi les quatre scénarios proposés, mais la controverse a déjà causé de lourds dégâts. Cette réforme a suscité l’opposition unanime des figures majeures des industries créatives britanniques, allant de Paul McCartney à Dua Lipa en passant par Kazuo Ishiguro.
La pression médiatique portée par ces célébrités a transformé ce projet en un désastre en termes d’image publique. L’association des médias d’information, qui regroupe notamment le Guardian, ainsi que Google et OpenAI (créateur de ChatGPT), ont également exprimé leur désaccord avec ces propositions.
Un débat sur l’avenir de l’IA et la croissance économique
Pour le gouvernement, la tech est la clé de la croissance économique, avec l’intelligence artificielle en première ligne grâce à ses promesses d’amélioration spectaculaire de la productivité, critère fondamental d’efficacité économique.
Cependant, un ancien conseiller gouvernemental en politique technologique avertit que l’affaiblissement des droits d’auteur, souvent présenté comme une solution facile, n’est pas la panacée pour remporter la course à l’IA :
« Cette approche risque le pire des scénarios : détruire un secteur où le Royaume-Uni est mondialement reconnu tout en ne prenant pas les mesures nécessaires pour faire du pays une superpuissance de l’IA. »
Le ministère de la Science, de l’Innovation et de la Technologie défend ses fréquents échanges avec un secteur qui emploie 2 millions de personnes au Royaume-Uni, affirmant que ces interactions régulières avec les entreprises technologiques, quel que soit leur taille, sont essentielles pour stimuler la croissance économique.
Lors de son échange avec Eric Schmidt, Keir Starmer a résumé la philosophie gouvernementale actuelle : « La question clé pour toute politique sera désormais : cela favorise-t-il la croissance ou non ? » Si la tech est au cœur de cette stratégie, le débat sur le droit d’auteur a néanmoins érodé des relations précieuses avec d’autres secteurs.