Dans une décision sans précédent au niveau académique international, l’International Sociology Association (ISA) a annoncé cette semaine la suspension de l’adhésion de la Société israélienne de sociologie. Cette mesure a été officialisée par le comité exécutif de l’ISA lors de sa séance du 29 juin dernier.
Le texte de la décision souligne que l’ISA réaffirme sa position publique dénonçant le génocide des Palestiniens à Gaza et précise qu’elle ne maintient aucune relation avec les institutions publiques israéliennes. La suspension s’explique par le refus de la Société israélienne de sociologie de condamner clairement la situation tragique à Gaza.
- La décision est intervenue à l’approche du cinquième forum de sociologie organisé par l’ISA, prévu à Rabat, au Maroc, du 6 au 11 juillet.
- Elle fait suite à une déclaration de solidarité avec le peuple palestinien, publiée par l’ISA le 13 mai 2024, dans laquelle elle dénonçait le rôle central des universités et institutions israéliennes dans le maintien du système colonial et de l’apartheid, en lien avec les services secrets militaires, ainsi que dans la répression des savoirs et des écoles.
L’ISA appelle à la fin du génocide à Gaza, à l’arrêt de la violence en Cisjordanie ainsi qu’à la cessation complète de l’occupation militaire israélienne et de toutes pratiques coloniales sur ces territoires, y compris au Liban et en Syrie. Elle exige également la fin des conditions d’apartheid qui touchent les Palestiniens détenteurs de la citoyenneté israélienne, la garantie du retour des réfugiés dans des conditions dignes, et la libre circulation et accès sans entrave à l’aide humanitaire, souvent bloquée par le gouvernement israélien.
Enfin, l’association internationale défend la liberté académique et d’expression, en particulier pour les enseignants et étudiants qui critiquent les pratiques violentes du gouvernement israélien, que ce soit en Israël ou à l’étranger.
L’International Sociology Association, fondée en 1949 sous l’égide de l’UNESCO, regroupe plus de 167 pays membres. La Société israélienne de sociologie en a fait partie depuis 1967.
Sari Hanafi, professeur palestinien et ancien président de l’ISA, souligne dans un entretien que les mois précédents ont vu des tentatives pour qualifier la guerre à Gaza de génocide, pour reconnaître la nature coloniale et apartheid du conflit israélo-palestinien, et pour obtenir une prise de position claire en faveur du mouvement de Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS).
Malgré les résistances initiales, notamment à cause du blocage sur le volet BDS, la pression coordonnée notamment au Québec et au Maroc a permis d’amener la question devant le comité exécutif. Celui-ci a adopté la suspension avec une large majorité, conscient du risque de boycott du congrès mondial prévu à Rabat.
Hanafi estime cet aboutissement comme un progrès important, bien qu’il faille encore définir des critères clairs pour la participation individuelle et institutionnelle aux conférences internationales, exigeant le rejet de toute forme de colonialisme et la reconnaissance des droits nationaux palestiniens. Il anticipe aussi une probable décision collective lors du congrès d’éviter toute participation israélienne aux ateliers, qui seront au nombre d’environ 60 parallèlement sur six jours.
La préparation marocaine a clairement refusé d’accueillir toute délégation israélienne, une position essentielle face à l’expansion de la normalisation entre Israël et le Maroc.
Mabrouk Boutqouqa, anthropologue à l’université de Batna 1 en Algérie et membre arabe du comité exécutif de l’ISA, qualifie la suspension historique de la Société israélienne de sociologie de réponse à son silence face au génocide à Gaza et aux pratiques d’occupation. Il dénonce une double norme au sein de l’ISA, qui a suspendu immédiatement la société russe en réponse à la guerre en Ukraine, mais est restée hésitante face à l’agression israélienne.
Pour Boutqouqa, cette décision découle de pressions internes et externes accumulées, notamment après octobre 2023. Malgré deux déclarations de l’ISA condamnantes, il estime qu’elles étaient insuffisantes et appelait à une prise de position plus ferme, notamment vis-à-vis de la complicité supposée entre la Société israélienne et les autorités militaires et gouvernementales israéliennes.
Il plaide aussi pour des mesures plus radicales, incluant l’exclusion complète des Israéliens des activités de l’association, s’inspirant du rôle crucial que le boycott international a joué dans la chute de l’apartheid en Afrique du Sud.
Son objectif est d’exercer une pression accrue sur l’occupation israélienne afin d’arrêter le génocide, qui, selon lui, prend aussi des formes spatiales, scientifiques et épistémiques. Il espère que d’autres institutions à travers le monde adopteront cette orientation et que le mouvement de boycott prendra encore de l’ampleur.
Monir Saïdani, sociologue tunisien et ancien membre du comité exécutif de l’ISA, partage l’analyse d’un long processus ayant conduit à la suspension. Il évoque la mobilisation dès 2024 de sociologues arabes et internationaux sous la bannière « Sociologues mondiaux pour la Palestine ». Cette dynamique a été stimulée par l’Intifada armée lancée à Gaza en octobre 2023.
Saïdani souligne la complexité des procédures internes à l’ISA, où la commission des droits humains joue un rôle clé, gérant ces questions à partir d’une perspective scientifique et éthique. Il remarque aussi la montée en puissance des voix arabes au sein de l’association, avec l’accès à des postes importants dans les instances dirigeantes.
Parallèlement, la prise de conscience mondiale des violences israéliennes, qualifiées d’épuration ethnique et de famine, a renforcé l’engagement des chercheurs dans les sciences sociales contre ces atrocités.
Sur le forum de Rabat, un rejet clair de la participation israélienne s’est confirmé, appuyé par un appel de la campagne palestinienne de boycott académique (PACBI) exigeant des conditions strictes pour toute délégation israélienne, notamment une reconnaissance explicite des droits palestiniens et un refus des politiques de colonisation et d’expulsion.
Saïdani affirme que ce combat contre la normalisation reste central non seulement dans le milieu académique mais aussi dans la recherche scientifique en général. Il qualifie la suspension de la société israélienne de victoire majeure, obtenue malgré la résistance d’un courant pro-israélien au sein de l’ISA, marqué par des tendances eurocentristes et parfois colonialistes.
Il appelle à ce que d’autres associations scientifiques internationales emboîtent le pas, par des suspensions ou expulsions complètes, afin d’assurer la cohérence entre leurs principes affichés et leurs pratiques réelles, notamment en matière de droits humains et liberté académique.
Les universités israéliennes soutiennent le génocide
La Campagne palestinienne pour le boycott académique et culturel d’Israël (PACBI) a salué la décision de suspension de la Société israélienne de sociologie mais a appelé à aller plus loin en boycottant le forum prévu à Rabat. Dans un communiqué du 30 juin 2024, la PACBI déplore le silence et la complicité des universités israéliennes dans le génocide perpétré contre 2,3 millions de Gazaouis.
Elle félicite les chercheurs et activistes, notamment les membres de « Sociologues mondiaux pour la Palestine », dont la pression collective a imposé à l’ISA cette mesure de responsabilisation, bien que tardive, après plus de vingt mois d’exactions israéliennes.
Le communiqué souligne que les institutions académiques israéliennes ne se limitent plus à la non-condamnation mais soutiennent activement ces crimes de guerre, renforçant ainsi la nécessité d’un boycott académique et culturel strict.