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Peut-on imaginer la vie comme une vaste simulation, vécue à la fois comme un rêve doux et un cauchemar interminable, à la manière des univers de « Matrix » ? Et si, soudain, nous nous réveillions après avoir entrevu notre futur proche, tandis que le passé continue de marquer nos âmes et nos esprits ? Comment réagir dans cette situation ?
La romancière syrienne Yara Jalal soulève ces questions existentielles profondes dans son deuxième roman, Quand j’ai décidé de survivre, paru pour la première fois en 2025 aux éditions « Khawatir ».
Dans cette œuvre, elle utilise une blessure encore ouverte — le séisme de février 2022 — non seulement comme un repère temporel, mais aussi comme une métaphore puissante des tremblements intérieurs qui secouent l’âme humaine.
Adoptant un style d’écriture d’« écriture confessionnelle » honnête et dépouillé, le roman explore la fuite face à un traumatisme collectif pour plonger au cœur d’un autre choc personnel, offrant ainsi une voix littéraire prometteuse en pleine évolution.
Le séisme réel et psychologique
L’histoire se déroule sur 224 pages, sous les décombres d’une ville du sud de la Turquie. La protagoniste, Selina, attend l’arrivée de son amoureux venu d’Istanbul pour la sauver, dans une tentative d’échapper à un passé douloureux et à un avenir incertain.
Mais cette fuite des ruines matérielles la conduit peu à peu dans une prison vaste et complexe, où les relations toxiques se cachent derrière des slogans de peur, d’angoisse et de circonstances. Le premier bouée de sauvetage se transforme lentement en corde au cou.
Yara Jalal réussit habilement à relier la catastrophe collective du tremblement de terre, profondément ancrée dans la conscience syrienne et turque, à la secousse traumatique causée par des relations destructrices.
- Le roman avance une hypothèse douloureuse : les secousses du cœur trahi peuvent être aussi dévastatrices que celles de la terre.
- Dès les premières pages, l’autrice interpelle le lecteur en l’avertissant que le récit est réel, que ses personnages existent autour de nous.
- Elle invite à réveiller une mémoire aussi douloureuse que vivante, encourageant à poursuivre la lecture avec courage pour affronter sa propre réalité, à l’image de Selina.
Destin et libre arbitre face à la douleur
Le roman navigue avec finesse entre les questions philosophiques éternelles du destin et du libre arbitre. L’humain est-il prédestiné ou libre de ses choix ? Selina est-elle une victime d’un destin tracé ou peut-elle se battre pour changer son chemin ?
Plutôt que d’apporter des réponses toutes faites, Quand j’ai décidé de survivre utilise le parcours de sa héroïne pour réveiller en chacun des lecteurs des souvenirs enfouis et les défie d’affronter leur passé avec la même bravoure que celle exigée de Selina.
Cette connexion émotionnelle profonde, ancrée dans la symbolique du séisme, plonge particulièrement le lecteur syrien dans une immersion intense, quel que soit son jugement ultérieur sur les détails de l’intrigue.
Le mot « séisme » n’est plus un simple terme géologique, mais un cauchemar collectif — une double épreuve vécue par Selina.
Entre sincérité du témoignage et techniques narratives
La force de Quand j’ai décidé de survivre réside dans sa sincérité poignante. Le style confessionnel adopté par Yara crée un lien intime entre le lecteur et Selina.
- Nous ne sommes pas de simples observateurs, mais des complices qui partagent ses secrets dans sa quête de sécurité.
- On accompagne sa fuite face au deuil et son combat dans une prison dissimulée sous des promesses illusoires.
Cette franchise brute constitue le cœur émotionnel du roman, le rendant proche du lecteur et profondément touchant.
Cependant, cette émotion intense entraîne parfois un écart par rapport à la progression narrative. Par moments, le style se pare de longues confessions qui ne servent pas toujours l’intrigue, risquant de perturber l’immersion créée avec soin.
Un accent plus marqué sur les luttes intérieures fines — comme un simple regard sur le visage de Selina face à la résistance à la volonté de son mari, ou une description plus détaillée des œuvres artistiques qui entourent sa souffrance silencieuse — aurait pu ajouter une profondeur psychologique accrue.
Par ailleurs, le dénouement du roman, moment de révélation de la vérité, semble un peu simpliste, proposant une solution trop facile en regard des complexités du passé lourd de la protagoniste et de ses responsabilités.
La voix des ruines
Cependant, ces critiques ne diminuent en rien l’impact global de l’œuvre. Quand j’ai décidé de survivre marque une étape importante pour une auteure qui s’affirme dans le monde littéraire avec assurance.
Yara Jalal façonne une voix qui parle à une génération marquée par la perte, une voix porte-parole de cette souffrance.
Dans un monde où les crises dominent souvent l’art, la persévérance d’écrivaines comme elle témoigne du pouvoir thérapeutique de la littérature.
Finalement, ce livre affirme qu’après les séismes les plus violents, il existe toujours une voie pour reconstruire nos histoires.
Continuer à écrire devient ainsi un acte de survie, espérant que tous les Syriens puissent un jour sortir du séisme du désespoir et de la douleur qui a accompagné leur vie ces dernières années.