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Ils s’appelaient Kathleen, Mary ou Joseph. Depuis près d’un siècle, ils gisaient en silence mais sans repos sous un carré d’herbe, cerclé par les mornes lotissements de Tuam dans l’ouest de l’Irlande. Leur souvenir travaillait bien quelques anciens du coin. Hantés par l’horreur des lieux, certains avaient même déposé une petite statuette de la Vierge Marie il y a des années de cela. Depuis, la figurine était la seule à accorder un regard à ces 796 nouveau-nés, enterrés sans la moindre sépulture.
Début des exhumations
Archéologues, anthropologues, experts médico-légaux… Ce lundi 14 juillet met un terme à ce secret de polichinelle. Une équipe de 18 personnes venues du Royaume-Uni, d’Espagne, des États-Unis, d’Australie ou encore de Colombie entame les premières exhumations du site, après avoir bouclé le périmètre mi-juin. 5 000 mètres carrés de terrain à passer au peigne fin, à la recherche des enfants oubliés du foyer St. Mary des « Sœurs du bon secours ».
Un passé troublant
Au siècle dernier, dans une Irlande au catholicisme profondément enraciné, c’est ici que l’on cachait les « femmes perdues ». Celles dont la grossesse, survenue hors mariage, dérangeait. Derrière les murs aujourd’hui disparus de ce bâtiment gris, autrefois géré par les ordres religieux avec l’aval de l’État, des centaines de mères – parfois à peine âgées de 14 ans – ont accouché entre 1925 et 1960. Un nombre effarant de bébés, jamais baptisés, sont décédés.
Les causes sont multiples : certains seraient morts des suites de maladies, d’autres auraient rendu l’âme à la naissance. Quelques-uns auraient aussi succombé de malnutrition. C’est une historienne locale, Catherine Corless, qui la première s’est interrogée devant cette mortalité étonnamment élevée. Elle a mené un décompte vertigineux des victimes et s’est posé une question fondamentale : mais où sont-elles toutes inhumées ?
Une découverte macabre
Pendant plus de dix ans, la réponse macabre la rongera : les sœurs alignaient les corps dans l’ancienne fosse septique du foyer. En 2014, ses recherches provoquent une onde de choc. « Il n’y avait aucun registre d’enterrement, pas de cimetière, pas de statue, pas de croix, absolument rien », souligne cette Irlandaise de 71 ans. Pourtant, les autorités resteront longtemps indifférentes à ses révélations. « Personne ne voulait écouter », déplore-t-elle, suppliant : « Sortez ces bébés de ces égouts, offrez-leur l’enterrement chrétien digne qu’on leur a refusé ! »
Des avancées tardives
Les choses ne bougent qu’en 2021, lorsqu’une commission d’enquête nationale sur les maltraitances infligées dans ces foyers souligne des niveaux de mortalité infantile « alarmants » dans ces institutions. Les chiffres sont accablants : entre 1922 et 1998, 56 000 femmes célibataires seraient passées par 18 de ces établissements, et 9 000 enfants y seraient morts. Anna Corrigan, une Irlandaise dont deux frères seraient enterrés à Tuam, dénonce : « Il a été nié à ces enfants le moindre droit humain durant leur vie, ainsi qu’à leurs mères, et on les a privés de dignité et de respect dans la mort. »
Une tâche complexe
Pour l’équipe de spécialistes en charge des fouilles, la tâche s’annonce fastidieuse. Leur objectif : retrouver, analyser, identifier si possible et inhumer dignement les restes des enfants. Des échantillons d’ADN ont été collectés auprès d’une trentaine de proches, un processus qui doit être élargi dans les mois à venir afin de rassembler autant de preuves génétiques que possible. Au total, les recherches devraient prendre deux longues années. 730 jours. Un chiffre toujours moins élevé que le nombre d’enfants oubliés sur les lieux et à qui il convient désormais de rendre hommage.