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Les récentes déclarations du commandant des Forces démocratiques syriennes (QSD), Mazloum Abdi, ont ravivé l’attention sur le dialogue entre les QSD et le gouvernement syrien, à l’approche d’une réunion attendue à Paris sous l’égide conjointe de la France et des États-Unis. Cette rencontre, qui se tiendra dans les prochains jours, vise à discuter des mécanismes d’application de l’accord de cessez-le-feu signé le 10 mars dernier à Damas. Parallèlement, l’émissaire américain pour la Syrie, Tom Barrett, a salué sur la plateforme X la coopération américano-française dans les efforts de réintégration des QSD au sein d’une Syrie unifiée.
Tensions accrues à Manbij et autour de Maskana
Une escalade militaire limitée a récemment opposé les forces dans la région rurale de Manbij et dans les environs de la ville de Maskana, dans la province d’Alep. Cette montée des tensions survient après plusieurs mois de calme relatif instauré par l’accord de cessez-le-feu. Selon le ministère de la Défense syrien, l’armée a repoussé une tentative d’infiltration de combattants des QSD près du village d’Al-Kayariya, en ripostant précisément aux sources de tirs.
Le bilan des affrontements, relayé par l’agence de presse officielle syrienne (SANA), fait état de sept blessés, dont quatre civils et trois militaires. En réponse, les QSD ont rejeté ce récit, affirmant dans un communiqué que leur intervention constituait un droit légitime de « défense et riposte » face aux provocations persistantes de factions non contrôlées affiliées aux forces gouvernementales syriennes. Elles ont également appelé au respect de la trêve en vigueur.
Face à cette tension, Tom Barrett a exprimé la préoccupation des États-Unis, notamment au sujet des situations à Manbij et à Soueïda. Il a insisté sur le fait que la diplomatie demeure la meilleure voie pour stopper la violence et parvenir à une solution pacifique et durable, exhortant toutes les parties à privilégier le dialogue plutôt que le conflit.
Des obstacles persistants au dialogue
Malgré les initiatives renouvelées en faveur du dialogue, les complexités liées au dossier kurde ainsi que les divergences d’intérêts régionaux et internationaux continuent d’entraver l’établissement d’un accord définitif. Mazloum Abdi a confirmé que la réunion à Paris abordera concrètement la mise en œuvre de l’accord signé en mars, tout en soulignant que la porte reste ouverte aux discussions avec Damas, et que seule une solution politique est viable pour résoudre la crise syrienne.
L’universitaire Samer Abdallah estime que l’essentiel réside dans le contenu des discussions plutôt que dans leur simple tenue. Il critique l’accord de mars pour sa limitation aux principes généraux, sans avancer sur les détails techniques nécessaires pour un véritable progrès. Selon lui, la France tente d’accroître son influence en soutenant les QSD face aux pressions turques, tandis que la position américaine semble plus conciliatrice vis-à-vis des inquiétudes turques et du gouvernement transitoire syrien, sans pour autant aboutir à des résultats concrets.
Il anticipe que la réunion parisienne n’aboutira pas à des percées majeures, mais pourrait permettre des compromis partiels, laissant cependant en suspens les questions épineuses telles que l’intégration des forces et la décentralisation. Paris et Washington cherchent avant tout à éviter un affrontement direct entre les parties, craignant que des groupes extrémistes comme l’État islamique n’exploitent le chaos pour semer le trouble dans la région.
La décentralisation au cœur des débats
Le chercheur Walid Jouli, du centre d’études Euphrate, considère que le modèle centralisé a échoué en Syrie. Il souligne que l’absence de consensus sur le type de décentralisation à adopter bloque toute avancée. Il qualifie le discours de Mazloum Abdi de réaliste, appelant à une coopération nationale pour former un État unifié. Il voit dans la rencontre parisienne une opportunité importante pour débattre des modalités de décentralisation et d’intégration, mais précise que les résultats nécessitent du temps pour mûrir.
Parallèlement, des figures politiques et culturelles syriennes manifestent leur inquiétude face au concept de décentralisation proposé, qu’elles perçoivent comme une menace à la souveraineté syrienne. Le politologue Bassam Soussan, proche des cercles décisionnels à Damas, décrit les déclarations officielles comme positives en apparence, mais suspecte qu’elles cachent des intentions fédéralistes. Il s’interroge sur la portée réelle de la décentralisation envisagée : concerne-t-elle uniquement les institutions non souveraines, ou englobe-t-elle l’ensemble de la région de l’Al-Jazira (Hassaké, Deir ez-Zor, Raqqa) ?
Soussan remet également en question les chiffres avancés concernant les effectifs des QSD, qualifiant l’estimation de 100 000 combattants de surestimée. Il prévoit que leur intégration dans les institutions étatiques prendra beaucoup de temps. Il questionne enfin les garanties constitutionnelles qui seraient nécessaires, à l’image de celles accordées aux Peshmergas au Kurdistan irakien, bénéficiant d’une structure indépendante malgré leur rattachement officiel à l’armée irakienne.
De leur côté, les autorités autonomes du nord de la Syrie craignent qu’un éventuel accord avec Damas ne serve à réimposer un modèle étatique centralisé rigide.
Trois scénarios pour l’avenir
Bassam Saïd Ishaq, membre de la délégation du Conseil démocratique syrien à Washington, considère que l’avenir des relations entre Damas et les QSD dépendra des accords internationaux. Il évoque trois scénarios possibles :
- Une décentralisation accordant des rôles à l’administration autonome en échange d’une intégration partielle des forces dans la structure étatique, avec des garanties internationales assurant la non-monopolisation des décisions.
- Le maintien du statu quo sans solution définitive, accompagné de compromis temporaires sur le terrain, plongeant toutes les parties dans un long processus d’usure mutuelle et de partage flou de la souveraineté.
- Une autonomie locale préservée pour les QSD, tandis que Damas conserve les prérogatives nationales et sécuritaires selon des arrangements acceptables pour la Turquie, incluant un partage transparent des ressources garanti par la communauté internationale.
Il appelle Damas à faire preuve de plus de souplesse dans la gestion de la diversité et à instaurer une stabilité rassurante pour les minorités, dans un contexte marqué par une perte de confiance après les événements à Soueïda et sur la côte syrienne.
Dialogue ou simple trêve prolongée ?
À la question de savoir si le dialogue actuel ouvre la voie à un accord politique global ou s’il ne constitue qu’une tentative de repousser les affrontements, l’activiste politique Baraa Sabri affirme que ces rencontres représentent une opportunité pour une solution pérenne au bénéfice de la Syrie. Il souligne cependant que chaque camp cherche à préserver ses propres acquis selon des logiques différentes : Damas souhaite un rétablissement de l’ordre basé sur le principe de la « prise de contrôle et de la remise », tandis que les QSD visent à remodeler la structure administrative du pays pour garantir leur influence.
Entre négociations et désescalade, l’avenir des relations entre les parties reste conditionné par des accords politiques clairs, reconnaissant les nouvelles réalités sur le terrain et évitant les démarches unilatérales ou l’exclusion d’un partenariat national.