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Meurtres au Canada : appel pour classer le gang Bishnoi terroriste

by Sara
Meurtres au Canada : appel pour classer le gang Bishnoi terroriste
Canada, Inde

Un matin de printemps frais à Brampton, dans la province ontarienne du Canada, en mai, Harjit Singh Dhadda nouait avec soin son turban vert sauge traditionnel avant de partir travailler. Il embrassa sa fille Gurleen avant de se rendre à son bureau d’assurance pour le secteur du transport routier à Mississauga, près de l’aéroport international Pearson de Toronto.

Ce fut la dernière fois que Gurleen vit son père âgé de 51 ans en vie. Alors qu’Harjit atteignait le parking de son bureau le 14 mai, deux hommes l’abordèrent. L’un d’eux tira plusieurs balles dans son corps avant de s’enfuir à bord d’une Dodge Challenger 2018 volée. Harjit succomba plus tard à ses blessures à l’hôpital local.

Quelques heures après le meurtre, deux hommes revendiquèrent la responsabilité de l’assassinat sur Facebook, se présentant comme membres du gang criminel dirigé par Lawrence Bishnoi, un Indien détenu à la prison centrale de Sabarmati, dans l’État du Gujarat, à l’ouest de l’Inde.

Un mois à peine après ce drame, deux autres hommes d’affaires d’origine indienne, installés à Surrey en Colombie-Britannique et dans la même ville d’Harjit, furent également abattus. Les autorités locales dénoncent une inquiétante expansion des réseaux criminels indiens sur le sol canadien, menée par le gang Bishnoi, le syndicat du crime organisé le plus notoire de l’Inde.

Face à cette escalade, un nombre croissant de responsables politiques canadiens exigent que le gouvernement fédéral classe le gang Bishnoi comme organisation terroriste.

La sécurité publique avant tout

« La désignation terroriste permet à la police d’utiliser les outils nécessaires pour enquêter et mettre fin à cette activité. Elle confère aux forces de l’ordre des moyens d’investigation significatifs », a déclaré David Eby, Premier ministre de la Colombie-Britannique, le 17 juin.

En juillet, Daniel Smith, son homologue de l’Alberta, a repris cet appel : « La désignation formelle du gang Bishnoi comme entité terroriste débloquera des pouvoirs cruciaux. Cela permettra aux forces de l’ordre d’avoir accès aux ressources indispensables pour perturber leurs opérations et protéger efficacement nos citoyens. »

Mike Ellis, ministre de la Sécurité publique de l’Alberta, a souligné qu’il existait des renseignements crédibles reliant le gang Bishnoi à des actes d’extorsion et de violence ciblée en Alberta et ailleurs au Canada. « Ce gang est originaire d’Inde et les enquêtes sont en cours pour comprendre pourquoi ils ciblent spécifiquement la communauté sud-asiatique », a-t-il confié.

Des élus tels que Jody Toor, député conservateur en Colombie-Britannique, et Patrick Brown, maire de Brampton, soutiennent également cette démarche de désignation terroriste.

Le gouvernement fédéral canadien examine ces demandes. Ruby Sahota, secrétaire d’État à la lutte contre la criminalité, a affirmé : « Il existe un précédent pour que des organisations criminelles soient désignées ainsi, et j’appuie une approche rigoureuse fondée sur des preuves. La sécurité publique doit passer en premier, et si un groupe remplit les critères, il doit être inscrit sans délai. »

Une organisation aux pouvoirs accrus en cas de désignation

Amarnath Amarasingam, chercheur en extrémisme à l’Université Queen’s de l’Ontario, explique que classer le gang Bishnoi comme organisation terroriste augmenterait considérablement les pouvoirs des forces de l’ordre. Cela leur permettrait notamment :

  • De poursuivre des charges liées au terrorisme,
  • De criminaliser le recrutement et le soutien financier en faveur du groupe,
  • D’effectuer la saisie et le gel des avoirs,
  • Et d’accroître les capacités de surveillance.

En 2024, des responsables canadiens ont accusé le gang Bishnoi d’agir sur ordre des services de renseignement indiens pour cibler des opposants au gouvernement indien sur le sol canadien.

« Une désignation terroriste enverrait un signal fort à l’Inde et à d’autres alliés que le Canada prend la menace transnationale au sérieux », poursuit Amarasingam. Cette classification ouvrirait également la voie à un meilleur partage d’informations avec des partenaires internationaux comme l’alliance des Five Eyes (États-Unis, Royaume-Uni, Australie et Nouvelle-Zélande).

Elle renforcerait aussi les demandes canadiennes d’arrestations via Interpol et permettrait d’imposer des sanctions telles que des interdictions de voyage, des refus de visa, ainsi que le gel des avoirs des associés et financeurs du gang.

Cependant, le chercheur met en garde contre certains risques. Bien que ce groupe soit clairement impliqué dans le crime organisé, il ne semble pas animé par des objectifs politiques, religieux ou idéologiques, critères traditionnels pour un classement terroriste.

« Employer les pouvoirs liés au terrorisme contre un groupe dépourvu de ces motivations pourrait affaiblir la crédibilité du processus canadien de désignation et ouvrir la porte à des usages politiques abusifs à l’avenir », souligne-t-il.

Un groupe criminel lié aux services de renseignement indiens ?

Selon les autorités canadiennes, le gang Bishnoi n’est pas un syndicat criminel ordinaire. Ces dernières années, le gouvernement indien du Premier ministre Narendra Modi a fait face à des accusations d’assassinats ciblés de séparatistes sikhs à l’étranger, notamment au Canada et aux États-Unis.

Le Canada abrite environ 770 000 Sikhs, soit 2,1 % de sa population – la plus grande diaspora sikhe hors d’Inde. Beaucoup ont émigré dans les années 1980, après la répression sanglante lancée par les forces indiennes contre les partisans du mouvement séparatiste du Khalistan, visant à créer un État sikh indépendant dans le Pendjab, dans le nord de l’Inde. L’Inde qualifie ces séparatistes de « terroristes ».

L’assassinat du séparatiste sikh Hardeep Singh Nijjar, 45 ans, en juin 2023, est à l’origine d’une crise diplomatique majeure entre le Canada et l’Inde. Trudeau a affirmé que des diplomates indiens recueillaient des renseignements sur des Canadiens critiques envers le gouvernement Modi, lesquels seraient transmis à des groupes criminels comme le gang Bishnoi pour commettre des violences au Canada.

Le gouvernement indien rejette ces accusations tout en affirmant avoir envoyé plus de vingt demandes d’extradition à Ottawa pour obtenir la remise de membres du gang Bishnoi en vue de poursuites judiciaires. Le Canada n’a, selon New Delhi, pas donné suite à ces requêtes.

Au cœur de cette tension, les communautés d’origine indienne au Canada vivent dans une inquiétude croissante face à la menace du gang Bishnoi.

Une vie menacée et des attentats ciblés

Harjit, entrepreneur sikh, avait bâti au fil de trente ans une réussite à l’image du rêve canadien. Fondateur de G&G Trucking Solutions, une société de conseil pour le secteur du transport routier et courtier en assurances commerciales, il avait étendu son activité à Calgary et Edmonton, en Alberta, avec près de 30 employés.

Le 10 décembre 2023, jour de son anniversaire, il reçut un appel d’un homme se présentant comme un gangster indien. Celui-ci exigea 500 000 dollars canadiens d’extorsion, menaçant de graves conséquences en cas de refus. Harjit refusa et alerta les autorités.

Après ce coup de fil, il modifia ses habitudes et travailla principalement depuis chez lui, avant de reprendre finalement ses rendez-vous au bureau. Le 14 mai, un appel de son bureau annonça qu’il avait été abattu.

Trois hommes, Aman (21 ans), Digvijay (21 ans) et Shaheel (22 ans), furent arrêtés, mais la famille d’Harjit estime que l’enquête n’a fait qu’effleurer la vérité. Pendant ce temps, deux hommes s’attribuant l’acte au nom du gang Bishnoi publiaient sur Facebook une revendication, accusant à tort Harjit d’avoir aidé un gang rival et d’être impliqué dans un meurtre en Inde.

Le 12 juin 2025, un autre homme d’affaires d’origine indienne, Satwinder Sharma, fut abattu à Surrey, en Colombie-Britannique. Le gangster Jiwan Fauji, lié à une organisation khalistan interdit, revendiqua le meurtre.

Quelques jours plus tard, le 20 juin, MP Dhanoa, entrepreneur basé à Brampton, fut lui aussi abattu. Là encore, la revendication fut postée sur Facebook au nom du gang Bishnoi.

Ni Harjit, ni Sharma, ni Dhanoa n’avaient de lien connu avec le mouvement khalistan.

Lawrence Bishnoi, au-delà de son réseau criminel, s’est présenté dans des interviews comme un nationaliste hindou depuis sa prison. Certains soutiens du gouvernement indien dirigé par le BJP de Narendra Modi évoquent la crainte qu’il inspire aux partisans du Khalistan.

Une ascension vers la notoriété

Les autorités indiennes affirment que Bishnoi, 32 ans, dirige plus de 700 tireurs d’élite effectuant meurtres et extorsions à l’échelle mondiale, le tout depuis sa cellule enchaînant les transferts entre différentes prisons depuis près de dix ans.

Bishnoi et Goldy Brar ont atteint une grande notoriété en mai 2022 après l’assassinat du chanteur et rappeur punjabi Sidhu Moosewala. La police a indiqué que Brar, installé au Canada, aurait organisé cet assassinat depuis l’étranger.

Ajai Sahni, directeur exécutif de l’Institut de gestion des conflits à New Delhi, explique que la chaîne de commandement et la définition même d’un gang sont difficiles à établir au sein de groupes transnationaux. « Un incident en Inde peut être revendiqué par des membres du gang Bishnoi au Canada ou aux États-Unis via des comptes sur les réseaux sociaux non vérifiables », précise-t-il.

Sanjay Verma, ancien haut-commissaire indien au Canada expulsé après les accusations de Trudeau en 2023, a déclaré que le gouvernement indien avait transmis des renseignements sur la présence de Brar au Canada aux autorités canadiennes.

En 2024, le gang Bishnoi a aussi revendiqué l’assassinat d’un homme politique de 66 ans à Mumbai et l’implication de ses membres dans des tirs devant la résidence à Bombay de la star de Bollywood Salman Khan.

Gurmeet Singh Chauhan, inspecteur général adjoint de la force spéciale anti-gangs dans le Pendjab indien, appelle à un mécanisme de partage de données entre pays touchés par des gangs comme celui de Bishnoi. « Toute preuve doit être rapidement partagée avec les Canadiens, qui doivent enquêter sans délai et nous tenir informés. Le crime est le crime, peu importe où il se produit », insiste-t-il.

Il prévient aussi : « La ligne entre crime organisé et terrorisme est très fine. Ces réseaux peuvent être exploités pour des activités terroristes à tout moment, partout dans le monde. »

Le gang Bishnoi a revendiqué des attaques contre les domiciles de deux chanteurs punjabi, AP Dhillon et Gippy Grewal, en Colombie-Britannique, tandis que son emprise s’étend de Mumbai à Mississauga. Le 7 août, un membre présumé du gang a aussi revendiqué des coups de feu contre un café appartenant à l’humoriste indien Kapil Sharma en Colombie-Britannique.

Une menace constante dans la communauté

Satish Kumar, homme d’affaires de 73 ans installé à Surrey depuis 45 ans, vit dans la peur constante. Président du temple hindou Lakshmi Narayan à Surrey, il a reçu un appel d’un homme se présentant comme Godara, associé de Bishnoi et Brar, qui avait revendiqué les meurtres d’Harjit et Dhanoa.

« Il a demandé une extorsion de deux millions de dollars canadiens. J’ai bloqué le numéro », raconte Kumar, précisant avoir signalé les menaces à la police après avoir reçu plusieurs messages vocaux menaçants le 28 mai 2025.

Les menaces se sont ensuite traduites par des tirs sur plusieurs de ses propriétés le 7 juin, les membres du gang filmant les attaques pour lui envoyer les images. Kumar a refusé de céder à l’extorsion.

Il déplore une réponse policière jugée insuffisante : « Ils pourraient m’exécuter à tout moment. Je reçois encore leurs appels. Ma famille vit dans un stress permanent. »

La communauté sud-asiatique de Surrey et Brampton multiplie les campagnes pour renforcer la sécurité, partageant sur les réseaux sociaux des vidéos des fusillades. Depuis 2003, la part des homicides liés aux gangs en Colombie-Britannique est passée de 21 % à 46 % en 2023.

« Au travail, je peux oublier ces gangs un instant, mais dès que je rentre, la peur revient », confie Satish Kumar.

source:https://www.aljazeera.com/features/2025/8/8/canada-murders-spark-calls-to-label-indias-bishnoi-gang-a-terror-group

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