Home ActualitéScienceLes animaux ressentent-ils le vrai chagrin ? Insights de l’anthropologue Barbara King

Les animaux ressentent-ils le vrai chagrin ? Insights de l’anthropologue Barbara King

by Sara
États-Unis

En 2018, une femelle orque appelée « Talicwah » a mis bas un petit qui n’a vécu qu’une heure. Pourtant, elle a refusé de l’abandonner : elle a porté le cadavre plus de 1 600 km, plongeant à plusieurs reprises pour le récupérer lorsque le corps glissait, et l’a gardé malgré le début de la décomposition. Ce « tour de deuil » a duré 17 jours et illustre l’un des cas les plus marquants du chagrin animal observé chez les cétacés.

Un drame répété chez les orques

Des observations récentes montrent qu’un schéma similaire s’est reproduit ces dernières semaines. Des chercheurs ont filmé une femelle orque poussant son petit mort, encore relié au cordon ombilical, comme pour tenter de le ranimer. Le petit a disparu un jour plus tard.

Ces mères semblent déployer une énergie considérable pour porter ou protéger leur progéniture morte, modifiant leurs habitudes alimentaires et leurs déplacements. Ces comportements, inhabituels dans le règne animal, soulèvent la question centrale : s’agit‑il véritablement de chagrin ou d’une réponse instinctive face à une perte mal comprise ?

Orque portant son petit mort

Un débat ancien, remis en lumière

Les humains ne sont pas les seuls à manifester des signes de tristesse : des comportements apparentés au deuil ont été observés depuis des millénaires. Le naturaliste romain Pline l’Ancien évoquait déjà des élans de gravité chez les éléphants entre 23 et 79 apr. J.-C.

Pourtant, pendant longtemps, une large partie de la communauté scientifique refusait d’attribuer aux animaux des états mentaux complexes. Craignant l’anthropomorphisme, certains chercheurs évitaient d’imputer aux animaux des émotions comparables à celles des humains.

Signes comportementaux révélateurs

Barbara King, professeure d’anthropologie, indique que l’on repère le chagrin animal par des altérations durables du comportement. Elle insiste sur plusieurs indicateurs utiles :

  • retrait social prolongé,
  • modifications du langage corporel et des vocalisations,
  • perte d’appétit ou troubles du sommeil,
  • changements notables dans les déplacements et les routines,
  • comportements risqués inhabituels.

King souligne l’importance d’interpréter ces signes en tenant compte des spécificités de chaque espèce, et non pas en les réduisant à des formes humaines de deuil.

Barbara King, anthropologue

Preuves de terrain : éléphants, corvidés et autres

De nombreuses observations soutiennent l’idée que certaines espèces comprennent la mort ou, du moins, réagissent de façon soutenue à sa présence. Voici quelques exemples marquants :

  • Les corbeaux se rassemblent autour d’un cadavre, émettent des cris perçants et montrent un comportement collectif quasi cérémoniel.
  • Les éléphants touchent et caressent les restes, restent près du corps pendant des jours, transportent parfois des os ou des défenses et recouvrent parfois les dépouilles de terre et de végétation.
  • Des girafons morts ont été entourés par des dizaines d’individus manifestant une attention prolongée et un retrait alimentaire chez la mère.
  • Des primates et des dauphins ont été vus portant ou protégeant des cadavres, parfois jusqu’au stade avancé de décomposition.

Ces scènes offrent des indices solides d’un lien émotionnel et social entre individus, compatibles avec une forme de chagrin animal.

Corbeaux rassemblés autour d'un cadavre

Mesurer le chagrin : approches scientifiques

Pour dépasser les simples observations qualitatives, des chercheurs ont commencé à quantifier les réponses au deuil. Une méthode consiste à mesurer les hormones de stress, comme les glucocorticoïdes, dans les prélèvements fécaux.

Des études sur des femelles babouins ont montré une hausse significative de ces hormones après la perte d’un proche, accompagnée d’un renforcement des comportements sociaux réparateurs. En quelques semaines, ces marqueurs physiologiques revenaient souvent à la normale.

Ces données appuient l’idée que le chagrin animal peut impliquer des réponses physiologiques comparables à celles observées chez les humains.

Comportements contradictoires et diversité des réponses

Les réactions face à la mort varient fortement selon les espèces, les contextes et les individus. Paradoxalement, des mères peuvent à la fois transporter et soigner des cadavres, puis les dévorer ou les abandonner. Ces contradictions reflètent des motivations mixtes : émotionnelles, physiologiques et adaptatives.

Certaines espèces, notamment les prédateurs ou les groupes vivant en colonies denses, adoptent des stratégies pragmatiques : consommation des corps ou évacuation rapide pour prévenir la contamination et préserver la sécurité du groupe.

Barbara King rappelle qu’un manque d’évidence de chagrin chez une espèce ne signifie pas l’absence d’émotions ; il s’agit souvent d’une différence dans l’expression ou la fonction de la réaction au décès.

Une responsabilité éthique partagée

Face à ces observations, la question éthique devient centrale : devons‑nous présumer que certains animaux ressentent le chagrin et, si oui, comment cela devrait‑il influer sur nos pratiques ?

King estime que la capacité à éprouver du chagrin ne doit pas être l’unique critère déterminant notre comportement moral envers une espèce. Même lorsque la présence d’émotions est incertaine, le respect du bien‑être animal demeure essentiel.

En reconnaissant que de nombreuses espèces pensent, ressentent et aspirent à vivre sans douleur physique ou psychique, nous pouvons cultiver une compassion informée et transmettre aux générations futures un rapport plus respectueux aux autres formes de vie.

source:https://www.aljazeera.net/science/2025/10/23/%d8%b9%d9%84%d9%85%d8%a7%d8%a1-%d9%8a%d8%ac%d9%8a%d8%a8%d9%88%d9%86-%d8%a7%d9%84%d8%ac%d8%b2%d9%8a%d8%b1%d8%a9-%d9%86%d8%aa-%d9%87%d9%84-%d8%aa%d8%af%d8%b1%d9%83

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