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Les États-Unis ont présenté au président ukrainien Volodymyr Zelenskyy un projet en 28 points destiné à mettre fin à la guerre entre la Russie et l’Ukraine. Rédigé à un stade de brouillon et vivement critiqué pour son biais jugé favorable à Moscou, ce texte n’a pas été officiellement publié ; ses détails ont toutefois été communiqués à la presse internationale par un responsable ukrainien. Retour détaillé sur le contenu du plan et ses enjeux.
Les 28 points du plan de paix de Trump pour l’Ukraine
Voici la liste complète des points telle que présentée dans le projet, traduite et reformulée pour plus de clarté. Chaque point reflète des propositions de compromis politico-militaire, économique et juridique.
- La souveraineté de l’Ukraine sera reconnue.
- Un accord global de non-agression sera conclu entre la Russie, l’Ukraine et l’Europe, mettant fin aux ambiguïtés des trente dernières années.
- La Russie s’engagerait à ne pas envahir des pays voisins et l’OTAN à ne plus s’étendre davantage.
- Un dialogue Russie-OTAN, médié par les États-Unis, visera à résoudre les questions de sécurité pour désamorcer les tensions et favoriser la coopération et le développement économique futur.
- L’Ukraine recevra des garanties de sécurité fiables.
- Les forces armées ukrainiennes seraient limitées à 600 000 personnes.
- L’Ukraine s’engage à inscrire dans sa constitution qu’elle n’adhérera pas à l’OTAN, et l’OTAN intégrerait dans ses statuts une disposition excluant toute admission future de l’Ukraine.
- L’OTAN accepte de ne pas stationner de troupes en Ukraine.
- Des avions de chasse « européens » seront stationnés en Pologne.
- La garantie de sécurité américaine comporterait des conditions précises :
- Les États-Unis recevraient une compensation pour cette garantie ;
- Si l’Ukraine envahit la Russie, elle perdra la garantie ;
- Si la Russie envahit l’Ukraine, une réponse militaire coordonnée décisive et la réinstauration de toutes les sanctions seraient décidées ; la reconnaissance de nouveaux territoires et autres bénéfices liés à l’accord seraient annulés ;
- Si l’Ukraine tirait un missile sur Moscou ou Saint-Pétersbourg sans raison, la garantie serait invalidée.
- L’Ukraine serait éligible à l’adhésion à l’Union européenne et bénéficierait d’un accès préférentiel à court terme au marché de l’UE pendant l’examen de sa candidature.
- Un vaste dispositif mondial de reconstruction serait mis en place, comprenant notamment :
- La création d’un Fonds pour le développement de l’Ukraine destiné à investir dans les secteurs à forte croissance (technologie, centres de données, intelligence artificielle) ;
- La coopération américano-ukrainienne pour reconstruire, moderniser et exploiter les infrastructures gazières (pipelines, stockages) ;
- Des efforts conjoints pour réhabiliter les zones de guerre et moderniser villes et logements ;
- Le développement d’infrastructures et l’exploitation des ressources naturelles ;
- La Banque mondiale préparerait un volet financier spécial pour accélérer ces projets.
- La réintégration de la Russie dans l’économie mondiale serait envisagée :
- La levée des sanctions se ferait par étapes, au cas par cas ;
- Un accord de coopération économique à long terme États-Unis–Russie serait négocié (énergie, ressources, infrastructures, IA, centres de données, projets d’extraction en Arctique, etc.) ;
- La Russie serait invitée à réintégrer le G8.
- Utilisation des fonds russes gelés :
- 100 milliards de dollars d’avoirs russes gelés seraient investis dans des efforts pilotés par les États-Unis pour reconstruire l’Ukraine ;
- Les États-Unis percevraient 50 % des profits générés par ces investissements ;
- L’Europe ajouterait 100 milliards de dollars pour augmenter les fonds destinés à la reconstruction, et ses fonds gelés seraient débloqués ;
- Le reste des fonds russes gelés serait placé dans un véhicule d’investissement conjoint US‑Russie destiné à des projets communs visant à renforcer les intérêts partagés et dissuader un retour au conflit.
- Un groupe de travail américano-russe sur les questions de sécurité serait créé pour promouvoir et garantir l’application de l’accord.
- La Russie officialiserait par la loi une politique de non-agression envers l’Europe et l’Ukraine.
- Les États-Unis et la Russie prolongeraient la validité des traités de non-prolifération et de contrôle des armes nucléaires, y compris le traité START I.
- L’Ukraine accepterait de rester un État non nucléaire conformément au Traité sur la non-prolifération (TNP).
- La centrale nucléaire de Zaporizhzhia serait remise en service sous supervision de l’AIEA ; l’électricité produite serait répartie à parts égales entre la Russie et l’Ukraine (50/50).
- Les deux pays mettraient en œuvre des programmes éducatifs et sociétaux pour promouvoir la tolérance culturelle et éliminer racisme et préjugés :
- L’Ukraine adopterait les règles de l’UE sur la tolérance religieuse et la protection des minorités linguistiques ;
- Garanties pour les droits des médias et de l’éducation en langue ukrainienne et russe ;
- Toute idéologie nazie et activités assimilées seraient rejetées et interdites.
- Disposition territoriale :
- La Crimée, Louhansk et Donetsk seraient reconnues de facto comme russes, y compris par les États-Unis ;
- Les lignes de front à Kherson et Zaporizhia seraient gelées, entraînant une reconnaissance de facto le long de ces lignes de contact ;
- La Russie renoncerait aux autres territoires convenus qu’elle contrôle en dehors de ces cinq régions ;
- Les forces ukrainiennes se retireraient de la partie du oblast de Donetsk qu’elles contrôlent actuellement ; cette zone de retrait deviendrait une zone tampon démilitarisée et neutre, reconnue internationalement comme territoire de la Fédération de Russie, les forces russes s’engageant à ne pas pénétrer cette zone.
- Après l’accord sur les dispositions territoriales, la Russie et l’Ukraine promettent de ne pas modifier ces arrangements par la force. Les garanties de sécurité ne s’appliqueraient pas en cas de violation de cet engagement.
- La Russie ne doit pas empêcher l’Ukraine d’utiliser le Dnipro à des fins commerciales ; des accords assureraient le transport libre des céréales sur la mer Noire.
- Un comité humanitaire serait créé pour régler les sujets en suspens :
- Échange de tous les prisonniers et dépouilles selon le principe « tous contre tous » ;
- Retour de tous les civils détenus et otages, y compris les enfants ;
- Programme de réunification familiale ;
- Mesures d’allégement de la souffrance des victimes.
- L’Ukraine tiendrait des élections dans les 100 jours.
- Toutes les parties impliquées bénéficieraient d’une amnistie complète pour leurs actes commis pendant la guerre, et renonceraient à toute réclamation future.
- L’accord serait juridiquement contraignant, son exécution surveillée et garantie par un Conseil de paix présidé par Donald J. Trump. Des sanctions seraient prévues en cas de violation.
- Une fois l’accord approuvé par toutes les parties, le cessez-le-feu entrerait immédiatement en vigueur après retrait aux points convenus pour commencer sa mise en œuvre.
Réaction de l’Ukraine
Volodymyr Zelenskyy a rencontré des responsables militaires américains à Kyiv pour évoquer ces propositions, qui auraient été rédigées par des officiels américains et russes sans consultation préalable de l’Ukraine ni de ses alliés européens.
À l’issue de la réunion, Zelenskyy a déclaré : « La partie américaine a présenté des points d’un plan pour mettre fin à la guerre – leur vision. J’ai exposé nos principes clés. Nous avons convenu que nos équipes travailleront sur ces points pour s’assurer que tout soit authentique. »
Il a ajouté que l’Ukraine cherche une paix réelle et digne, « avec des conditions qui respectent notre indépendance, notre souveraineté et la dignité du peuple ukrainien », et qu’il discuterait désormais du plan avec les alliés européens.
Acceptation par l’Ukraine et ses alliés ?
La réponse n’est pas affirmative. Zelenskyy a adopté une position nuancée en indiquant qu’« on va travailler dessus ». Mais des experts estiment que, dans sa forme actuelle, l’accord demanderait à Kyiv des concessions catastrophiques.
Les dirigeants européens ont indiqué qu’ils n’accepteraient pas un plan obligeant l’Ukraine à ces concessions. Le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, a insisté : « Les Ukrainiens veulent une paix juste qui respecte la souveraineté de chacun ; la paix ne peut pas être une capitulation. »
Pour l’instant, plusieurs alliés ukrainiens s’abstiennent de tout commentaire officiel, arguant qu’ils n’ont pas été formellement informés du texte dans le détail.
Position de la Russie et des États-Unis
Washington n’a pas rendu publiques les modalités du texte et n’a pas fait de commentaires officiels détaillés. La Russie a nié l’existence de consultations formelles sur un plan de paix.
Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a déclaré qu’il n’y a pas de « consultations » à proprement parler : « Il y a des contacts, bien sûr, mais il n’y a pas de processus que l’on puisse appeler des consultations. »
De son côté, le Premier ministre hongrois Viktor Orbán, allié proche de Donald Trump, a exprimé son soutien public, écrivant que l’initiative de paix du président américain avait « pris de l’élan ».
Analyses et réactions d’experts
De nombreux spécialistes jugent les termes du plan flous, non contraignants et difficiles à appliquer sans longs arbitrages. Keir Giles, expert sur l’Eurasie au think tank Chatham House, a estimé que certains points sont « inexécutables, absurdes et tellement vagues qu’ils réclameraient des mois de négociation ».
Il donne l’exemple du point sur le « stationnement d’avions de chasse européens en Pologne » : que recouvre le terme « européen » ? L’Union européenne ? Des pays européens ? Et que signifie exactement « avions de chasse » dans ce contexte ? Ces imprécisions laissent place à d’amples divergences d’interprétation.
Fonds gelés et reconstruction : quelle compensation pour les États-Unis ?
Le plan prévoit d’utiliser des avoirs russes gelés pour financer la reconstruction de l’Ukraine : 100 milliards de dollars seraient dirigés vers un effort piloté par les États-Unis, et l’Europe ajouterait 100 milliards.
Le texte indique que les États-Unis percevraient 50 % des bénéfices générés par ces investissements, sans préciser comment ces profits seraient créés. Un véhicule d’investissement conjoint US‑Russie serait aussi prévu pour d’autres projets.
Selon des experts, il s’agit probablement d’une référence aux centaines de milliards d’avoirs de la banque centrale russe gelés depuis 2022. Leur usage et la destination exacte des profits restent très flous et suscitent des interrogations sur l’objectif réel de ces mécanismes.
Amnistie et droit international
Le point 26 prévoit une amnistie générale pour toutes les parties pour les actes commis pendant la guerre. Cette disposition soulève de fortes objections au regard du droit international.
L’Instruction de la Cour pénale internationale contre le président russe (mandat d’arrêt pour déportation d’enfants ukrainiens) illustre la complexité : les États-Unis ne peuvent pas unilatéralement effacer des responsabilités pénales établies par des instances internationales.
Les spécialistes préviennent qu’une amnistie générale pourrait être perçue comme une normalisation de l’annexion ou d’autres violations, et rencontrerait un large refus de la part de pays attachés à l’État de droit.
Territoires et conséquences sur le terrain
Le plan propose de reconnaître de facto la Crimée, Louhansk et Donetsk comme russes, et de geler les lignes de front à Kherson et Zaporizhia. Il prévoit aussi la transformation d’une partie du Donetsk contrôlée par l’Ukraine en zone tampon démilitarisée reconnue comme territoire russe.
Ces dispositions impliqueraient des transferts de souveraineté et une légitimation pratique d’acquis territoriaux obtenus par la force, ce qui expliquerait l’hostilité affichée d’une grande partie de la communauté internationale.
Selon l’Institute for the Study of War, l’Ukraine contrôle encore une part du Donbas et la Russie maintient des positions dans Zaporizhia et Kherson. Le plan gèle ces lignes, sans préciser la dynamique future de ces régions.
Réintégration de la Russie dans le concert international
Plusieurs points visent à réinsérer la Russie sur la scène internationale : levée progressive des sanctions, invitation à réintégrer le G8 et accords de coopération économique à long terme.
Le projet mentionne en outre la création d’un groupe de travail américano-russe sur la sécurité pour garantir l’application des dispositions. Ces propositions apparaissent comme un mécanisme d’incitation pour consolider des intérêts communs et réduire le risque d’un retour au conflit.
Ce plan peut‑il mettre fin à la guerre ?
Les analystes restent sceptiques. Beaucoup estiment que l’accord, tel qu’il a été rapporté, ne résoudra pas durablement le conflit et rencontrera une opposition importante de la part de l’Ukraine et de ses partenaires européens.
Keir Giles qualifie le projet d’itération supplémentaire d’un cycle récurrent de propositions qui n’aboutissent pas. La clé restera la volonté des parties — et en particulier de l’Ukraine et de ses alliés — d’accepter des concessions substantielles sur la souveraineté et les territoires.
Au vu des réactions publiques et des imprécisions du texte, les chances que ce plan soit adopté dans sa forme actuelle semblent limitées.
