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Plus de vingt-trois ans après leur première — et peut‑être unique — rencontre dans les locaux de la direction de la sûreté mauritanienne, la controverse entre le penseur Mohamed el‑Mokhtar Chinqiti et l’ancien directeur des renseignements Ddahi Ould Abdallah reprend de la vigueur.
La reprise du différend fait suite aux révélations de Chinqiti lors d’un épisode du podcast « Histoire africaine » diffusé sur la plateforme Athir d’Al Jazeera, où il a affirmé avoir été interpellé et transféré à la Direction de la sécurité de l’État en 2002.
Début de l’affaire et contexte
Les deux hommes sont des figures connues du paysage politique mauritanien des trente dernières années. Chinqiti est reconnu comme intellectuel et opposant, tandis que Ddahi a été l’un des principaux responsables des services de sécurité sous l’ancien régime.
Les tensions entre leurs positions idéologiques et politiques ont été marquées par des parcours opposés : l’un militant et critique, l’autre pilier d’un appareil sécuritaire puissant.
Récit de l’arrestation en 2002
Selon Chinqiti, l’arrestation a eu lieu après une intervention remarquée sur la chaîne Al Jazeera, où il critiquait sévèrement la décision mauritanienne d’établir des relations avec Israël. De retour d’un séjour aux États‑Unis, il passait une courte période de repos dans son village natal, La Grève.
Il raconte qu’une unité de police a surgi dans le village, l’a emmené à Néma, la capitale de la région du Hodh Oriental, puis l’a transféré à Nouakchott et placé au siège de la Direction de la sécurité de l’État. Là, il aurait fait face à Ddahi pour la première fois et subi plusieurs interrogatoires.
Parmi ses souvenirs, Chinqiti évoque des détails d’interrogatoire et une anecdote sur une traduction approximative d’un mot employé dans un vers de poésie, soulignant le caractère parfois burlesque de certaines séquences d’audition.
Le démenti ferme de Ddahi Ould Abdallah
En réaction aux déclarations, Ddahi a publié un post sur Facebook puis accordé des interviews dans lesquelles il a nié catégoriquement avoir interrogé ou même connaître Chinqiti avant 2017.
Il a affirmé que les propos de Chinqiti étaient « une invention », rejetant la version comme une « fabrication totale ». Ddahi a également contesté la réputation intellectuelle de Chinqiti en des termes très durs.
La preuve documentaire et la riposte
Peu après le démenti, un historien et documentaliste, Ismaïl Ould Moussa Ould Cheikh Sidiya, a publié des archives de 2002 : une une de journal évoquant explicitement l’arrestation de Chinqiti et mentionnant un repentir ou une déclaration de Ddahi.
La diffusion de cette coupure de presse a relancé le débat et permis à Chinqiti d’affirmer de nouveau sa version, tandis que les réseaux sociaux mauritaniens se sont enflammés entre sceptiques et défenseurs de la parole de l’intellectuel.
Réactions sur les réseaux et débats publics
Les réactions ont été vives et variées. Certains internautes ont rappelé des épisodes antérieurs où Ddahi aurait nié des faits établis, accusant l’ancien responsable sécuritaire d’une habitude de démentis publics.
D’autres ont souligné que l’épisode ne constitue qu’une des nombreuses réunions d’interrogatoire menées par la Direction de la sécurité et ont relativisé l’impact de l’affaire, tandis que des voix moqueuses ont caricaturé l’ampleur du déni de Ddahi.
- Interrogations sur la fiabilité des souvenirs face au temps.
- Accusations récurrentes d’usage de la répression sous l’ancien régime.
- Mobilisation numérique autour de la coupure de presse comme élément probant.
La réaction et la critique de Chinqiti
Chinqiti n’a pas laissé le démenti sans réponse. Il a qualifié le comportement de Ddahi d’addiction au mensonge et a dénoncé son rôle dans « l’appareil de répression » des deux décennies passées.
Il a remercié l’historien ayant exhumé l’archive, estimant que la pièce publiée « déconstruit » le déni et révèle une vérité partagée par de nombreux témoins de l’époque.
Chinqiti a toutefois précisé qu’il ne souhaitait pas étirer le récit, rappelant que sa détention n’aurait duré que quelques jours et sans les sévices infligés à d’autres victimes du régime.
Accusations contre le passé sécuritaire de Ddahi
Dans ses déclarations, Chinqiti a décrit Ddahi comme l’un des « principaux cadres » de l’appareil répressif ayant agi pendant deux décennies au service du président d’alors, et comme responsable de détentions arbitraires et de persécutions.
Il a appelé l’ancien responsable à la repentance et au recours à l’expiation, estimant que la négation d’événements avérés ne fait que rehausser la honte de ce passé.
Parcours de Ddahi Ould Abdallah et mémoire collective
Ddahi a rejoint les services de sécurité au milieu des années 1970, gravi les échelons et a été formé à l’étranger avant d’occuper des postes d’enquêteur puis de directeur des renseignements pendant des années sensibles pour la Mauritanie.
Son mandat a été marqué par des vagues d’arrestations ciblant diverses tendances politiques, dont des nasséristes, des baasistes et des islamistes, ainsi que par des opérations liées à des tentatives de putsch et à la répression de l’opposition.
Après la chute du régime qu’il servait en 2005, Ddahi a été écarté, puis mis à la retraite en 2015; il s’est ensuite tourné vers des activités agricoles et, selon certains observateurs, vers une entreprise de réhabilitation de son image publique.
Enjeux et prolongements
La controverse illustre plusieurs enjeux persistants en Mauritanie : la mémoire des années de répression, la difficulté de faire coïncider témoignages individuels et archives, et la place des anciens responsables dans le débat public.
Elle pose aussi la question de la confiance dans les récits officiels et des mécanismes nécessaires pour établir des responsabilités historiques, voire judiciaires, lorsque des faits graves sont en jeu.
- Importance des archives et du journalisme d’investigation pour vérifier les récits.
- Impact des réseaux sociaux dans la formation d’une opinion publique rapide et polarisée.
- Nécessité d’un travail de mémoire pour les victimes et d’une réponse institutionnelle crédible.
État actuel du débat
À la suite de la publication des archives et des échanges publics, le débat reste vif et divise l’opinion mauritanienne. Certains considèrent la coupure de presse comme pièce décisive, d’autres continuent d’interroger la fiabilité des témoignages et la capacité des archives à trancher définitivement.
La controverse autour de Chinqiti et Ddahi illustre la persistance des débats sur la responsabilité des acteurs de la sécurité et la mémoire des pratiques d’État pendant des périodes de tension politique.