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Khamenei et le virage nationaliste de l’Iran après la guerre 2025

by Sara
Iran, Israël, États-Unis

Après la guerre de 12 jours avec Israël en 2025, l’Iran amorce un virage marqué vers un nationalisme unificateur. Ce basculement, rendu visible dès le premier grand rassemblement public après le conflit, s’exprime par la mise en avant de symboles pré-islamiques, la reprise d’hymnes patriotiques et l’appel clair à l’unité nationale. Le « nationalisme iranien » devient ainsi un outil politique central pour renforcer la cohésion intérieure et réorienter la diplomatie régionale.

Échec de la stratégie israélienne et renforcement de l’unité iranienne

Israël avait conçu un plan en deux phases visant à renverser le régime iranien. La première phase combinait attaques intérieures par des agents et frappes aériennes ciblant des objectifs militaires.

La seconde phase devait exposer la faiblesse de l’administration de Téhéran pour provoquer des soulèvements internes et mettre la population en confrontation avec l’armée, dans l’espoir d’un changement de régime.

La réalité de la guerre a démenti ces prévisions. Au lieu de se retourner contre l’État, une large partie de la société iranienne a privilégié la solidarité nationale, mettant de côté critiques et oppositions pour éviter de reproduire le destin d’États comme la Syrie, l’Irak, le Yémen ou le Liban.

  • La mobilisation populaire a surpris les services d’analyse israéliens.
  • Le pouvoir a identifié l’unité sociale comme sa principale force face aux agressions extérieures.

Trois courants du nationalisme iranien

Le nationalisme en Iran n’est pas monolithique ; il se décline en plusieurs tendances influencées par l’histoire, la religion et les choix politiques modernes.

  1. Nationalisme persan

    Ce courant puise son inspiration dans l’époque préislamique et valorise la civilisation ancienne de l’Iran. Il considère la période préislamique comme un âge d’or et tend à opposer, parfois avec hostilité, les influences arabes et turques.

    Zia-Ebrahimi décrit ce courant comme un « nationalisme de dislocation » qui affirme, entre autres, une continuité historique de plus de 2 500 ans et une parenté arienne avec les Européens.

  2. Nationalisme non fondé sur l’ethnicité

    Héritage des acteurs de la révolution islamique, ce courant refuse les privilèges ethniques et promeut une identité politique fondée sur la lutte des « opprimés » contre les « arrogants ».

    Il a favorisé, dans les premières décennies après 1979, une politique pan-islamiste et une identité moins centrée sur les symboles préislamiques.

  3. Nationalisme unificateur (religieux-national)

    Ce courant cherche à réconcilier l’Iran préislamique et l’Iran postislamique. Des penseurs comme Ali Shariati et Morteza Motahhari ont défendu une vision où la religion et l’histoire ancienne forment une identité nationale commune.

    Le « nationalisme unificateur » privilégie l’idée d’une identité iranienne intégrant les héritages successifs sans céder aux pulsions racistes.

Symboles, gestes et mise en scène politique

Le tournant symbolique a été rendu manifeste lorsque l’ayatollah Khamenei a demandé au raddoud (chantre) Mahmoud Karimi d’interpréter l’hymne « Ya Iran » lors des commémorations d’Achoura le 5 juillet 2025.

Ce geste n’était pas anodin : l’hymne, composé au début de la guerre Iran-Irak et popularisé par Mohammad Nouri, vise à raviver le sentiment patriotique et à soutenir le moral des soldats.

  • Un grand buste représentant l’empereur romain Valérien prosterné devant le roi sassanide Shapur I a été installé sur la place Enghelab à Téhéran.
  • Des images circulant sur les réseaux sociaux montraient ensuite des montages comparant Netanyahu et Trump à la posture de soumission face à Khamenei.
  • À Shahin Shahr (province d’Ispahan) et sur la place Vanak à Téhéran, des statues de Rostam et d’Arash ont été dévoilées, renforçant la mise en avant des mythes perses.

Ces opérations visent à rassembler la population autour d’une narration historique commune, conciliant révolution islamique et héritage national ancien.

Opportunités et risques du nouveau discours national

Le choix d’un nationalisme unificateur offre des avantages immédiats : renforcement de la cohésion sociale, légitimation interne du pouvoir et possibilité de recentrer les ressources vers la stabilité nationale.

Mais ce virage comporte aussi des risques importants s’il n’est pas maîtrisé.

  • Risque de montée du nationalisme persan dur et exclusif, potentiellement en contradiction avec les principes de la révolution islamique.
  • Renforcement d’acteurs favorables à un retour à des symboles monarchiques ou à une vision ethnique de la nation, déjà observé chez certains diplomates et responsables militaires.
  • Une mauvaise gestion pourrait accroître les tensions avec des voisins tels que la Turquie et des pays arabes, comme l’a montré par le passé la dynamique des relations avec l’Azerbaïdjan.

En revanche, une gouvernance prudente et des discours calibrés peuvent permettre de consolider l’unité sans basculer vers des formes d’exclusion.

Conséquences attendues sur la politique étrangère et les alliances

Le recentrage sur le nationalisme iranien devrait au minimum modifier l’équilibre des priorités étrangères. Téhéran pourrait réduire son engagement direct auprès de certains alliés non étatiques.

Depuis juin, on observe déjà une langue plus modérée et moins de démonstrations publiques de soutien à des mouvements comme le Hezbollah, le Hachd al-Chaabi ou Ansarallah.

  • Moindre appui matériel ou politique visible aux milices externes.
  • Orientation accrue vers la diplomatie régionale pour sécuriser des alliés et stabiliser les frontières.
  • Report d’une politique d’ouverture extérieure amorcée après 2003 au profit d’un effort national concentré sur la reconstruction et la résilience interne.

Scénarios possibles

Deux trajectoires semblent plausibles :

  1. Une consolidation maîtrisée du « nationalisme unificateur », aboutissant à une plus grande cohésion interne et à une diplomatie régionale pragmatique.
  2. Une dérive vers un nationalisme persan exclusif, qui pourrait alimenter des frictions internes et externes et renforcer des groupes nostalgiques d’une Iran pré-révolutionnaire.

La trajectoire réelle dépendra largement du management politique de ces symboles et de la capacité des institutions à préserver l’équilibre entre héritage culturel et principes révolutionnaires.

Projection

Confrontée à des pressions extérieures et à des défis sécuritaires, l’Iran a choisi pour l’heure de renforcer le nationalisme comme ciment social. Le succès de cette stratégie reposera sur une communication mesurée et sur l’inclusion, afin d’éviter l’exacerbation des courants identitaires exclusifs.

Dans les mois à venir, il faudra surveiller l’évolution des discours officiels, la composition des équipes au sein des ministères sensibles et l’impact du basculement symbolique sur les relations régionales.

source:https://www.aljazeera.net/opinions/2025/12/6/%d8%a5%d8%b3%d8%aa%d8%b1%d8%a7%d8%aa%d9%8a%d8%ac%d9%8a%d8%a9-%d8%ae%d8%a7%d9%85%d9%86%d8%a6%d9%8a-%d8%a7%d9%84%d8%ac%d8%af%d9%8a%d8%af%d8%a9-%d9%81%d9%8a-%d8%a5%d9%8a%d8%b1%d8%a7%d9%86

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