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Une vie marquée par la controverse et le leadership
La personnalité de Mahathir Mohamed a souvent suscité des débats, certains allant jusqu’à remettre en question ses origines malaises et sa foi musulmane. Malgré ses affirmations répétées de fierté d’être malaise, des rumeurs circulaient sur les origines hindoues de son père, Mohamed bin Iskandar, converti à l’islam pour épouser Wan Tempawan, la mère de Mahathir. Ce sujet alimentait les discussions à chaque étape de sa montée au pouvoir.
Le parcours politique de Mahathir aurait pu s’arrêter en 2003, lorsqu’il démissionna de son poste de Premier ministre à 78 ans. Beaucoup pensaient alors qu’il profiterait d’une retraite paisible, observant l’évolution de son pays à distance. Mais la nature humaine le ramena sous les projecteurs, dévoilant des aspects jusque-là cachés et ternissant quelque peu une symphonie politique jouée pendant des décennies.
Un destin façonné par le hasard et la détermination
Mahathir lui-même reconnaît que le destin l’a propulsé à un moment clé de l’histoire malaisienne. Il n’appartenait pas à l’élite malaise ni aux familles royales des États, et son père n’était qu’un simple enseignant avec une modeste pension. Pourtant, il a su saisir les opportunités et gravir les échelons grâce à une volonté farouche.
Cette figure rebelle, qu’il qualifie lui-même de « fauteur de troubles », a mené la Malaisie avec habileté dans des eaux souvent agitées. Il a incarné un modèle de leadership alliant savoir, sagesse et sens politique, bien que son parcours ait connu des échecs et des critiques constantes.
Une résilience politique exemplaire
En 1969, à 44 ans, Mahathir fut expulsé de l’Organisation nationale malaise unie (UMNO), le parti au pouvoir, ce qui aurait pu signer la fin prématurée de sa carrière politique. Soutenu personnellement par le Premier ministre de l’époque, Tun Abdul Razak, il fit son retour quelques années plus tard, entamant une ascension fulgurante jusqu’à devenir ministre en 1974.
Les circonstances jouèrent en sa faveur : la maladie, l’emprisonnement ou la disparition de certains rivaux lui ouvrirent la voie vers des postes clés, jusqu’à l’investiture comme Premier ministre en 1981, marquant le début d’une ère nouvelle.
Leçons tirées du passé et stratégie politique
Mahathir évoque dans ses mémoires l’impact profond de l’attaque japonaise sur Pearl Harbor durant la Seconde Guerre mondiale. Cette expérience lui enseigna à éviter d’ajouter des ennemis inutiles sur son chemin politique, préférant régler chaque conflit avant d’en engager un autre.
Le 16 juillet 1981, il devint officiellement le quatrième Premier ministre de Malaisie, entamant une mission de transformation nationale.
Un tournant économique et social
Sous son règne, la Malaisie connut une véritable métamorphose. Le revenu par habitant passa de 1 000 à 16 000 dollars, la pauvreté tomba sous les 4 %, le chômage sous les 3 %, et les réserves monétaires grimpèrent de 3 à 98 milliards de dollars. Les exportations bondirent aussi, passant de 15 à 200 milliards.
Sa stratégie reposait sur trois piliers :
- L’éducation, considéré comme fondement du développement et du leadership.
- L’industrialisation, avec un fort accent sur les industries lourdes et la production nationale.
- Le volet social, soutenant la cohésion et la stabilité.
À cela s’ajoutait une lutte contre la corruption et un renforcement de la gouvernance, garantissant un climat propice à la croissance.
L’éducation au cœur de la renaissance
Mahathir accorda une importance majeure à l’éducation, non seulement pour l’acquisition de connaissances, mais aussi pour forger une personnalité confiante et compétente. Le budget éducatif atteignait parfois un quart des dépenses publiques, un investissement maintenu par ses successeurs.
Des milliers d’étudiants furent envoyés à l’étranger pour apprendre des expériences occidentales, tandis que la recherche scientifique et la formation professionnelle furent également développées.
Malgré ces avancées, Mahathir exprima souvent sa déception quant au manque de progrès de certains Malais dans les domaines pratiques, imputant cela à des défis linguistiques et culturels.
L’identité islamique et la politique nationale
L’islam constitue l’identité nationale des Malais en Malaisie, étroitement lié à l’État. La constitution définit l’islam comme religion d’État et considère tous les Malais comme musulmans, intégrant les pratiques et valeurs islamiques dans la vie quotidienne et les institutions.
Mahathir soutint une intégration progressive des valeurs islamiques dans la gouvernance, promouvant la justice et la coexistence pacifique dans un pays multiethnique et multireligieux. Il mit toutefois en garde contre certaines interprétations extrémistes qui pourraient aliéner les non-musulmans.
L’industrialisation et la montée en puissance économique
La politique industrielle de Mahathir commença en 1982 avec la création d’usines lourdes, notamment dans la sidérurgie, le ciment, l’emballage et l’automobile. La production de la première voiture malaisienne, Proton, symbolisa cette nouvelle ère.
Plus de 15 000 projets industriels furent lancés, générant deux millions d’emplois et contribuant à l’essor économique.
Les controverses et les théories du complot
Le succès de Mahathir suscita des interrogations, certains voyant dans sa réussite un complot occidental visant à freiner les ambitions chinoises dans la région. La Malaisie, tout en maintenant des relations diplomatiques avec l’Est et l’Ouest, fit partie des pays non-alignés.
Mahathir développa aussi des liens solides avec la Chine dès 1974, renforçant la coopération militaire et économique, notamment à partir de 2015 avec des exercices conjoints et l’achat d’équipements chinois.
Le secteur de la défense, un équilibre délicat
Mahathir critiqua le fait que la Malaisie ait reçu des avions de combat F-16 américains sans les codes nécessaires pour leur pleine utilisation, limitant leur usage à des démonstrations. Cette dépendance militaire poussa le pays à diversifier ses partenariats, notamment avec la Chine.
La relation complexe avec Anwar Ibrahim
Anwar Ibrahim rejoignit UMNO en 1982, grimpant rapidement les échelons jusqu’à devenir ministre des Finances et vice-Premier ministre. Sa popularité croissante et ses divergences avec Mahathir lors de la crise financière asiatique de 1997 provoquèrent son éviction en 1998.
Accusé de corruption et d’inconduite sexuelle, il fut condamné dans des procès controversés qu’il qualifia de politiquement motivés. Libéré en 2004, puis de nouveau emprisonné sous un autre gouvernement, il fut finalement élu député en 2018.
Mahathir consacra deux chapitres de ses mémoires à Anwar, louant ses qualités intellectuelles et charismatiques tout en dénonçant ses ambitions et certaines accusations. Leur relation fluctuante mêla admiration, rivalité, alliances et conflits.
Un retour politique inattendu et une alliance stratégique
En mai 2018, Mahathir et Anwar s’unirent contre le Premier ministre sortant Najib Razak, formant l’Alliance de l’Espoir. Mahathir revint au pouvoir à 93 ans, promettant de céder la place à Anwar après deux ans. Cependant, il dérogea à cet accord, provoquant des tensions et la chute de la coalition en 2020.
Depuis, la scène politique malaisienne reste instable, avec des élections anticipées en 2022 et la montée d’Anwar au poste de Premier ministre.
Un héritage historique
Mahathir Mohamed, bientôt centenaire, reste une figure incontournable de l’histoire malaisienne. Son parcours, marqué par la controverse, la résilience et la transformation, illustre la complexité d’un leader qui a façonné le destin de son pays tout en suscitant débats et réflexions.