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Abdelkader Wassat : entre mots croisés et poésie au Maroc

by Sara
Abdelkader Wassat : entre mots croisés et poésie au Maroc
Maroc

Pendant près de trois décennies, les lecteurs marocains ont chaleureusement accueilli sous le pseudonyme « Abu Salma » les jeux de mots croisés et les mots fléchés qu’il publiait dans les pages du journal Al-Ittihad Al-Ishtiraki. Cette publication, particulièrement influente et populaire dans les années 1980 et 1990, a marqué leur esprit, les immergeant dans un univers linguistique riche et ludique.

Derrière le nom d’« Abu Salma » se cache Abdelkader Wassat, né en 1958 à Youssoufia, un créatif polyvalent : traducteur, calligraphe, psychiatre de formation, ayant consacré plus de trente ans au traitement des troubles mentaux avant de se consacrer pleinement à l’écriture, la traduction, le dessin et la lecture.

Abdelkader Wassat s’est imposé dès les années 1970 sur la scène culturelle et médiatique marocaine. Le poète syrien Adonis l’a même qualifié de pilier du mouvement poétique marocain. Wassat s’est illustré dans le domaine de la nouvelle, la traduction de poèmes et de récits d’écrivains internationaux et a enrichi la bibliothèque arabe en médecine avec une encyclopédie complète.

En collaboration avec d’autres écrivains et créateurs marocains, il a supervisé la publication de deux importantes encyclopédies : la première destinée aux adultes, intitulée Al-Ma’arif Al-Haditha (20 volumes), et la seconde pour la jeunesse, As-Safwa (7 tomes).

Parmi ses œuvres figurent des recueils de nouvelles tels que « Deux Yeux Grands Ouverts », « Le Tigre Sauvage », « L’Hôpital Martha », un recueil de poésie intitulé « Tambours de Pierre », ainsi qu’un livre de dialogues avec le grand auteur marocain Ahmed Bouzfour : « Les Chevaux ne Meurent pas sous le Toit ».

Dans cet entretien, « les mots fléchés » deviennent la porte d’entrée vers un univers où langue, poésie, arts, politique et littérature se conjuguent, mêlant humour, profondeur et vivacité d’esprit.

Abdelkader Wassat et les mystères de la langue arabe

En dialoguant avec Wassat, on voyage à travers les oeuvres d’Al-Mutanabbi, al-Samta al-Qushayri, Naguib Mahfouz, Khalil Gibran, Mussolini, Sophia Loren et Idriss Chraïbi. Il explore les nuances et secrets des mots avant d’aborder un thème incontournable : la place de l’écrivain face à l’intelligence artificielle.

La vie et l’évolution des mots

Depuis plus de 40 ans, Wassat côtoie quotidiennement la langue arabe. Pour lui, les mots sont des êtres vivants dont les sens évoluent sans cesse. Il illustre cette idée par divers exemples :

  • Le mot « زبون » (client) signifiait autrefois « impulsion » ou « coup » chez les anciens, avant d’acquérir le sens actuel.
  • « النضال » (lutte) évoquait initialement un concours de tir à l’arc, avant de devenir synonyme d’effort persévérant contre l’adversité.
  • « القطار » (train) signifiait antan « pluie » puis désignait une formation ordonnée de chameaux, un sens qui a inspiré le nom du train moderne.
  • « البهلول » désignait autrefois un noble, tandis qu’aujourd’hui il signifie « idiot » ou « bouffon ».

Wassat rêve d’un dictionnaire arabe retraçant l’évolution des sens des mots, à l’instar des travaux réalisés par les linguistes français.

La genèse des mots fléchés

Le choix du mot de départ dans ses grilles provient souvent d’une impression fugace, entendue à la télévision ou ailleurs. Par exemple, le terme « بلطجي » (voyou) lui est venu d’une émission. Il se réfère ensuite au dictionnaire pour confirmer son sens et construit la grille autour de ce mot, en trouvant des mots connexes en croisant les lettres.

Wassat apprécie notamment le terme « طعمية » (falafel), qu’il n’a jamais goûté mais affectionne pour son aspect culturel et littéraire. Il intègre aussi des noms propres connus, notamment des poètes ou auteurs internationaux dont le nom s’insère harmonieusement dans la structure de la grille.

Les noms dans les grilles : un choix technique et poétique

Une caractéristique importante dans ses grilles horizontales est la sélection d’éléments comportant 13 caractères, un nombre qui facilite la construction d’une grille solide et harmonieuse. Par exemple :

  • Idriss Chraïbi, écrivain phare de la littérature maghrébine francophone, est un nom qu’il affectionne particulièrement.
  • Des figures variées, des poètes comme Mohamed Abdel Wahab, des artistes et même des dictateurs comme Benito Mussolini, sont insérés pour leur musicalité et la longueur adéquate.

Il évoque aussi les noms longs et chantants comme celui de Sophia Loren, qu’il apprécie pour leur mélodie intrinsèque.

Une rencontre marquante avec Idriss Chraïbi

Wassat raconte une anecdote touchante remontant à sa jeunesse où, à 16 ans, il est venu présenter ses condoléances à son professeur de français après la mort du président français Georges Pompidou. Lors de cette visite, il découvre l’écrivain marocain Idriss Chraïbi grâce aux conseils de ce professeur. Ce fut le début d’un long compagnonnage littéraire nourri par la découverte progressive des œuvres du romancier.

Une diversité dans les mots et les noms

Au-delà des noms longs, les grilles comprennent également des mots et des noms plus courts. Certaines personnalités apparaissent fréquemment, comme l’actrice égyptienne Shwikar, très appréciée par sa génération pour sa douceur, son charme et sa gaieté malgré les épreuves.

Un regard sur les dictionnaires arabes

Abdelkader Wassat critique la surcharge des dictionnaires arabes contemporains avec des synonymes et termes peu utilisés, qui compliquent la compréhension pour les nouvelles générations. Il admire les exercices d’érudition d’autrefois, comme ceux d’Abu Alaa Al-Maari et Al-Suyuti, mais souligne la nécessité d’adapter les lexiques à l’époque actuelle, notamment face à l’afflux de mots étrangers sans équivalent.

Un mot moderne plébiscité : le « Pétrichor »

Il cite en exemple la belle expression française « pétichor », qui désigne l’odeur de la terre après la pluie, un mot que la langue arabe devrait posséder. Il soutient que la poésie arabe regorge déjà de descriptions semblables, notamment par la poétesse palestinienne Fadwa Toukan et le poète ancien al-Samta al-Qushayri, dont il mentionne plusieurs vers célébrant cette senteur.

Un amour pour la calligraphie et l’écriture manuscrite

Wassat attache une grande importance à la dimension esthétique de l’écriture. Dès l’âge de 20 ans, alors étudiant en médecine, il pratiquait la calligraphie pour arrondir ses fins de mois en embellissant les enseignes dans divers quartiers populaires de Casablanca. Malgré les critiques sur ses polices, il y puisait un plaisir profond, associant ainsi intimement forme et contenu dans son travail de créateur.

La création littéraire à l’ère de l’intelligence artificielle

Sur le sujet brûlant de l’intelligence artificielle (IA) et de la création littéraire, Wassat se montre sceptique quant à la capacité de l’IA à produire un art véritablement humain. Il considère que l’IA pourra révolutionner la médecine, la technologie, et bien d’autres domaines, mais que l’écriture créative, la poésie et la prose portée par l’âme et l’émotion resteront l’apanage des humains.

Il souligne que l’intelligence artificielle, privée de cœur et de sensibilité, ne peut reproduire la profondeur des œuvres d’auteurs comme Naguib Mahfouz ou Khalil Gibran, dont les débuts d’œuvres sont empreints de spiritualité et d’émotions intenses.

Il conclut en évoquant l’irremplaçable dimension spirituelle et émotionnelle qui soutient la littérature humaine, un aspect que la machine ne pourra jamais égaler.

source:https://www.aljazeera.net/culture/2025/6/26/%d8%a7%d9%84%d8%b4%d8%a7%d8%b9%d8%b1-%d8%a7%d9%84%d9%85%d8%ba%d8%b1%d8%a8%d9%8a-%d9%88%d8%b3%d8%a7%d8%b7-%d8%b9%d8%a8%d8%af-%d8%a7%d9%84%d9%82%d8%a7%d8%af%d8%b1-%d8%a3%d8%b3%d8%b1%d8%a7%d8%b1

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