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Lorsque la journaliste et chercheuse spécialisée en affaires internationales Barbara Slavin a évoqué l’exclusion d’Ali Larijani de la course présidentielle iranienne de 2024, elle l’a présentée comme le signe de l’affaiblissement de l’influence d’une famille autrefois dominante. Pourtant, loin d’être définitivement écarté, Larijani a été rappelé par le guide suprême en août 2025 pour assumer la fonction de secrétaire général du Conseil supérieur de sécurité nationale à un moment critique pour la République islamique.
Origines familiales et formation
La famille Larijani est originaire de Lârijân, près d’Amol, dans le nord de l’Iran. Le père, l’ayatollah Mirza Hashem Amoli, était une figure religieuse conservatrice influente à Qom, ce qui a ancré la famille dans les cercles clérico-politiques après la révolution.
Points clés :
- Naissance d’Ali Larijani à Nadjaf en 1958, retour de la famille à Qom en 1961.
- Formation mixte : études secondaires à l’école Haqqâni de Qom, puis mathématiques et informatique à l’université Sharif (diplômé en 1979), suivies d’une maîtrise et d’un doctorat en philosophie à l’université de Téhéran, avec une thèse sur Kant.
- Mariage avec Farideh Motahhari, fille du théoricien Morteza Motahhari, ouvrant des portes politiques après la révolution.
Ce profil combine pratique religieuse, culture académique scientifique et sens politique, donnant à Larijani un capital symbolique et relationnel précieux dans la République islamique.
Réseau familial et influence
La famille Larijani a compté plusieurs membres influents :
- Saadq Larijani : ancien président du pouvoir judiciaire, dont l’influence a décliné après des accusations de corruption.
- Mohammad Javad Larijani : théoricien connu pour sa théorie controversée « Oum al-Qura » et ancien président du Conseil des droits de l’homme lié au pouvoir judiciaire.
Cette présence multiple a donné à la famille une empreinte à la fois exécutive et idéologique au sein des institutions. Cependant, l’exclusion d’Ali des scrutins présidentiels en 2021 et 2024 par le Conseil de surveillance des candidatures a semblé marquer un recul — une lecture que le retour ultérieur du principal intéressé relativise.
Parcours institutionnel : du Corps des Gardiens au Parlement
A la fin des années 1970 et au début des années 1980, Ali Larijani a rejoint le Corps des Gardiens de la révolution islamique, où il a gravi les échelons pour devenir adjoint chargé des affaires culturelles et médiatiques en 1992.
Son parcours public :
- Ministre de la Culture et de l’Orientation islamique sous Rafsandjani (1994–1997), critiqué pour un renforcement de la censure.
- Président de l’organisation de radio-télévision (1997–2004), consolidant son image d’architecte des médias officiels.
- Participation à la présidentielle de 2005 (environ 6 % des voix) puis nomination comme secrétaire général du Conseil supérieur de sécurité nationale et principal négociateur du dossier nucléaire.
- Élu député de Qom en 2008 et président du Parlement jusqu’en 2020, se positionnant comme un conservateur pragmatique capable de dialoguer avec des courants réformistes.
Il a aussi soutenu l’accord nucléaire de 2015, participant à la promotion d’une voie diplomatique tout en restant ancré dans le camp conservateur pragmatique.
Exclusions, réponse et stratégie de retour
Les exclusions par le Conseil de surveillance des candidatures (en 2021 puis 2024) ont été vécues par Larijani comme un revers majeur. Il a réagi par une longue lettre critiquant les prérogatives du Conseil, sans remettre en cause la légitimité du guide suprême.
Cette posture prudente a préservé un canal de retour : en août 2025, le guide suprême l’a nommé secrétaire général du Conseil supérieur de sécurité nationale, signalant que le système préfère souvent maintenir ses cadres centraux en « réserve » plutôt que de les éliminer définitivement.
Contexte du rappel et réorganisation sécuritaire
Le retour de Larijani intervient dans un climat de forte tension après une guerre de douze jours contre Israël et des frappes américaines, une dégradation économique et un recul d’influence régionale suite à l’effondrement du régime Assad en Syrie.
Mesures récentes à Téhéran :
- Remaniement des postes clés de sécurité et militaire, dont la nomination d’Ali Abdollah-Abadi à la tête du QG central Khatam al-Anbiya.
- Refondation d’un « Conseil de défense » sous l’égide du président, réunissant hauts responsables militaires, sécuritaires et les chefs des trois pouvoirs pour coordonner la défense et la mobilisation des ressources.
L’objectif officiel est de consolider la réponse face à d’éventuelles escalades et de réorganiser la préparation interne.
Les défis majeurs sur la table
Larijani fait face à des dossiers lourds et imbriqués :
- Le dossier nucléaire : Londres, Paris et Berlin ont poussé au déclenchement du mécanisme de « snapback », pouvant rétablir les sanctions de l’ONU. En parallèle, Téhéran évoque la possibilité de se retirer du Traité de non-prolifération (TNP).
- La reconstruction des alliances régionales et la préservation des relais iraniens dans la région après des revers militaires et politiques.
- La gestion d’une économie en crise et d’un climat politique intérieur où se multiplient les interrogations sur les choix stratégiques récents.
Ces défis poussent Larijani à concilier posture de « résistance » satisfaisant les conservateurs et ouverture pour des canaux diplomatiques destinés à éviter une nouvelle escalade.
Actions diplomatiques immédiates
Dès sa nomination, Larijani a entamé des visites courtes en Irak et au Liban :
- Bagdad : signature d’un accord de coopération sécuritaire axé sur la lutte contre le terrorisme, la protection des frontières et l’engagement de l’Irak à ne pas autoriser l’utilisation de son territoire pour des attaques contre l’Iran.
Ces déplacements traduisent une approche mixte : consolidation des axes régionaux et tentative de contenir les risques d’embrasement tout en affichant une fermeté politique.
Atouts et limites de Larijani
Forces :
- Expérience étendue dans les institutions (Gardiens, médias, exécutif et législatif).
- Large réseau relationnel couvrant différents courants politiques.
- Connaissance des négociations nucléaires et aptitude au dialogue pragmatique.
Contraintes :
- Ses marges d’action restent bornées par le plafond fixé par le guide suprême.
- La pression des factions les plus dures qui refusent toute concession extérieure.
- La nécessité de traduire les réorganisations administratives en réformes stratégiques profondes pour être réellement efficaces.
Questions ouvertes pour l’avenir
Le retour d’Ali Larijani offre une fenêtre opérationnelle à l’appareil d’État, mais soulève plusieurs interrogations :
- La réorganisation des institutions suffira-t-elle à affronter durablement les défis militaires, nucléaires et économiques ?
- Larijani parviendra-t-il à ménager l’équilibre entre hardliners et pragmatiques afin d’ouvrir des voies diplomatiques tout en préservant la posture de « résistance » ?
- Ces ajustements conduiront-ils à des transformations stratégiques concrètes, ou resteront-ils un simple remaniement des personnels ?
Comme le note le chercheur Raz Zimmt, la question essentielle est de savoir dans quelle mesure ces changements administratifs peuvent modifier la réalité iranienne, aujourd’hui plus complexe que jamais (voir commentaire du chercheur : https://www.inss.org.il/publication/snsc-changes/).
La nomination d’Ali Larijani au poste crucial du Conseil supérieur de sécurité nationale place un acteur expérimenté au cœur d’une période périlleuse. Son succès dépendra de sa capacité à transformer réarrangements et diplomatie tactique en stratégies opérationnelles répondant simultanément aux pressions internes et aux menaces extérieures.