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Bangladesh : controverse sur le changement de nom du défilé du Nouvel An bengali

by Sara
Bangladesh : controverse sur le changement de nom du défilé du Nouvel An bengali
Bangladesh

Le Bangladesh a célébré ce lundi le Nouvel An bengali, également appelé Pahela Baishakh, pour la première fois depuis le renversement de l’ancienne Première ministre Sheikh Hasina, consécutif à un soulèvement étudiant l’an dernier. Toutefois, le changement de nom du défilé emblématique organisé depuis plusieurs décennies à cette occasion a déclenché une controverse qui reflète des tensions politiques et culturelles profondes au sein de ce pays d’Asie du Sud.

Défilé du Nouvel An bengali à Dhaka, 14 avril 2025

Un renommage contesté du traditionnel défilé

Quelques jours avant le défilé, la faculté des beaux-arts de l’Université de Dhaka, qui organise chaque année cet événement, a annoncé que le parade autrefois nommé Mangal Shobhajatra (« Défilé auspicious ») serait désormais appelé Borshoboron Ananda Shobhajatra (« Joyeux Défilé du Nouvel An »). Les organisateurs défendent ce changement en expliquant qu’il s’agit d’un retour au nom initial donné en 1989 lors du lancement de la manifestation.

« C’est un retour au nom original du défilé », a affirmé le professeur Azharul Islam Sheikh, coordinateur du comité d’organisation et doyen de la faculté des beaux-arts. Selon eux, cette modification marque une rupture avec l’héritage du gouvernement d’Hasina et de la Ligue Awami, au pouvoir pendant quinze ans, accusée de graves violations des droits humains, notamment des exécutions extrajudiciaires et des disparitions forcées.

Cependant, des opposants dénoncent ce changement comme une menace envers la tradition pluraliste du Bangladesh, craignant une effacement symbolique de cette identité culturelle partagée.

Participants au défilé du Nouvel An bengali à Dhaka, 14 avril 2025

Un défilé chargé d’histoire et de symboles

Le défilé démarre à l’aube le premier jour du Nouvel An bengali. Il met en scène d’énormes statues colorées fabriquées avec du bambou et du papier, représentant des animaux, des oiseaux et des personnages issus du folklore. Les femmes portent généralement des saris blancs bordés de rouge, tandis que les hommes sont vêtus de panjabis, des chemises longues sans col portées avec des pyjamas.

La procession traverse les rues de Dhaka au son des tambours traditionnels et est retransmise en direct à la télévision nationale, permettant à tout le pays de participer aux festivités. Des banderoles arborent divers messages porteurs de sens.

Créé en 1989 comme forme de résistance culturelle face à la dictature militaire du général Hussain Muhammad Ershad, le défilé a débuté avec des effigies artistiques dénonçant la corruption et l’autoritarisme, symbolisées notamment par des chouettes grotesques, des tigres courageux et des colombes de la paix.

Sans slogans de protestation explicites, ce défilé était une forme subtile de contestation, réaffirmant l’expression artistique et la lutte pour les libertés civiles. En décembre 1990, les manifestations populaires aboutirent à la démission d’Ershad et à la restauration de la démocratie parlementaire.

Le nom a été modifié en 1996 pour devenir Mangal Shobhajatra, « auspicious » en sanskrit, afin de symboliser l’aspiration collective à un avenir meilleur et un engagement renouvelé en faveur de la démocratie.

Une controverse autour du nom et des symboles

Depuis quelques années, des groupes conservateurs et islamistes critiquent le défilé, le jugeant contraire aux principes de l’islam. En avril 2023, l’avocat de la Cour suprême Mahmudul Hasan a adressé un avis légal au gouvernement, arguant que le terme « mangal », issu du sanskrit, porte une connotation religieuse hindoue et que les motifs du défilé, comme les sculptures d’animaux et d’oiseaux, offensent la sensibilité musulmane.

Suite à cette contestation, le gouvernement a retiré une circulaire obligeant toutes les universités à organiser le Mangal Shobhajatra, notamment parce que le Nouvel An bengali coïncidait avec le mois sacré du Ramadan. Néanmoins, le défilé principal de l’Université de Dhaka a continué comme à l’accoutumée.

Cette démarche a suscité une forte opposition, notamment d’un collectif d’organisations culturelles de gauche dénonçant une tentative de déstabilisation à travers un discours communautaire.

Les motifs contestés font partie intégrante de l’identité visuelle du défilé depuis 1989, incluant les périodes où la Ligue Awami n’était pas au pouvoir. L’historien Mohammad Golam Rabbani souligne que la controverse dépasse le simple cadre religieux : la célébration, jadis rurale et liée aux récoltes, est devenue de plus en plus urbaine et déconnectée des traditions villageoises.

Le soulèvement de juillet 2024 ayant conduit à la chute d’Hasina a nourri ce désir de remise à zéro culturelle, reflété dans le débat actuel autour du nom du défilé.

Sécurité lors du défilé du Nouvel An bengali à Dhaka, 14 avril 2025

Des motifs renouvelés et une forte charge politique

Le défilé 2025 a conservé son esthétique traditionnelle avec des animaux et des poissons, tout en intégrant des éléments politiques reflétant la révolte meurtrière de l’an passé.

En tête du cortège, un buste de 6 mètres représentant le « visage du fascisme », largement interprété comme une allusion à Hasina. D’autres symboles comprenaient l’inscription « 36 juillet » pour les 36 jours de manifestations sanglantes entre le 1er juillet et le 5 août 2024, qui ont coûté la vie à environ 1 400 personnes, ainsi qu’un portrait de Mugdha, un jeune tué en servant de l’eau aux protestataires.

Si certains ont salué cette symbolique, d’autres ont critiqué la politisation des célébrations du Nouvel An bengali.

Parmi les autres motifs figuraient le poisson hilsa, symbole national, des figures de chevaux et de tigres, ainsi que la pastèque, emblème de la Palestine et de la résistance.

Défilé du Nouvel An bengali à Dhaka, 14 avril 2025

Nationalisme bengali vs nationalisme bangladais

Le débat sur le nom et le sens du défilé reflète aussi des divisions idéologiques plus larges entre nationalisme bengali et nationalisme bangladais.

Le nationalisme bengali, promu par la Ligue Awami, met l’accent sur l’identité ethnique et linguistique ancrée dans la langue et la culture bengalies. En revanche, le nationalisme bangladais, défendu par le Parti nationaliste du Bangladesh (BNP), insiste sur l’identité territoriale de l’État, valorisant l’héritage islamique et la souveraineté nationale.

Rezaul Karim Rony, analyste et rédacteur en chef du magazine Joban, explique que « idéologiquement, la Ligue Awami promeut une identité tribale, tandis que le BNP et ses alliés défendent une identité nationale » et que la manière de célébrer Pahela Baishakh illustre ces divergences.

Mostofa Sarwar Farooki, chef par intérim du ministère de la Culture et dramaturge populaire, a accusé les gouvernements précédents d’avoir limité la fête à la seule majorité bengalie. Selon lui, il s’agit désormais d’une célébration de tous les Bangladais, y compris les nombreuses minorités ethniques, dont 28 groupes ont pris part officiellement au défilé 2025, vêtus de tenues traditionnelles.

Des joueuses de l’équipe féminine de football du Bangladesh étaient également présentes, portant leurs maillots officiels.

Farooki a rejeté l’idée que le gouvernement actuel politise la fête, accusant plutôt les gouvernements de la Ligue Awami d’avoir utilisé l’événement à des fins politiques. Il a précisé que le changement de nom avait été décidé par la faculté des beaux-arts de l’Université de Dhaka et non imposé par l’État.

Ambiance et réactions lors du défilé

Le matin du 14 avril, une foule majoritairement jeune a afflué depuis Dhaka et les environs, remplissant les rues devant la faculté des beaux-arts bien avant le début du défilé. Parmi eux, Kaiser Ahmed, un ancien manifestant antigouvernemental, a déclaré qu’il revenait après plusieurs années d’absence.

« J’ai boycotté cet événement pendant une décennie sous le régime oppressif d’Hasina. Aujourd’hui, je suis ici à nouveau dans un environnement libre », a-t-il confié.

Certains analystes perçoivent le retour au nom d’origine comme une correction d’un « fascisme culturel », tout en reconnaissant que la politisation de la culture reste un sujet controversé.

« Sous la Ligue Awami, Pahela Baishakh est devenu un outil de domination culturelle », affirme Rony, dénonçant la marginalisation de la majorité paysanne bengalie musulmane. D’autres voix, comme Kamal Uddin Kabir, professeur assisté à l’Université Jagannath, mettent en garde contre l’exemple néfaste donné par l’usage politique des motifs, craignant une instrumentalisation répétée selon les alternances de pouvoir.

Pour Rony, la culture est intrinsèquement politique, et la question essentielle demeure : l’expression politique de la culture promeut-elle les droits et l’inclusion, ou bien étouffe-t-elle la diversité et attise-t-elle la division ?

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source:https://www.aljazeera.com/news/2025/4/16/why-bangladeshs-renamed-new-year-parade-set-off-a-controversy?traffic_source=rss

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