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Le succès de Legrand, fleuron français du secteur électrique, repose en grande partie sur une stratégie d’inspiration américaine. Malgré un contexte économique difficile marqué par la lente reprise du bâtiment, secteur historique du fabricant de prises et interrupteurs, et une hausse notable des faillites d’entreprises en 2024, Legrand affiche une croissance solide. Son chiffre d’affaires a progressé de 3 % en 2024, pour atteindre 8,6 milliards d’euros.
Une stratégie industrielle résiliente
La capacité de Legrand à absorber les chocs externes s’appuie sur une approche industrielle bien pensée. Installés à Limoges depuis le XIXe siècle, les dirigeants du groupe ont su transformer chaque difficulté en opportunité en se recentrant sur des filières moins concurrentielles et plus rentables. Cette philosophie s’est forgée il y a plus de 70 ans : en 1949, un incendie dévaste une partie de l’usine alors spécialisée dans la porcelaine. Face à une concurrence mondiale croissante, les nouveaux dirigeants, Jean Verspieren et Bernard Decoster, prennent un virage radical.
Du made in Limoges à l’empire électrique mondial
L’entreprise abandonne la porcelaine pour se consacrer aux prises et interrupteurs électriques. Bernard Decoster expliquait en 2017 que « les Français avaient plus besoin de s’éclairer que de manger dans de belles assiettes ». Cette intuition s’est révélée prémonitoire : le secteur de la porcelaine décline face à la concurrence internationale, notamment chinoise, tandis que Legrand se positionne durablement sur l’électrique.
Après la Seconde Guerre mondiale, l’électrification des zones rurales et l’essor des infrastructures stimulent la demande en appareillage électrique, domaine dans lequel Legrand s’était déjà engagé dès les années 1920. Aux côtés d’autres acteurs comme Socomec et Arnould, Legrand s’impose. En 2023, Socomec réalise un chiffre d’affaires de 725 millions d’euros, près de douze fois moins que Legrand. Arnould, rachetée dans les années 1980, fait partie des quelque 100 filiales du groupe, implantées dans 90 pays.
Les paris sur la santé connectée et les data centers
Legrand poursuit une politique d’acquisitions dynamique, avec 140 entreprises rachetées en 70 ans, dont neuf en 2024. Chaque directeur régional consacre 15 à 20 % de son temps à repérer des cibles potentielles, un mécanisme presque industrialisé. Depuis les années 2010, le groupe concentre ses efforts sur deux secteurs prometteurs : la santé connectée, qui génère près de 200 millions d’euros en 2024, et les centres de données, nouveaux relais de croissance majeurs.
Sur la dernière décennie, Legrand a réalisé six acquisitions dans la santé et plus de vingt dans les infrastructures numériques. L’activité data centers a connu une croissance organique de 15 % en 2024, représentant désormais 20 % du chiffre d’affaires total. Benoît Coquart, directeur général, souligne que cette activité est passée de 300 millions d’euros en 2017 à 1,8 milliard d’euros en chiffre d’affaires pro forma l’an dernier. Le groupe vise une croissance de 10 à 20 % dans ce secteur pour 2025.
Cette expansion s’appuie aussi sur l’investissement annuel de 5 % du chiffre d’affaires dans la recherche et développement, soutenant l’innovation en plus des acquisitions. Benoît Coquart insiste sur l’importance de plans d’action flexibles, essentiels face aux incertitudes économiques mondiales, notamment depuis le retour de Donald Trump à la présidence américaine.
Une vigilance accrue face aux incertitudes américaines
Avant même la réélection de Donald Trump en novembre 2024, Legrand anticipait une possible guerre commerciale avec de nouvelles barrières douanières. Le groupe a tiré les leçons des surtaxes imposées en 2018, qui avaient entraîné une perte estimée entre 60 et 70 millions de dollars (soit environ 61 à 71 millions d’euros) de chiffre d’affaires. Pour limiter l’impact, Legrand a ajusté ses prix, amélioré sa productivité et diversifié ses sources d’approvisionnement.
Benoît Coquart estime que si la situation tarifaire américaine se stabilisait à un niveau plus modéré, l’impact pourrait être compris entre 150 et 200 millions de dollars (environ 153 à 204 millions d’euros) en 2025, et beaucoup plus si les tarifs maximaux étaient maintenus. Malgré cela, il reste confiant dans la résilience du groupe face aux obstacles commerciaux.
Le marché nord-américain représente près de 40 % du chiffre d’affaires de Legrand, un point de vulnérabilité en cas de durcissement commercial. Près de la moitié des coûts de production destinés à ce marché proviennent d’importations du Mexique et de Chine, deux pays ciblés par les politiques tarifaires américaines. Ce risque est d’autant plus critique que l’Amérique du Nord concentre deux tiers de l’activité data centers, moteur principal de croissance du groupe. Un durcissement pourrait donc entraîner une double peine : baisse des ventes et augmentation des coûts d’approvisionnement.
Le plan d’investissement français de 109 milliards d’euros annoncé en janvier 2024 dans la création de data centers par Emmanuel Macron pourrait toutefois offrir une alternative locale à long terme.