Table of Contents
La question de l’utilité de l’enseignement de l’entrepreneuriat agite désormais les écoles de commerce et les fondateurs : les formations académiques forment‑elles réellement les créateurs d’entreprise ou servent‑elles surtout de tremplin social et professionnel ?
Demande croissante de formations en entrepreneuriat et nouvelles offres
Sur le papier, des exemples comme Evan Moore semblent faire la publicité des business schools : pendant ses études à la Stanford Graduate School of Business, il a cofondé DoorDash, groupe américain de livraison de repas aujourd’hui valorisé plus de 70 milliards de dollars (61 milliards d’euros) et en expansion, notamment après l’acquisition de la britannique Deliveroo. Pourtant, il déclare sans ambages : “Rien de ce que j’ai appris en école de commerce n’avait de rapport avec la création d’une entreprise”.
Malgré ces réserves, la demande pour des cursus axés sur les start‑up est en hausse. Selon l’organisme d’accréditation AACSB, le nombre de programmes de master en entrepreneuriat a augmenté de 6 % entre 2019 et 2024. Des établissements de référence, comme le Babson College (Wellesley, Massachusetts) ou la Cambridge Judge Business School, proposent des qualifications spécialisées, tandis que d’autres universités multiplient cours sur l’innovation, lean start‑up, financement et conférences d’entrepreneurs.
“La demande est aujourd’hui beaucoup plus forte qu’à n’importe quelle période passée”, explique Bo Becker, directeur du département finance de la Stockholm School of Economics. “Il existe de nombreux exemples d’entrepreneuriat réussi et nous sommes en pleine période de disruption. Les étudiants savent que cela peut être gratifiant.”
Réseau, sélection et rôle des écoles dans la réussite des fondateurs
Le débat porte moins sur l’existence de formations que sur leur contribution réelle à la réussite entrepreneuriale. Parmi 1 000 entreprises américaines financées par du capital‑risque et valorisées plus d’un milliard de dollars (≈ 870 millions d’euros), 29 % comptaient au moins un fondateur titulaire d’un diplôme de business school de niveau master, relève Ilya Strebulaev, professeur de capital‑investissement à Stanford.
“La valeur réside moins dans la formation académique que dans le réseau, le fait d’être exposé à différentes façons de penser et le temps et l’espace qu’on nous accorde pour tester des idées.” Ilya Strebulaev note par ailleurs que, parmi les programmes de MBA, Stanford compte le plus grand nombre de fondateurs de licornes sur 1 000 diplômés, suivi par Harvard et le MIT Sloan.
Il souligne aussi l’intérêt des dispositifs pratiques : le “start‑up garage” de Harvard, où les étudiants conçoivent des entreprises, a donné naissance à 130 d’entre elles dans le monde réel. “Je suis toujours très prudent en matière de causalité, mais de nombreux éléments tendent à confirmer l’importance d’avoir fait une école de commerce pour mener des entreprises performantes”, ajoute‑t‑il.
L’expérience pratique privilégiée par certaines écoles et entrepreneurs
Plusieurs intervenants estiment que l’apprentissage pratique prime sur l’académisme. À la Warwick Business School (Royaume‑Uni), on propose des sessions informelles avec des entrepreneurs, un accompagnement long terme et des formations au montage de financements. Simon Barnes, professeur à Warwick, observe que certains étudiants optent pour les start‑up face à la concurrence sur le marché du travail, et que “même les enfants d’âge scolaire développent parfois leurs propres ‘activités parallèles’, comme la vente en ligne.”
Il conseille souvent de rejoindre une jeune entreprise plutôt que de créer immédiatement la sienne : “Tâchez d’être le 10e ou le 12e employé. Si vous entrez dans une entreprise à un stade relativement précoce de sa croissance, vous serez exposé à tout ce qu’elle fait. Si elle réussit, vous pourrez devenir le prochain milliardaire ; si elle échoue, vous aurez acquis une expérience considérable.”
Bo Becker rappelle que la trajectoire n’est pas figée : “Les sociétés de capital‑risque adorent les personnes qui ont déjà eu une expérience entrepreneuriale. Avoir essayé pendant trois ans et échoué est une excellente qualification.”
Mada Seghete, titulaire d’un MBA de Stanford et cofondatrice d’Upside, explique que son cursus lui a apporté “la confiance nécessaire pour tester une idée sans prendre de risques personnels importants avant de se lancer après l’obtention de son diplôme”. Elle ajoute : “La valeur réside moins dans la formation académique que dans le réseau, le fait d’être exposé à différentes façons de penser et le temps et l’espace qu’on nous accorde pour tester des idées.”
Limites perçues et avantage sélectif des écoles de haut niveau
Plusieurs fondateurs relèvent des limites : Evan Moore admet que certains cours (relations interpersonnelles, conversations difficiles) lui ont été utiles, “mais pas au moment de créer son entreprise”. Il reconnaît cependant la valeur du temps passé à Stanford pour nouer des liens avec des étudiants d’autres facultés, parmi lesquels ses cofondateurs. “Certaines [écoles] attirent davantage d’entrepreneurs en herbe. Lorsque vous recrutez dans de bonnes écoles, c’est vraiment une question de sélection”, dit‑il.
Le constat est constant : les business schools apportent des réseaux, des ressources et un environnement propice à l’expérimentation, mais leur rôle exact dans le succès entrepreneurial reste difficile à isoler de facteurs de sélection et d’écosystèmes locaux — comme la Silicon Valley — qui combinent universités, investisseurs, conseillers et appétence pour le risque.
“Les business schools sont tellement ancrées dans le monde de l’entreprise qu’elles ont du mal à aider les étudiants à comprendre ce que signifie réellement créer une entreprise.” — Evan Moore
Le débat se poursuit : les écoles multiplient les offres pratiques et spécialisées pour répondre à la demande, mais fondateurs et chercheurs insistent sur l’importance du réseau, de l’exposition aux idées et de l’expérience vécue pour transformer une formation en réussite entrepreneuriale mesurable.