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Un matin étouffant sur la côte de la mer Rouge, les grues du port de Port-Soudan brillent comme des os métalliques immobiles. Le trafic de marchandises est réduit, et l’air est chargé de questions plus que d’odeur saline.
Entre la crainte du capital et son appétit pour la clarté, le Soudan se trouve à un carrefour : comment passer d’un paysage de guerre à un terrain propice à l’investissement ?
Contexte : ressources abondantes et confiance absente
Malgré les villes réduites en ruines, le pays conserve des atouts pour l’avenir : vastes terres agricoles, gisements aurifères et position stratégique reliant l’Afrique aux voies maritimes de la mer Rouge.
L’investissement ne se limite pas à l’arrivée de capitaux ; il exige des règles claires et des institutions capables de les appliquer. Sans cela, le « investissement étranger au Soudan » restera hésitant.
Pour devenir un moteur de développement, l’investissement doit générer emplois, technologie et accès aux marchés — et non servir uniquement d’exutoire aux ressources.
Histoire de l’investissement : de l’indépendance à la dépendance
Le premier cadre juridique a vu le jour en 1956, suivi par d’autres lois qui n’ont cependant pas attiré de flux étrangers significatifs jusqu’aux années 1990.
Les réformes néolibérales et la loi de 1990 (modifiée en 1996) ont ouvert l’économie. L’arrivée du pétrole a entraîné un pic d’investissements, culminant à 3,5 milliards de dollars en 2006.
La séparation du Sud et la perte des champs pétrolifères ont fait chuter les investissements : de 2,3 milliards en 2011 à 1,1 milliard en 2018, montrant la vulnérabilité d’une croissance dépendante d’un seul secteur.
Après 2019, les réformes économiques ont tenté de stabiliser la situation, mais les flux d’investissements étrangers sont restés faibles, enregistrant des niveaux historiquement bas.
Agriculture : la « sierra-alimentation » menacée malgré un potentiel immense
Le Soudan possède environ 175 millions d’acres cultivables, soit près de 40 % des terres arables du monde arabe, et dispose d’importantes ressources hydriques naturelles.
Avant les années 1990, l’agriculture recevait la majeure partie des IDE. Mais l’essor pétrolier a détourné les capitaux, réduisant l’investissement agricole à une part marginale.
Les investissements agricoles étrangers ont souvent bénéficié aux investisseurs au détriment des communautés locales, entraînant expulsions et tensions.
Points clés :
- Plus de deux tiers de la population dépend de l’agriculture et de l’élevage.
- Le secteur a repris une part importante des exportations après la crise pétrolière, mais la pauvreté reste très répandue.
- Des investissements du Golfe ont afflué, estimés à des dizaines de milliards, souvent sans garanties sociales suffisantes.
Carte du Soudan
Le pétrole : un boom qui n’a pas profité au plus grand nombre
Le pétrole a constitué l’essentiel des investissements étrangers au tournant des années 2000, représentant jusqu’à 95 % des IDE en 2000.
Ces revenus ont alimenté la croissance du PIB et l’expansion industrielle, mais les bénéfices ont été captés majoritairement par l’élite politique et économique.
Les recettes pétrolières ont aussi servi à financer des dépenses militaires et des conflits, au détriment des services publics comme la santé et l’éducation.
Avec 75 % des réserves dans le Sud, la sécession a privé le Nord de sa principale source de devises, entraînant un retournement économique brutal.
Ancien Premier ministre Abdallah Hamdok et le chef du Conseil souverain, Abdel Fattah al-Burhane, lors d’une conférence économique à Khartoum
L’or : espoir économique devenu source de conflit
Après la perte du pétrole, l’or s’est imposé comme principale ressource monétaire, passant de 15 % des exportations en 2011 à 54,3 % en 2021.
Mais l’exploitation aurifère a alimenté la violence, la contrebande et des transferts illégaux massifs de métal précieux hors du pays.
Estimation alarmante : entre 2012 et 2018, environ 97 % de la production aurifère aurait échappé aux circuits officiels, privant le pays de milliards de dollars.
Carte de la répartition de l’or au Soudan
Impact de la guerre sur l’économie et la société
Depuis avril 2023, le conflit a provoqué un exode massif et des pertes humaines et matérielles considérables.
Conséquences économiques majeures :
- Contraction du PIB de 29 % en 2023, avec un risque d’une baisse cumulée atteignant 42 % si le conflit perdure.
- Inflation galopante et effondrement du dinar soudanais : environ 170 % d’inflation en 2024 et un effondrement du taux de change parallèle de 355 %.
- Chômage élevé (47 %) et plus de 71 % de la population sous le seuil de pauvreté.
Le tissu industriel saigne : 66 % des usines sont fermées totalement ou partiellement, 80 % des structures sanitaires hors service et plus de 10 400 écoles fermées.
Les infrastructures — routes, ports, communications — ont été endommagées, compliquant la reprise économique et décourageant l’investissement étranger au Soudan.
Feuille de route en cinq axes pour restaurer la confiance
Relancer l’investissement exige des mesures concrètes et coordonnées. Voici les cinq piliers proposés :
- Paix et réformes politiques : la stabilité politique et sécuritaire est la condition sine qua non pour attirer des capitaux.
- Réformes économiques : éliminer les privilèges opaques, renforcer le secteur privé local et garantir un environnement concurrentiel.
- Cadre juridique modernisé : réviser la loi sur l’investissement, créer une fenêtre unique d’octroi de licences et assurer transparence et contrôle des contrats agricoles et miniers.
- Reconstruction des infrastructures : routes, ports et électricité via des partenariats public-privé pour accélérer la relance.
- Partenariats internationaux équilibrés : diversifier les partenaires financiers, conditionner les investissements à des protections sociales et mobiliser l’épargne diaspora via des fonds souverains ou dédiés.
Ces mesures peuvent transformer l’investissement étranger au Soudan en levier d’une reconstruction inclusive, plutôt qu’en moteur d’une nouvelle dépendance.
Dernières réflexions
Le Soudan a déjà expérimenté plusieurs programmes imposés par des institutions internationales, sans résultat durable pour les plus vulnérables.
Pour que l’investissement ne se résume pas à un pillage des ressources, il faut des lignes rouges : transparence, reddition de comptes, affectation des revenus à l’infrastructure et aux services essentiels, et protection des communautés locales.
La vraie question n’est pas seulement si l’investissement étranger reviendra, mais sous quelles conditions. Le choix d’aujourd’hui déterminera si le capital devient pont vers la reconstruction ou répétera les schémas d’exploitation du passé.