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Aux premières heures du 15 mai 2024, le cargo « Borkum » était ancré au large de la côte espagnole, près de la ville de Carthagène. Sur le quai du port, des dizaines de militants agitaient des drapeaux palestiniens, exigeant l’inspection du navire suspecté de transporter des armes destinées à l’État israélien. Parallèlement à ces manifestations populaires, neuf députés européens ont adressé une lettre au Premier ministre espagnol Pedro Sánchez, demandant l’interdiction d’entrée pour le navire, arguant que le passage d’une cargaison militaire vers Israël équivalait à un soutien implicite à un État faisant l’objet d’une enquête internationale pour génocide contre les Palestiniens.
Avant que le gouvernement espagnol ne réagisse, le cargo « Borkum » a brusquement changé de route, évitant Carthagène pour se diriger vers le port de Koper en Slovénie, sans fournir d’explication officielle. Ce revirement a été interprété par des responsables européens comme une confirmation indirecte des soupçons sur la nature de la cargaison et sa destination finale, ainsi que sur l’origine des munitions embarquées, impliquant ainsi une complicité dans les actes d’extermination israéliens.
Un massacre à Gaza alimenté par des composants indiens
Selon une enquête réalisée par Al Jazeera en anglais, le navire transportait des explosifs expédiés depuis le port de Chennai, dans le sud-est de l’Inde, en direction du port d’Ashdod, à une trentaine de kilomètres de la bande de Gaza. Les données de suivi maritime indiquent que le « Borkum » a quitté Chennai le 2 avril 2024, empruntant un trajet contournant la mer Rouge pour éviter les attaques des Houthis contre les navires liés à Israël, en représailles au génocide à Gaza.
Des documents obtenus par le réseau de solidarité contre l’occupation en Palestine révèlent que la cargaison comprenait plus de 20 tonnes de moteurs de fusées, 12,5 tonnes de pièces détachées pour les charges explosives des fusées, 1500 kg de matériaux hautement explosifs et plus de 700 kg de munitions d’artillerie.
Un secret contractuel interdit de mentionner explicitement la société israélienne des industries militaires (IMI), un des principaux fabricants de munitions et moteurs de fusées en Israël, désormais détenue par Elbit Systems depuis 2018. Ce secret renforce les soupçons quant à la provenance et la destination finale de la cargaison, notamment du fait des investissements d’Elbit Systems dans des sites de production en Inde, particulièrement à Hyderabad, où elle collabore avec des entreprises locales produisant des composants militaires. Ces éléments suggèrent que la cargaison a été assemblée en Inde avant d’être expédiée à Israël, destinée à être utilisée dans les opérations en cours dans la bande de Gaza.
Par ailleurs, le journal israélien Yediot Aharonot a rapporté qu’Inde fournissait à Israël des obus d’artillerie, des armes légères et des drones depuis le début du conflit.
Un renforcement accéléré des importations militaires indiennes vers Israël
L’incident du « Borkum » s’inscrit dans un contexte plus large qui témoigne de l’intensification rapide des livraisons militaires de l’Inde à Israël durant les premiers mois de la guerre à Gaza. Une autre embarcation, le « Marian Danica », partie également de Chennai le 8 avril 2024 avec 27 tonnes d’explosifs à destination finale Haïfa, a été empêchée d’entrer dans le port espagnol de Carthagène le 21 mai 2024, en raison de la nature militaire de sa cargaison.
Le ministre espagnol des Affaires étrangères, José Manuel Albares, a confirmé que cette décision reposait sur le contexte du conflit en cours. Quelques jours plus tard, des preuves plus tangibles sont apparues, avec la publication par des médias des restes d’une fusée israélienne sur un refuge de l’ONU dans le camp Al-Nusirat, contenant un label clairement marqué « Made in India ».
Le missile israélien « Barak 8 » propulsé par des carburants indiens
Ces révélations dessinent un schéma systématique de soutien de l’Inde à la guerre israélienne contre Gaza. Malgré une posture officielle de neutralité et d’appel à la paix, les entreprises indiennes continuent de fournir à Israël des composants essentiels à son arsenal militaire présent sur le terrain.
Parmi ces entreprises figure Primer Explosives Ltd, spécialisée dans la fabrication d’explosifs et carburants pour fusées, ainsi que dans la production de bombes fumigènes et de têtes militaires. Cette société a conclu des contrats directs de fourniture de composants explosifs à Israel Aerospace Industries (IAI). Les matériaux clés fournis comprennent le RDX (hexogène) et le HMX (octogène), des explosifs puissants utilisés dans des applications avancées telles que les têtes de guerre et les bombes à pénétration.
Le RDX a notamment été identifié dans une opération visant à détruire des dispositifs de communication « pager » utilisés par le Hezbollah libanais en septembre dernier. Ces substances ont une grande stabilité pour un stockage prolongé et une puissance d’explosion élevée, ce qui les rend fondamentales dans l’efficacité des têtes militaires.
Le missile israélien « Barak 8 », fruit d’une collaboration indo-israélienne, utilise un moteur propulsé par ces explosifs solides à haute énergie, améliorant sa capacité d’accélération, de manœuvre et son efficacité pour intercepter des cibles aériennes sophistiquées, des avions aux missiles guidés. Ces matériaux sont essentiels à la puissance destructive du missile.
Les preuves de l’utilisation du « Barak 8 » dans les hostilités à Gaza sont apparues alors que des navires israéliens de la classe « Sa’ar 6 » ont été modifiés pour intégrer ce système de défense avancé. Primer Explosives a été la première entreprise privée indienne à exporter des moteurs de fusée vers Israël en 2021, marquant le début d’une coopération industrielle militaire renforcée.
Au premier trimestre 2024, la société a enregistré des revenus sans précédent attribués aux exportations vers Israël en pleine intensification du conflit, comme l’a confirmé le PDG T. Choudary lors d’une réunion avec des investisseurs.
La guerre propulsée par le conglomérat Adani
Au-delà des explosifs et des fusées, des systèmes d’armement plus complexes issus de la coopération indo-israélienne ont été livrés, notamment le drone « Hermes 900 ». Cette technologie provient des installations de Gautam Adani, homme d’affaires indien parmi les plus riches d’Asie, via la société Adani-Elbit installée à Hyderabad.
Adani-Elbit a fourni les composants nécessaires à l’assemblage de plus de vingt drones « Hermes 900 », utilisés par l’armée de l’air israélienne pour la reconnaissance et les frappes ciblées. Ces drones sont largement déployés au-dessus de Gaza pour des missions de surveillance et d’attaque.
Ce partenariat remonte à 2018 avec la création de l’usine Adani-Elbit, la première hors d’Israël, spécialisée dans la production de structures en carbone et de sous-systèmes pour ces drones, sous supervision technique israélienne. Adani est également associé à la production d’armes légères utilisées aussi bien par les forces israéliennes que les forces de sécurité indiennes via une coentreprise avec Israel Weapon Industries (IWI).
Selon le chercheur Azad Issa, les projets Adani forment la colonne vertébrale d’un solide partenariat militaro-industriel indo-israélien. Ce lien est renforcé par les visions similaires du Premier ministre indien Narendra Modi et du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou, qui cherchent à transformer leurs pays respectifs en « démocraties ethniques » favorisant une seule communauté dominante.
Le rôle crucial des entreprises indiennes dans la machine de guerre israélienne
Outre Adani, d’autres entreprises indiennes jouent un rôle central dans l’alimentation du matériel militaire israélien. Indian Ordnance Limited (MIL), une entreprise publique du ministère de la Défense indien, a expédié au moins deux cargaisons vers Israël en janvier et avril 2024. Bien que les licences d’exportation ne précisent pas les produits exacts, leur classification en « usage dual » implique une flexibilité d’usage entre civil et militaire.
Cette catégorisation masque parfois la réalité des finalités, notamment dans le contexte du conflit à Gaza, et soulève des questions sur la responsabilité partagée dans la fourniture de matériaux utilisés pour des actes de guerre et d’extermination.
La société Primer Explosives bénéficie également de licences similaires, suggérant une stratégie d’évitement visant à déconnecter l’armée indienne de ces ventes controversées et à restreindre la transparence publique.
Par ailleurs, des groupes privés comme Tata fournissent des composants électroniques sophistiqués destinés aux drones israéliens et aux systèmes radar, tandis que Wave Mechanics Ltd, spécialiste des composants mécaniques, équipe Elbit Systems avec des pièces essentielles pour les armes et avions militaires.
Electronics Bharat, une société entièrement publique, est un acteur clé du partenariat, produisant des capteurs et des systèmes laser participatifs dans les capacités de surveillance et de défense israéliennes.
Au total, au moins 19 entreprises indiennes collaborent avec des entités militaires israéliennes dans la fabrication et la fourniture de composants d’aviation, électroniques et explosifs, contribuant ainsi à l’aggravation du conflit et du génocide à Gaza.
Un alignement stratégique aux conséquences humaines lourdes
Ce panorama révèle que la montée de l’Inde en tant que fournisseur clé des armements israéliens lors de la guerre à Gaza ne relève pas du hasard, mais d’un partenariat stratégique fondé sur des intérêts économiques et militaires convergents.
Israël y voit un partenaire industriel capable de réduire ses coûts de production grâce à une main-d’œuvre qualifiée à moindre coût. Ce partenariat ouvre aussi un vaste marché pour le secteur militaire israélien, conservant une dynamique de ventes essentielle.
De son côté, l’Inde bénéficie de transferts de technologies avancées, notamment dans l’optique électronique, permettant d’améliorer ses capacités de défense locale comme l’illustre la collaboration avec la société Tonbo Imaging qui améliore la précision des missiles israéliens via des technologies développées en Inde.
Cette alliance cadre avec la politique indienne « Made in India » visant à renforcer l’autonomie industrielle militaire. Cependant, la véritable indépendance technologique reste limitée, car les composants clés, comme les moteurs et caméras thermiques des drones Hermes, demeurent israéliens, plaçant l’Inde dans une dépendance stratégique.
En définitive, l’association entre des intérêts sécuritaires convergents et des ambitions industrielles motivent l’Inde à tourner le dos à son héritage diplomatique traditionnel proche des Palestiniens et du monde arabe, pour soutenir ouvertement Israël dans le conflit de Gaza.
Chaque missile comprenant des composants indiens et chaque drone utilisé pour tuer des civils accentuent la responsabilité éthique de l’Inde, désormais corollaire d’une alliance idéologique entre l’hindutva et le sionisme, marquée par des implications directes sur le terrain à Gaza.