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Crise politique en Tunisie : quel avenir après Sais
Depuis la prise de pouvoir en Tunisie, la détention de dirigeants politiques, hommes d’affaires et journalistes accusés de « complot contre la sécurité de l’État » a marqué l’année 2023. Cette période a vu s’accumuler les tensions dans un contexte social, économique et politique déjà fragile, renforçant le flou et la complexité de la situation nationale.
Une crise sociale et économique persistante
- Les prix des denrées alimentaires ne cessent d’augmenter, tandis que leur disponibilité reste insuffisante, provoquant des files d’attente devant les boulangeries et les marchés.
- Le taux de chômage dépasse 16 %, atteignant 35 % chez les jeunes, poussant beaucoup à l’émigration clandestine vers les côtes européennes, exposés aux dangers de la mer, aux accusations d’immigration illégale et à la précarité dans les quartiers populaires.
- La consommation et le trafic de drogues explosent dans diverses formes, alimentant l’insécurité sociale.
- Les suicides ont atteint un niveau alarmant, avec environ 40 % des victimes étant des jeunes durant le dernier trimestre de 2024, selon le Forum tunisien des droits économiques et sociaux.
Cette montée du désespoir s’explique notamment par la perte de confiance dans la situation actuelle et un avenir incertain.
Une situation économique sous haute tension
- La dette publique tunisienne a dépassé 42 milliards de dollars en 2023.
- La dette intérieure représente environ 53,8 % du total, avec une prévision d’atteindre 58 % fin 2025, liée aux emprunts auprès des banques locales.
- La dette extérieure s’élève à environ 46,2 %, portant la dette totale à plus de 80 % du produit intérieur brut, une proportion inquiétante pour experts et autorités.
Plusieurs accords de prêts ont été ratifiés, notamment avec l’Union européenne, la France, des institutions africaines et la Banque arabe pour le développement économique, suscitant des craintes quant à la dépendance et à la pression politique extérieure.
Par ailleurs, la lutte anti-corruption menée par le président Kais Saïed a eu pour effet de ralentir fortement l’investissement interne. Les nouvelles mesures financières, notamment la suppression des chèques, ont freiné la fluidité des transactions et découragé les entrepreneurs.
Cette atmosphère d’incertitude juridique autour des accusations de corruption a contraint les acteurs économiques à la prudence, freinant la création de projets porteurs de richesse et de dynamisme économique, pourtant espérés comme les promesses de la révolution tunisienne.
Restrictions des libertés et procès politiques
Le recul significatif des libertés publiques, autrefois considérées comme un compromis face à la précarité, est dénoncé par de nombreux rapports des médias, organisations des droits humains, syndicats, partis d’opposition, institutions régionales comme la Cour africaine des droits de l’homme, et le Parlement européen.
Même des partis favorables au pouvoir reconnaissent aujourd’hui la nécessité de la reprise des libertés, notamment la révision du décret présidentiel 54, qui a conduit à l’emprisonnement de plusieurs journalistes et blogueurs, reléguant la Tunisie dans les bas-fonds des classements internationaux en matière de liberté.
Les procès politiques sont marqués par des pratiques inédites : exclusion des médias, recours à des audiences à distance, témoignages anonymes, absence de confrontation des accusés avec les témoins, défense entravée, et dossiers judiciaires souvent qualifiés de vides ou fabriqués.
Cette situation a creusé une crise structurelle et profonde au sein du pays. Elle a atteint un point critique ces dernières semaines, avec la perte totale de confiance des élites politiques envers le pouvoir central et ses mesures jugées autoritaires.
Appels au dialogue et répression
- Les forces politiques et intellectuelles ont multiplié les appels à un dialogue national incluant toutes les composantes politiques pour sortir de la crise, mais le président Kais Saïed reste sourd à ces demandes.
- Les appels au retour à la démocratie ont été confrontés à une répression judiciaire sévère, avec des peines de prison allant de 8 à 66 ans pour les détenus du dossier dit de « complot ».
- Le pouvoir a relancé une rhétorique de « trahison » et de diabolisation des opposants, tandis que ses partisans criminalisent toute contestation sociale, comme lors des manifestations dans la région de Mazouna, où la chute d’un mur d’un lycée a causé la mort de plusieurs élèves.
- Le président a salué la « solidarité entre la société et la police » lors de cet incident, malgré les nombreuses allégations de violences policières et d’entrave à la couverture médiatique dans cette zone.
Ce contexte traduit un refus clair de dialogue, de démocratie et de liberté d’expression.
Le « jour d’après » : un défi majeur
Le débat sur le « jour d’après » le mandat du président Saïed gagne en intensité chez les opposants et les élites, révélant plusieurs questions clés :
- Le président lui-même affirme fermement qu’il n’y aura « aucun retour en arrière » et qualifie de « chimère » toute idée de transition postérieure à son régime.
- Ses soutiens, issus de la gauche nationaliste, des anciens proches du régime de Ben Ali et de l’État profond, redoutent ce « jour d’après », qui ouvrirait la voie à des enquêtes politiques et judiciaires sur leurs actions depuis le coup d’État de 2021.
- La crainte d’un retour en force du mouvement Ennahdha, balayé par le coup d’État faute de succès électoral, accentue cette appréhension.
- Les divisions au sein même de l’opposition démocratique, notamment sur l’alliance avec Ennahdha, compliquent la perspective d’une coalition unie pour l’avenir.
- Une faction radicale de gauche refuse catégoriquement tout retour d’Ennahdha, préférant un terrain politique vierge où ils pourraient exercer leur influence sans partage.
- L’État profond considère définitivement close l’ère des partis, de la démocratie et des libertés, notamment l’islam politique, qu’il souhaite exclure durablement.
- Le cadre constitutionnel tunisien ne prévoit pas de mécanismes clairs pour une transition post-présidentielle, la Cour constitutionnelle n’étant pas encore opérationnelle, et ni le Premier ministre ni le président du Parlement ne disposant d’un pouvoir de succession effectif.
Influence extérieure et enjeux géopolitiques
Une hypothèse majeure, rarement évoquée, est le rôle que pourrait jouer l’influence extérieure dans l’organisation du « jour d’après ». Cette influence est multiple et reflète des intérêts variés, y compris des alliances régionales et internationales en lien avec la situation en Palestine et le contexte plus large du Maghreb.
La Tunisie pourrait ainsi servir de modèle ou de laboratoire pour la gestion des crises dans d’autres pays arabes confrontés à des défis géopolitiques complexes.
Ce « jour d’après » s’annonce difficile :
- Certains anticipent une seconde révolution décisive.
- D’autres misent sur une solution interne, portée par l’État profond et les forces politiques dominantes.
- Enfin, certains prévoient une intervention extérieure, politique, susceptible de rebattre les cartes, comme cela a été le cas lors de l’arrivée de Ben Ali au pouvoir ou de la révolution de 2011.
Après le renversement de Bourguiba par Ben Ali en 1987, la chute de ce dernier lors de la révolution populaire de 2011, et le coup d’État de 2021 qui a interrompu la transition démocratique, la Tunisie fait face à une nouvelle étape incertaine.
Il est certain que l’avenir ne sera pas un simple retour en arrière, car l’histoire ne se répète jamais exactement.