Table of Contents
Entre christianisme et croyances spirituelles africaines au Nigeria
Depuis son enfance, la vie de Chidi Nwaohia oscille entre deux chemins spirituels : le christianisme et la religion traditionnelle africaine. Élevé dans une famille chrétienne non confessionnelle à Amachi Nsulu, près d’Aba dans le sud-est du Nigeria, il raconte une existence marquée par le mystère.
Avant même son premier anniversaire, il disparut pendant la nuit pour être retrouvé le lendemain dans la même tranchée fouillée la veille. Trois jours plus tard, une crise soudaine le plongea dans une maladie grave. Ses parents, désemparés, consultèrent d’abord un hôpital, puis un guérisseur traditionnel. Ce dernier expliqua que sa maladie était un signe de son destin inévitable : devenir un guide spirituel des anciens rites Igbo. Selon lui, il était la réincarnation de son grand-père, un puissant prêtre traditionnel dont le retour avait été prédit avant sa mort.
Cette croyance n’est pas rare dans les cultures d’Afrique de l’Ouest. Cependant, la mère de Nwaohia, profondément chrétienne, reçut cette prophétie avec scepticisme et la lui cacha.
Un parcours spirituel entre foi chrétienne et tradition
À 17 ans, en 1983, Nwaohia fut baptisé. Le jour même, il eut un accident à moto qui lui fit penser qu’il suivait une mauvaise voie. Ignorant encore la prophétie, il devint à 18 ans professeur de Bible dans son église locale. Mais un grave accident de voiture en 1987, laissant une jambe handicapée malgré des soins prolongés, le poussa à consulter un dibia, qui interpréta ses blessures comme une vocation au sacerdoce traditionnel.
À 23 ans, après avoir parlé à sa mère, celle-ci lui révéla la prophétie longtemps gardée secrète. Peu à peu, il accepta son rôle spirituel et fut officiellement ordonné dibia en 1993 lors d’une cérémonie mêlant prières, rituels de purification, danses et invocations aux ancêtres et divinités Igbo.
Une montée des croyances spirituelles africaines chez les jeunes
Le christianisme reste la religion dominante au Nigeria, pays de plus de 200 millions d’habitants. Pourtant, depuis que Nwaohia a changé de chemin spirituel, un nombre croissant de jeunes s’éloignent des confessions monothéistes pour se tourner vers les croyances indigènes, selon plusieurs leaders religieux et observateurs.
Bien que les données soient rares, cette tendance s’est accentuée depuis les années 2000. Certains y voient un désintérêt croissant pour le christianisme, d’autres dénoncent l’emphase mise par certains pasteurs sur la richesse matérielle au détriment du bien-être spirituel, ce qui pousse les fidèles à explorer d’autres options religieuses.
Coexistence et tensions entre christianisme et religions traditionnelles
Introduit au Nigeria par les Portugais au XVe siècle, le christianisme s’est d’abord limité aux zones côtières avant de s’étendre avec la colonisation britannique au XIXe siècle. Avant cela, les Nigérians pratiquaient des religions centrées sur les ancêtres, les mondes spirituel et physique, et des divinités communautaires.
De nombreux convertis rencontrent aujourd’hui l’opposition familiale et sociale. Les croyances traditionnelles sont souvent stigmatisées comme « païennes » ou « sorcières », un héritage des discours coloniaux qui les dénigraient. Malgré cela, certains pratiquent les deux religions simultanément, participant aux offices chrétiens tout en consultant un dibia et en observant des rituels traditionnels.
Cette dualité reflète une volonté de conciliation dans un contexte où les tensions religieuses ont parfois généré des violences entre communautés chrétiennes et musulmanes.
Des motivations variées pour un retour aux racines spirituelles
Au-delà des questions purement spirituelles, la recherche de richesse facile motive certains jeunes à embrasser les croyances traditionnelles, pensant que les divinités leur accorderont des bénédictions financières ou des pouvoirs surnaturels.
Cependant, plusieurs observateurs pointent aussi la commercialisation croissante des églises chrétiennes, l’accent mis sur l’argent et la marginalisation des fidèles modestes, qui suscitent une désillusion et un rejet de la foi chrétienne.
Cette dynamique est renforcée par des pratiques parfois douteuses de certains leaders religieux, comme des demandes d’offrandes excessives ou des détournements de fonds, ce qui érode la confiance des fidèles.
Réactions des églises et défis pour l’avenir
Face à ces évolutions, certaines églises mènent des réformes pour mieux répondre aux attentes des fidèles, en proposant par exemple un soutien social ou éducatif. Des prêtres adoptent une approche plus prudente dans leur enseignement afin de regagner la confiance de la communauté.
Pourtant, la montée des croyances indigènes menace la suprématie du christianisme, notamment chez les jeunes, qui sont souvent les moteurs des pratiques liturgiques en église.
Selon des historiens et religieux traditionnels, cette évolution traduit un refus des générations actuelles d’accepter passivement un héritage imposé par la colonisation. La liberté d’expression facilitée par les réseaux sociaux contribue à faire émerger un débat plus ouvert sur l’histoire et la spiritualité du pays.
Le mode de culte africain traditionnel
Chaque jour, à Amachi Nsulu, Nwaohia pratique des rituels qui lient l’humain au monde spirituel. Il applique des marques de kaolin autour des yeux, boit du gin en libation et offre des noix de kola aux divinités présentes dans son sanctuaire, décoré d’effigies et de sang d’animaux.
La prière est rythmée par des libations, des offrandes alimentaires et des sacrifices d’animaux pour apaiser les esprits. Contrairement aux religions monothéistes, il n’existe pas de loi écrite stricte, mais une tradition orale et une relation personnelle avec les éléments naturels et les ancêtres.
Les adeptes croient que certaines fautes, telles que le meurtre ou l’injustice, portent atteinte non seulement aux humains mais à l’équilibre de la nature tout entière.
Défis pour les nouveaux convertis
La religion traditionnelle, basée sur la méditation et l’expérience individuelle, manque de structures formelles d’enseignement, ce qui complique la transmission des savoirs aux jeunes convertis, souvent issus de familles chrétiennes.
Le manque de mentors et la stigmatisation sociale peuvent entraîner isolement et confusion. Certains convertis, comme Kingsley Akunwafor, pratiquent leur foi en secret par crainte du rejet familial et social.
Malgré ces obstacles, des conversions réussies existent, avec parfois l’acceptation progressive des proches, comme dans le cas de Nwaohia, dont la famille a finalement soutenu son engagement spirituel.