Home ActualitéDiscours de Netanyahou : un langage de guerre et de division en Israël-Palestine

Discours de Netanyahou : un langage de guerre et de division en Israël-Palestine

by Sara
Israël, Palestine

Une image numérique, nette et froidement éclairée, ouvre le récit : une boîte en carton, une photo carrée d’une fillette nommée Mona, âgée de quatre ans, dont les restes ont été recouverts dans un cercueil improvisé. D’autres séquences montrent des enfants palestiniens tâtonnant un sol jonché d’éclats, ramassant les restes de leurs proches dans des sacs plastiques blancs. Sur une rue paisible, un enfant disparaît du cadre sous la frappe « précise » d’un drone.

La haute définition rend tout plus efficace : son clair, couleurs tranchées, et une mise en scène du meurtre presque « propre », qui transforme la technologie en esthétisation de la violence. La supériorité militaire y est vendue comme un idéal moral, un droit du plus fort à décider qui survit.

Quand l’image tombe mais le récit tient

Au début, beaucoup ont cru que ces outils numériques – s’ils avaient existé plus tôt – auraient pu changer le cours d’événements historiques, de Hama dans les années 1980 aux camps d’Auschwitz et à Srebrenica. Pourtant, après deux ans de diffusion en direct de la guerre et de l’offensive israélienne à Gaza, la réalité est claire : l’image seule ne suffit pas à arrêter les massacres.

La diffusion a néanmoins réussi à fissurer la narration israélienne dominante. Elle a révélé que la colère mondiale n’est pas répartie équitablement : la couverture médiatique varie selon que la victime soit israélienne, ukrainienne ou palestinienne, minimisant souvent la tragédie palestinienne.

Cette contradiction illustre l’impuissance d’une science qui mesure tout en nanosecondes mais reste incapable d’évaluer la douleur humaine sur une même échelle.

Et certains mots sont des balles

La confrontation n’a pas seulement lieu avec des armes : elle commence par les mots, la bataille des définitions et la guerre sémantique qui déshumanise l’autre. Les récits qui justifient les massacres dépouillent la victime de son histoire, de sa dignité et de sa citoyenneté.

Ainsi, l’extermination se forge d’abord depuis les tribunes des responsables politiques, des médias et des religieux. Les cibles sont les enfants, les hôpitaux, les universités, les musées, les intellectuels, les journalistes et les médecins — et tout cela commence par une parole blessante.

Benyamin Netanyahou fixe un récit calibré pour l’auditeur occidental : « la lumière » contre « les ténèbres », « la civilisation » contre « le terrorisme », « les amoureux de la vie » contre « les adeptes de la mort ».

Cette rhétorique transforme le conflit en un test moral simpliste : d’un côté un Occident civilisé et de l’autre des Arabes « barbares », ramenés aux stéréotypes forgés par Sykes-Picot et les puissances coloniales. Ces catégories ne sont pas de simples mots : elles sont des armes idéologiques qui privent d’égalité et légitiment la domination.

Netanyahou présentant une carte de Gaza pour expliquer un axe stratégique
Netanyahou présente une carte de Gaza pour expliquer l’importance d’un axe près de la frontière égyptienne (Reuters).

La mise en scène du leader

Écoutez les allocutions de Netanyahou : elles sont structurées comme des slogans rythmés. Maîtrise du tempo, variations vocales, pauses calculées pour déclencher des applaudissements et un sourire de triomphe discret. Ce sont les techniques d’un leader habitué à jouer plusieurs masques.

Il emprunte au vocabulaire colonial du XIXe siècle (« civilisation » vs « barbarie »), recycle le discours américain de la « guerre contre le terrorisme » et joue parfois le protecteur des minorités, liant leur sécurité à celle d’Israël lors de son discours à l’Assemblée générale en 2025.

Malgré ces efforts, ses interventions récentes, notamment devant l’Assemblée générale des Nations unies le 26 septembre 2025, se sont heurtées à une salle clairsemée, révélant l’isolement croissant d’Israël et la fragilité du récit colonial qui peine à convaincre.

Face à l’augmentation des pertes militaires et à l’isolement politique, Netanyahou multiplie les appels au monde occidental, demandant un soutien fondé sur la « victimisation éternelle » d’Israël, une rhétorique visant à justifier une escalade militaire.

Histoire de deux concepts : « terrorisme » et « civilisation »

Les termes « terrorisme » et « civilisation » ont une histoire lourde et ambiguë. Apparus ensemble en Europe au XVIIIe siècle, ils ont d’abord porté d’autres sens. « Terrorisme » désignait au temps de la Révolution française la force censée protéger les idéaux républicains.

Après la chute de Robespierre en 1794, les mots ont pris une connotation négative, utilisés par les élites pour diaboliser les opposants. Au XIXe siècle, « terrorisme » a servi à stigmatiser les mouvements démocratiques et les peuples colonisés.

Quant à « civilisation », il devint un motif pour justifier l’expansion coloniale française et britannique : la prétendue supériorité culturelle servait de prétexte moral à la domination et à l’exploitation.

Commémoration israélienne des soldats tombés
Israel commémore ses soldats morts lors du « Yom Hazikaron » sous le slogan « victimes du terrorisme » (EPA).

Au XXIe siècle, après le 11 septembre 2001, la dichotomie « civilisation » vs « terrorisme islamiste » s’est renforcée. Israël, fortement soutenu par l’Occident, reprend ce registre colonial pour se présenter comme rempart contre les « ténèbres », réemployant un récit qui alimente l’exclusion et la violence contre les Palestiniens.

Ce recul historique explique pourquoi ces notions réapparaissent si souvent dans le discours de Netanyahou et comment elles servent aujourd’hui à légitimer occupation, violences et politiques de nettoyage ethnique.

Les outils du discours de haine

La construction de l’extermination passe par des systèmes symboliques et matériels qui produisent une connaissance falsifiée au service d’un État. Ces systèmes classent, colorent, sonorisent et imagent les groupes humains afin de fabriquer une vérité acceptable.

Le discours de droite en Israël tend à se présenter en termes positifs : « lumière », « morale », « humanité » et « monde civilisé ». Il proclame sa légitimité démocratique et libérale tout en désignant l’autre comme le mal absolu.

En parallèle, les Palestiniens sont souvent représentés comme « monstres », « animaux humains » ou « terroristes ». Cette déshumanisation vise à nier leur dignité, leur histoire et leur droit à la terre.

L’usage du terme « civilisation » devient alors un instrument pour justifier l’exclusion et la violence, préparant psychologiquement les soldats à affronter un « mal » imaginaire.

Comment ce récit trouve des échos

Selon le sociologue Pierre Bourdieu, la force symbolique n’existe que si des groupes distincts reconnaissent sa légitimité. Netanyahou cherche donc à construire une solidarité occidentale qui le placerait au sommet d’un prétendu « défenseur de la civilisation ».

Des dirigeants occidentaux ont parfois adopté ou toléré cette narration. On a vu des hommages aux otages israéliens sans une condamnation immédiate des milliers de victimes palestiniennes, et un accent mis sur certains traumatismes historiques plutôt que sur la continuité de l’extermination actuelle.

« Ce n’est pas un choc de civilisations… C’est un choc entre barbarie et civilisation… » — Netanyahou, devant le Congrès, 25 juillet 2024.

Cette instrumentalisation symbolique se manifeste aussi dans des gestes et des parodies : des soldats se moquent des habitudes palestiniennes, imitant vêtements, nourriture ou rythmes de vie pour mieux figer l’image du « sous-homme ». Mais ces tentatives n’ont pas empêché l’émergence d’une opinion mondiale critique et de récits alternatifs.

Stratégies de communication et influence

À la suite des réactions mondiales défavorables, Netanyahou a réuni le 26 septembre 2025 des personnalités américaines pro-israéliennes à la consulat israélien de New York pour tenter de restaurer le soutien. Des sociétés privées ont été engagées pour organiser une contre-offensive médiatique.

Des rapports évoquent le recours à Bridges Partners LLC pour piloter un réseau d’influence nommé en interne « Esther », destiné à contrer ce que l’on présente comme « l’antisémitisme » sur TikTok et X.

  • Usage d’influenceurs ciblant la génération Z.
  • Création de contenus adaptés aux algorithmes des plateformes.
  • Tentatives de reprogrammation des réponses des intelligences artificielles sur le conflit.

Dans les médias, Netanyahou accuse parfois les Arabes de falsifier l’histoire et de diffuser des mensonges via réseaux, universités et organisations, reprochant aux opposants de nier l’héritage historique d’Israël.

Netanyahou avec Elon Musk dans des colonies proches de Gaza
Netanyahou (centre) accompagné du milliardaire Elon Musk lors d’une visite dans des colonies en bordure de Gaza (Al Jazeera).

La stratégie du « frappe et accuse »

Un mécanisme récurrent est la stratégie qui vise à se dédouaner en accusant l’autre d’avoir provoqué le conflit. Israël prétend n’avoir « pas voulu la guerre » mais y avoir été contraint par les factions palestiniennes, leur imputant la responsabilité totale.

Pour étayer cette défense, des allégations non vérifiées — viols collectifs, décapitations, tortures — ont été diffusées, réveillant des traumatismes historiques et mobilisant émotions et justifications politiques.

Ce mécanisme sert à inverser la charge morale : le colonisateur se réclame victime, tandis que la victime devient l’accusée, autorisant des ruptures des normes et des conventions humanitaires sous couvert de nécessité sécuritaire.

Affaiblir le droit international

Netanyahou et certains de ses alliés défient le droit international en prétendant que les interprétations religieuses ou narratives peuvent primer sur les conventions protectrices des civils. Ils qualifient souvent les organisations de défense des droits humains comme des agresseurs systématiques d’Israël.

Sur le terrain, Israël a recours à une rhétorique qui assimile tout lieu civil à une potentielle base ennemie : mosquées, hôpitaux et zones de refuge seraient utilisés comme « boucliers humains » par les groupes armés selon ses déclarations.

Pour justifier militairement ces frappes, l’État israélien invoque le principe de précaution et de proportionnalité, tout en multipliant les attaques contre des zones dites « sûres ».

Palestiniens marchant parmi les décombres à Gaza
Des Palestiniens marchent parmi des immeubles détruits à Gaza, 15 octobre 2025 (REUTERS/Ebrahim Hajjaj).

Des enquêtes et reportages, dont une étude de la BBC, ont montré que des zones désignées « sûres » par l’armée israélienne ont subi des dizaines d’attaques entre mai 2024 et janvier 2025, contredisant les affirmations sur la protection des civils.

L’argumentation officielle transforme ainsi chaque espace et chaque personne en cible potentielle, sapant le principe de distinction entre civils et combattants et normalisant des mesures collectives de punition : privations d’eau, de carburant et nourriture, et conditions sanitaires catastrophiques.

La symbolique des cartes et l’empire imaginaire

La carte est un instrument de pouvoir. En présentant des cartes, Netanyahou cherche à imposer ce qui doit être vu et ce qui doit être effacé, sculptant l’imaginaire géopolitique et moral.

Il a utilisé des cartes devant l’Assemblée générale en 2024 et 2025 pour opposer visions « bénéfiques » et « maudites », dessinant des corsets géopolitiques et des lignes de fracture destinées à légitimer des projets d’infrastructure ou des campagnes militaires.

Dans une interview, il a évoqué une « grande Israël » et remis à sa femme une carte prétendument familiale et patrimoniale, geste chargé de symboles pour séduire un public occidental.

Netanyahou brandissant une carte à l'ONU
Netanyahou brandit une carte en qualifiant certains pays de « maudits » lors de son intervention à l’ONU en septembre 2025 (AFP).

Après deux années de conflit, la résilience populaire palestinienne a mis en évidence l’échec des armes et des narrations impériales. Le soulèvement et la résistance ont démontré que la densité humaine et culturelle en Palestine résiste aux tentatives d’annihilation.

La bataille actuelle porte aussi sur la conquête des consciences : la guerre alterne entre offensives militaires et promesses de prospérité, visant l’asservissement tant de l’esprit que de la terre. L’histoire continue de se jouer entre récits de domination et aspirations de liberté.


source:https://www.aljazeera.net/politics/2025/10/17/%d8%a7%d9%84%d9%83%d9%84%d9%85%d8%a7%d8%aa-%d8%a7%d9%84%d9%85%d8%aa%d9%88%d8%ad%d8%b4%d8%a9-%d8%a7%d9%84%d9%81%d8%a7%d8%b4%d9%8a%d8%a9-%d8%a7%d9%84%d9%85%d8%aa%d9%81%d8%ac%d8%b1%d8%a9

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