Home ActualitéEt si le pavillon suisse était conçu par Lisbeth Sachs ?

Et si le pavillon suisse était conçu par Lisbeth Sachs ?

by Sara
Suisse, Italie

À l’occasion de la Biennale d’architecture de Venise, une proposition audacieuse interroge l’histoire et l’espace du Pavillon suisse en convoquant la figure pionnière de Lisbeth Sachs, une des premières femmes architectes indépendantes en Suisse. Cette initiative met en lumière une architecture inclusive et respectueuse des ressources, en offrant une relecture créative mêlant passé et présent.

Lisbeth Sachs : une pionnière de l’architecture suisse

Kathrin Füglister rappelle que Lisbeth Sachs est une figure emblématique : l’une des premières femmes architectes suisses à s’être installée de manière indépendante. Son approche dépasse la spécialisation technique pour privilégier un rôle d’interlocutrice entre les contraintes environnementales et les acteurs du projet. Elle valorisait une architecture soucieuse des ressources – humaines et naturelles – et ouverte au dialogue.

Une superposition temporelle et spatiale au cœur de la Biennale

La proposition pour la Biennale vise à superposer des fragments de la Kunsthalle, un pavillon d’art éphémère conçu par Lisbeth Sachs en 1958 pour l’Exposition suisse du travail féminin (SAFFA) à Zurich, sur le Pavillon suisse de Bruno Giacometti construit dans les années 1950 à Venise. Amy Perkins explique qu’il ne s’agit ni d’une comparaison ni d’une confrontation, mais d’une traduction architecturale. En respectant les dimensions d’origine et en miroir, la juxtaposition engendre un nouvel espace de dialogue spéculatif : un « Et si ? » questionnant les formes alternatives que le pavillon suisse aurait pu adopter.

Elena Chiavi précise que, faute de conservation de la Kunsthalle, leur travail s’appuie sur d’autres œuvres restantes de Sachs, comme la Maison du lac Hallwiler et le Théâtre de Baden, récemment rénové avec soin.

Un manifeste d’autonomie et un processus ouvert

Une phrase manuscrite découverte dans les archives de l’ETH Zurich, « Endgültige Form wird von der Architektin am Bau bestimmt » (La forme finale sera déterminée par l’architecte sur place), révèle une volonté forte d’autonomie de Sachs sur chantier et dans la conception. Cette déclaration inhabituelle dans les années 1950 souligne son rôle central.

Myriam Uzor explique que, contrairement à la recherche classique d’une forme définitive, le projet laisse place à une décision sur site, en exprimant une flexibilité et un dialogue permanent entre les architectures, les équipes et les corps de métier. Axelle Stiefel ajoute que le terme allemand bestimmen (décider) est lié à la notion de voix (Stimme) et d’harmonie (Stimmung), évoquant ainsi la pluralité des voix humaines et non humaines présentes sur le site, y compris celle, presque fantomatique, de Lisbeth Sachs.

Une collaboration sur le terrain, au cœur de la démarche

Le travail sur place à Venise favorise un contact direct avec les ouvriers et spécialistes, évitant une vision imposée à distance. Elena Chiavi souligne la nécessité d’être à la fois entendues et écoutées, particulièrement dans un milieu encore largement masculin. Cette vulnérabilité mise en lumière par le groupe Annexe sert aussi à amplifier les voix des femmes et à rendre visible cette réalité.

Axelle Stiefel raconte les trajets en vaporetto aux Giardini, où la présence féminine est rare, et la confrontation des décisions architecturales avec des contestations sur le terrain. Cette mise en visibilité fait partie intégrante de leur pratique artistique et politique.

L’importance de la dimension sonore dans l’installation

Axelle Stiefel, artiste accompagnante, insiste sur la place centrale du paysage sonore dans l’installation proposée. Chaque membre du groupe Annexe a recueilli, sans consignes, des enregistrements divers lors de résidences et déplacements – au col de la Furka, à Lausanne, Zurich, Genève, Londres et Venise. Ces sons ont été revisités collectivement pour en extraire des principes de conception qui nourrissent la composition auditive finale, témoin vivant du processus de construction.

Une initiative féminine dans un paysage architectural masculin

Amy Perkins souligne que les Giardini, lieu emblématique de la Biennale, ont longtemps été un « no woman’s land », sans pavillon conçu par une femme. Cette réalité l’a poussée à chercher dans les archives une figure féminine aussi marquante que celle de Bruno Giacometti. Cette recherche vise à offrir aux étudiantes et visiteurs une expérience spatiale unique et enrichissante, avec un pavillon reconstruit, non pas en copie, mais en traduction.

Myriam Uzor espère que cette plateforme permettra de révéler des voix féminines souvent oubliées ou marginalisées.

Réinterpréter l’héritage de Lisbeth Sachs aujourd’hui

La reconstruction du pavillon ne cherche pas à « réparer » l’histoire, mais à modifier les conditions qui ont empêché Lisbeth Sachs de trouver pleinement sa place. Le pavillon de la Kunsthalle devient une architecture vivante et actuelle, une interprétation ouverte qui dialogue avec celle de Giacometti pour offrir un espace inédit. Il ne s’agit pas d’une simple exposition sur l’architecture, mais d’une mise en œuvre architecturale elle-même.

La diversité et l’avenir de l’architecture

Kathrin Füglister insiste sur l’importance cruciale de la diversité – au-delà du genre – pour trouver des solutions adaptées et inclusives dans tous les domaines. Le projet agit dans le présent, sans essayer de remédier au passé.

Axelle Stiefel rappelle que le changement est déjà en cours depuis longtemps. Le collectif Annexe s’engage à discuter des modèles et pratiques, en s’appuyant sur les contributions historiques des femmes pour s’inscrire dans une perspective durable et plurielle. Favoriser des voix diverses est une manière de participer à la construction d’un futur plus harmonieux.

Un processus lent, réfléchi et collaboratif

Elena Chiavi explique que le groupe prend le temps d’échanger et de questionner les modes de travail. L’objectif n’est pas la rapidité ou la production immédiate d’un résultat, mais la recherche d’une collaboration sincère qui remette en cause les systèmes actuels de construction.

Myriam Uzor conclut en soulignant que, face à l’impossibilité de changer le passé, la vraie interrogation porte sur la situation actuelle. Leur proposition expérimentale vise à ouvrir de nouvelles étapes, en s’appuyant sur la fiction comme outil d’imagination pour se demander : « Et si… ? »

source:https://www.espazium.ch/fr/actualites/et-sile-pavillon-suisse-avait-ete-concu-par-lisbeth-sachs

You may also like

Leave a Comment