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François Burgat, éminent orientaliste et politologue français né en 1948 dans l’Est de la France, s’est spécialisé dans l’étude des mouvements islamiques au sein du monde arabe et musulman. Directeur de centres de recherche de renom tels que l’Institut Français du Proche-Orient et le Centre National de la Recherche Scientifique, Burgat se distingue en tant que l’une des rares voix académiques occidentales audacieuses à critiquer l’Occident ainsi que sa perception colonialiste et condescendante envers le monde islamique.
Burgat attribue à l’Occident la responsabilité de l’émergence de l’extrémisme et du radicalisme à travers ses politiques et son soutien aux régimes autoritaires. Des analystes le considèrent comme un prolongement des grands chercheurs français tels que Maxime Rodinson et Jacques Berque.
Jeunesse et Formation
François Burgat naît le 2 avril 1948 à Chambéry dans la région de Savoie, à l’est de la France.
Études et Formation Académique
Burgat poursuit des études de droit pour son cursus de licence et de maîtrise à l’Université de Grenoble, la troisième plus grande université de France. Il obtient en 1981 un doctorat en droit et en sciences politiques avec une thèse intitulée « Les villages socialistes de la révolution agraire algérienne: le rôle du droit dans le changement social ».
Carrière et Responsabilités
- En tant qu’assistant enseignant, il commence sa carrière professionnelle en enseignant le droit à l’Université de Constantine en Algérie de 1973 à 1980.
- Après avoir obtenu son doctorat, il est nommé chercheur au CNRS en 1983, à Aix-en-Provence dans le sud-est de la France.
- En 1989, il déménage en Égypte pour travailler au Centre Français d’Études et de Documentation Économiques et Juridiques au Caire, jusqu’en 1993.
- En 1997, il emménage au Yémen en tant que directeur de l’Institut Français des Sciences Sociales et d’Archéologie à Sanaa, où il y reste jusqu’en 2003.
- De 2008 à 2013, il dirige l’Institut Français du Proche-Orient, supervisant ses filiales en Jordanie, Syrie, Liban, Irak et Palestine.
- Depuis 2018, il préside bénévolement le conseil scientifique et administratif du Centre Arabe de Recherche et d’Études Politiques, filiale française.
- Il est à la tête d’un programme de recherche collectif « Lorsque l’autoritarisme échoue dans le monde arabe », financé par le Conseil Européen de la Recherche et est membre du Conseil Européen des Relations Extérieures.
- Directeur honoraire au CNRS.
- Chercheur émérite à l’Institut de Recherches et d’Études de l’Arabie et du monde musulman.
Expérience et Trajectoire
La première expérience de Burgat dans l’enseignement du droit à l’Université de Constantine en Algérie en 1973 ne marque pas son premier contact avec le monde arabe et musulman; il l’avait déjà côtoyé à l’âge de 16 ans lorsqu’il accompagne sa tante lors d’un pèlerinage de chrétiens français à Jérusalem.
C’est à Jéricho qu’il rencontre un enfant palestinien qui lui dit : « Les Juifs m’ont pris ma terre », une révélation qui va à l’encontre de ce qu’il a appris sur la Palestine et l’existence des Palestiniens dépossédés de leurs terres.
Cette prise de conscience demeurera ancrée dans son esprit, influençant par la suite son interprétation et son analyse de l’émergence des mouvements islamiques, qualifiés par certains chercheurs de « l’islam politique ». Ses séjours prolongés dans plusieurs pays arabes auront renforcé sa carrière professionnelle et sa voie de recherche.
François Burgat considérait que l’immigré musulman idéal aux yeux de la France était celui qui renonce à sa religion (Al Jazeera)
Après s’être établi en Égypte comme chercheur en 1989 au Centre Français d’Études et de Documentation Économiques et Juridiques au Caire, puis au Yémen en tant que directeur de l’Institut Français des Sciences Sociales et d’Archéologie à Sanaa et directeur des branches de l’Institut Français du Proche-Orient en Jordanie, Syrie, Liban, Irak et Palestine, en plus de voyages dans plusieurs pays arabes tels que la Tunisie et le Soudan, il découvre ce qu’il considère comme le « regard stéréotypé de l’Occident » sur l’Orient et sur les musulmans en général.
L’étude de la langue arabe en Tunisie et en Égypte lui permet une immersion plus profonde dans la culture arabe et islamique, et le dialogue avec les dirigeants du mouvement islamique comme [Hassan al-Turabi], qu’il désigne comme le fondateur de « l’islam politique » au Soudan.
Burgat révèle que Turabi lui confiait que « dans le village, les gens nous demandent : pouvons-nous prier avec des pantalons ? et les soufis le refusent, mais nous disions que ces aspects n’étaient que formels », citant cet exemple pour souligner l’efficacité et la popularité des mouvements islamiques depuis les années 80 et 90 en opposition aux mouvements religieux traditionnels.
Son séjour de 23 ans ans le monde arabe et le financement par la European Research Council des programmes de recherche, tels que « Du Golfe à l’Océan : entre violence et contre-violence » (2007-2010) et « Lorsque l’autoritarisme échoue dans le monde arabe » (2013-2017), lui ont permis de mettre en évidence de nombreuses réalités de la région arabe et islamique, ainsi que sur les mouvements islamiques et leur dynamisme interne, tout à l’opposé de l’image diffusée depuis des décennies par les médias occidentaux et des chercheurs.
Contrairement au penseur français Olivier Roy, le chercheur Gilles Kepel, et autres qui ont interprété le « radicalisme religieux » et la montée des mouvements islamiques, en particulier ceux décrits comme « radicaux » et « violents », en se référant aux textes religieux du Coran et de la Sunna, et au retour aux écoles de pensée islamiques, voyant le problème dans les textes eux-mêmes plutôt que dans ceux qui s’en servent et leurs niveaux intellectuels, leurs conditions sociales et économiques, alimentant ainsi le phénomène de « l’islamophobie« , selon Burgat.
Par opposition à ces idées, Burgat refuse de diaboliser de manière absolue les mouvements islamiques, faisant la distinction entre les musulmans et les « terroristes » et ne mettant pas tous les mouvements islamiques dans le même panier. Il considère que la colonisation, l’hégémonie et l’autoritarisme politique sont largement responsables de l’émergence de l’extrémisme et du radicalisme religieux, et que la double standard de l’Occident, notamment en ce qui concerne la liberté d’expression, a aggravé les choses, que ce soit par des attaques contre les symboles islamiques comme la profanation du Coran, ou par des occupations territoriales comme celle de la Palestine.
Burgat décrit la duplicité occidentale en disant : « Ils attaquent le Coran, mais ils ne manifesteront jamais contre les homosexuels ou les Israéliens, ce qui démontre une dualité de critères. » Il ajoute : « Si vous parlez avec 1% de la liberté d’expression contre la Torah ou contre un Juif, vous êtes immédiatement criminalisé, et vous êtes immédiatement interdit de parler aux médias officiels ».
Affrontement avec la Laïcité Française
François Burgat est connu pour parler franchement et clairement de son pays et de l’Occident en général, disant devant le parlement français que « le bon musulman aux yeux de l’Occident est celui qui abandonne l’islam ». Il considère que la politique officielle française est la cause de l’ascension du radicalisme religieux et de l’extrême droite en France, suite à son échec à intégrer les immigrants musulmans.
Il ajoute que c’est l’État qui cultive l’islamophobie ne faisant pas de distinction entre les musulmans modérés et les musulmans radicaux et mettant tout le monde dans le même panier, exploitant l’ignorance et la peur. La France se gargarise de dessins obscènes caricaturant les musulmans et leurs symboles religieux dans son journal Charlie Hebdo sous le couvert de la liberté d’expression, tout en cherchant à bannir des associations comme le Collectif Contre l’Islamophobie en France et protégeant la laïcité de manière sélective contre les musulmans, pas contre les catholiques ou les juifs.
Burgat explique que le conflit en France, suite à la montée de la laïcité extrême contre les musulmans, est un conflit entre les descendants des colonisateurs et ceux des colonisés qui refusent de voir les descendants des colonisés réclamer leurs droits, énonçant « une femme de ménage en France peut porter le hijab sans problème, mais si une femme veut porter le hijab et devenir professeur d’université ou avocate, les défenseurs de la laïcité s’élèvent alors ».
François Burgat fut marqué par les paroles d’un enfant palestinien qui lui avait dit : « Les Juifs m’ont pris ma terre » lors de son pèlerinage en Palestine (Getty Images)
Pour Burgat, il n’y a pas de différence de double standard entre la droite et la gauche françaises, accusant cette dernière d’être contre la religion et de ne pas avoir de programme contre l’islamophobie. Il voit que les principaux médias français, y compris les chaînes de télévision d’information, attisent les flammes et contribuent à la diffusion des discours de haine et d’islamophobie.
Burgat résume le problème de la France dans sa gestion des musulmans, que ce soit dans leurs pays d’origine ou sur son propre sol, expliquant qu’elle adopte la vision des régimes arabes sur le mouvement islamique, le mouvement politique et social dans le monde arabe et musulman, ne respectant pas les « valeurs françaises » qu’elle prône et suivant comme le reste de l’Occident, en ne prenant pas sa part de responsabilité et en blâmant la culture et la religion de l’autre, ayant dénigré le Coran et l’islam comme la religion de « l’autre étranger », et rejeté toute atteinte à l’Évangile ou à la Torah.
Le média français l’attaque de temps en temps, car il va à contre-courant du récit dominant sur le courant islamique et les causes de l’extrémisme religieux, et parce qu’il accuse l’Occident de ne pas soutenir la démocratie dans le monde arabe et musulman, et de défendre la dictature parce que des élections démocratiques honnêtes – selon lui – aboutiraient à l’élection d’islamistes venant d’une école modérée qu’il qualifie de laïque, démocratique et ouverte aux valeurs de la modernité.
Accusations d’Antisémitisme
Les médias français le voient comme un ami et un défenseur des Frères Musulmans, et l’ont accusé d’antisémitisme en 2014 parce qu’il a demandé la séparation du Conseil représentatif des institutions juives de France de l’État et l’indépendance des chaînes de télévision françaises de l’influence d’Entité sioniste. L’accusation a été répétée en 2018 et au début de 2019, sur la base de ce que Burgat a décrit comme des mensonges et des interprétations abusives de ses tweets.
Les attaques médiatiques contre lui se sont intensifiées en 2020 après qu’il a soutenu le penseur suisse Tariq Ramadan pendant son procès pour viol en France et en Suisse. Burgat a également été pris pour cible pour avoir signé une pétition questionnant ces accusations.
Marianne, un hebdomadaire français, considérait cela comme un doute sur la justice française et une accusation de partialité des juges contre Ramadan. Les attaques médiatiques ne s’arrêtent pas là, le décrivant comme un défenseur des islamistes et des Frères, en raison de sa méthodologie de recherche qui lui fait sortir du lot et s’oppose à la narration de l’élite laïque qui contrôle la France.
Le chercheur français François Burgat en 1995 (Getty)
Il ne s’est pas plié sous la pression et a critiqué l’agression israélienne sur Gaza après l’opération « Inondation de l’Al-Aqsa » en octobre 2023, tout comme il a dénoncé le soutien inconditionnel de l’Occident à l’agression.
En janvier 2024, il est à nouveau la cible des médias, accusé de « glorifier le terrorisme » après avoir exprimé sur le site X (ex-Twitter) son grand respect pour le mouvement de résistance islamique (Hamas), qu’il considère comme représentant la volonté du peuple palestinien, affirmant qu’il ne respecte pas les dirigeants israéliens, en réponse à un article du New York Times faisant état d’allégations de viol et de violence commis par les résistants contre des prisonniers.
Burgat a subi de nombreuses pressions dans les pays arabes et occidentaux pour influencer ses positions et tenter de l’empêcher de rencontrer des figures politiques de l’opposition, islamistes ou de gauche. Il a aussi été confronté à la pression du lobby pro-israélien en France, dont les branches médiatiques n’ont pas réussi à l’affaiblir avec leurs multiples accusations, y compris celle d’être un « islamo-gauchiste ».
François Burgat demeure l’un des plus grands spécialistes de la culture arabe et islamique par son expérience de terrain et ses contacts directs, offrant à l’Occident une perspective différente sur les mouvements islamiques de toutes tendances, en opposition à d’autres chercheurs qui n’ont travaillé que sur le versant théorique, les textes et les débats religieux et sectaires de l’islam, sans prendre part au monde arabe et musulman et écouter son rythme quotidien, en se basant sur des arrière-plans idéologiques et les désirs de leurs décideurs occidentaux, plutôt que sur les faits objectifs sur le terrain.
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Les œuvres
Au cours de son long parcours de recherche, il a produit et supervisé des dizaines de recherches et d’études. Il a écrit des livres importants issus de la recherche sur le terrain, en se concentrant sur les courants islamiques dans toutes leurs orientations, ceux qui se sont engagés dans la vie politique et ceux qui l’ont boycottée. Ses œuvres mettent en lumière leur dynamique interne variée, leurs opinions et leurs conceptions, ainsi que la façon dont l’Occident les perçoit et les comprend. Parmi ses publications :
- « L’Islam politique… La voix du Sud ».
- « L’Islam politique à l’époque d’Al-Qaïda ».
- « Comprendre l’Islam politique : Un parcours de recherche sur l’autre islamique, 1973-2016 ».