Home Actualité Impact du gel des aides américaines sur la justice en Syrie

Impact du gel des aides américaines sur la justice en Syrie

by Sara
Impact du gel des aides américaines sur la justice en Syrie
Syrie, États-Unis

Impact du gel des aides américaines sur la justice en Syrie

Les décisions du président américain Donald Trump de couper les aides étrangères ont porté un coup dur à plusieurs organisations humanitaires et de défense des droits humains engagées dans la justice et l’enquête sur les crimes de guerre commis par le régime de l’ex-président Bachar al-Assad et d’autres parties impliquées.

Parmi les principales organisations affectées par cette politique figure la défense civile syrienne, connue sous le nom des « Casques blancs », qui a documenté les conséquences des bombardements et des destructions tout au long des années de guerre en Syrie. La « Réseau syrien des droits de l’homme » a également été impacté, ayant joué un rôle crucial dans la collecte de preuves et l’enregistrement de témoignages relatifs aux crimes du régime syrien. S’ajoutent à cela un mécanisme international neutre et indépendant chargé de soutenir la collecte de preuves en Syrie, ainsi que d’autres organisations.

Cette suspension des aides survient alors que la mémoire des Syriens reste lourde des images de massacres, de fosses communes, et de milliers de disparus forcés depuis le début de la révolution syrienne. Leur espoir de justice et de poursuite des auteurs de ces violations après la chute du régime est grand. La question se pose donc : comment cette politique affectera-t-elle la poursuite des enquêtes sur les crimes de guerre, et quelles alternatives existent pour compenser le financement américain ?

Washington, principal bailleur de fonds

Durant les années de la révolution, de nombreuses organisations humanitaires et de défense des droits de l’homme en Syrie ont dépendu directement du financement américain via l’Agence américaine pour le développement international (USAID) ou indirectement par des programmes supervisés par d’autres organisations internationales.

Ce soutien a été essentiel pour maintenir leurs activités dans les secteurs de l’aide humanitaire, des services et de la documentation des violations.

  • En 2024, la contribution des États-Unis au financement de la réponse humanitaire et des appels d’urgence conjoints entre agences en Syrie a atteint 24,6 %.
  • En 2023, cette contribution s’élevait à 20 %, faisant des États-Unis le plus grand bailleur humanitaire unique pour la Syrie, selon une analyse publiée par le forum des organisations non gouvernementales opérant dans le nord de la Syrie.

Cette analyse, publiée le 26 février, révèle que 1,2 million de personnes ne reçoivent plus l’aide prévue en raison de la suspension américaine. Par ailleurs, 62 % des organisations interrogées affirment que leurs programmes financés hors des États-Unis ont aussi été affectés par ce gel, conditionné à une révision du secrétaire d’État, dont les modalités restent opaques et non communiquées.

L’USAID a été le plus grand financeur de la défense civile syrienne depuis près de dix ans, fournissant environ 27 % de son budget. Ce financement a permis de sauver de nombreuses vies au fil des années. Le reste des fonds provient de dons d’autres gouvernements et particuliers, selon Farouk Habib, directeur adjoint de l’organisation.

Le 20 janvier, le jour de la reprise de ses fonctions à la Maison-Blanche, Donald Trump a signé un décret exécutif gelant les aides étrangères américaines pour une durée de 90 jours, invoquant une « révision de l’efficacité et de la cohérence avec la politique étrangère américaine ». Il a déclaré vouloir aligner les dépenses extérieures sur les priorités de sa politique étrangère « America First ».

Un timing particulièrement sensible

Bien que cette décision ne cible pas exclusivement la Syrie, mais environ 5800 organisations à travers le monde, son calendrier a provoqué un choc particulier dans le contexte syrien.

Cette coïncidence s’explique par la période de transition très complexe que traverse la Syrie après la chute du régime Assad, avec un besoin accru de divers types de soutien, notamment en matière de justice et de reddition de comptes.

Selon plusieurs observateurs, la gestion du dossier de la justice à cette étape est extrêmement délicate :

  • Elle concerne non seulement la responsabilité des officiers et responsables du régime déchu.
  • Elle est directement liée aux efforts de construction d’un État moderne fondé sur le droit et les institutions.

Dans ce contexte, Steven Rapp, ancien ambassadeur américain chargé des crimes de guerre, qui a visité la Syrie en février, a déclaré à Voice of America que « ce n’est que le début de la justice transitionnelle en Syrie, et la tâche est immense ». Il a mis en garde contre les complications induites par la suspension des aides américaines, qui entrave la collecte de preuves et les prélèvements ADN auprès des survivants et des familles des victimes.

Plus de 130 000 personnes restent portées disparues depuis décembre dernier, selon le Réseau syrien des droits de l’homme, ce qui souligne l’importance du soutien international pour poursuivre les enquêtes sur les fosses communes, identifier les victimes et traduire les coupables en justice.

Farouk Habib souligne que la coupure du financement intervient à un moment critique où la Syrie a un besoin urgent d’assistance humanitaire et de secours, alors que la demande pour les Casques blancs s’est nettement accrue dans tout le pays.

Conséquences directes sur la justice

De nombreuses organisations syriennes et internationales actives dans la documentation et la responsabilité liées aux crimes de guerre ont dû réduire leurs activités ou se retirer de certains dossiers faute de financement, en raison de la nouvelle politique américaine, que ces organisations espèrent temporaire.

Le Réseau syrien des droits de l’homme en est un exemple marquant. Son directeur, Fadel Abdul Ghani, a expliqué que la réduction soudaine du soutien américain a gravement affecté leur travail :

  • Ils prévoyaient cette année de soumettre une demande de financement au bureau des droits humains du département d’État américain pour travailler sur de nouveaux dossiers de reddition de comptes.
  • Ils souhaitaient analyser des informations et des données avant la suspension du financement.
  • Ils disposent de milliers de documents détaillant des informations susceptibles d’aider les familles à découvrir le sort de leurs proches disparus, contenant souvent les noms des détenus, les dates de leur mort ou de leur transfert vers des fosses communes, ainsi que les noms des auteurs.
  • Le réseau envisageait également d’ouvrir un bureau à Damas, mais la suspension du financement de l’USAID a empêché cette initiative ainsi que l’embauche d’un nouveau chercheur dédié aux archives.

Des impacts désastreux

L’organisation « Femmes maintenant pour le développement », fondée en 2012 et engagée dans la recherche des personnes disparues et le soutien psychosocial aux survivants de la détention, a également été touchée.

Son programme le plus affecté est celui de soutien à six groupes focalisés sur les disparitions forcées, dont l’Association des familles de César, les familles pour la liberté, l’Association des détenus et disparus de la prison de Sednaya, et Masar.

Roua Al-Hamwi, directrice des programmes de justice de l’organisation, a déclaré que toutes les activités de renforcement des capacités de ces groupes de victimes ont cessé, y compris le soutien psychosocial, la gestion des cas et les activités de plaidoyer.

Pour les Casques blancs, Farouk Habib signale un financement spécial du département d’État américain concernant les dossiers des disparus et la réponse aux fosses communes, mais le gel du financement de l’USAID a des conséquences catastrophiques sur leur travail d’urgence. Ils cherchent à récupérer le contrat avec l’agence car il est difficile de le remplacer rapidement.

Selon un rapport de CNN, des documents adressés au Congrès américain montrent l’annulation d’un contrat de 30 millions de dollars destiné aux Casques blancs, commencé en février 2023, dont une partie des fonds a déjà été dépensée.

Existe-t-il une alternative ?

Malgré la difficulté de compenser le financement de l’USAID, plusieurs mesures peuvent être envisagées pour pallier cette situation et soutenir les efforts d’enquête sur les crimes de guerre et la documentation des violations.

Aladdin Al-Rishi, directeur du Centre éducatif des droits humains en Allemagne, souligne la nécessité de :

  • Former et soutenir les équipes syriennes locales aux techniques de documentation et de collecte de preuves selon les normes internationales, afin de réduire la dépendance coûteuse aux experts étrangers.
  • Diversifier les sources de financement en nouant des partenariats avec l’Union européenne, le Canada, qui continue de soutenir les droits humains et la justice internationale.
  • Renforcer la pression juridique et diplomatique par des campagnes de plaidoyer intensifiées pour inciter les États à respecter leurs obligations morales et légales envers les victimes de la guerre.
  • Créer un fonds international indépendant sous la supervision de l’ONU pour soutenir les projets de recherche des disparus et la poursuite des criminels de guerre, à l’abri des fluctuations politiques des grandes puissances.

En décembre dernier, l’Allemagne a annoncé un soutien de 60 millions d’euros pour des projets en Syrie, dont 7 millions destinés aux ONG pour promouvoir l’éducation, les droits des femmes et d’autres domaines après la chute du régime Assad, selon Reuters.

Lors de la conférence de Bruxelles en mars, le ministre syrien des Affaires étrangères, Assad Al-Shabani, a appelé la communauté internationale à maintenir son engagement envers le peuple syrien et à ne pas laisser les décisions politiques entraver les efforts d’aide essentielle.

Fadel Abdul Ghani insiste sur l’importance de multiplier les sources de revenus et invite les hommes d’affaires syriens de la diaspora à renouer avec l’époque des années 1950, lorsque la bourgeoisie syrienne finançait des initiatives à portée politique et sociale, telles que la création de forums et le soutien aux institutions nationales de la société civile.

Les observateurs estiment que s’appuyer sur plusieurs alternatives demeure la seule garantie pour ne pas compromettre les droits de dizaines de milliers de victimes syriennes en attente de justice, dans un monde où les priorités changent au gré des gouvernements.

source:https://www.aljazeera.net/politics/2025/4/24/%d9%83%d9%8a%d9%81-%d8%a3%d8%b6%d8%b9%d9%81-%d9%82%d8%b7%d8%b9-%d8%a7%d9%84%d9%85%d8%b9%d9%88%d9%86%d8%a7%d8%aa-%d8%a7%d9%84%d8%a3%d9%85%d9%8a%d8%b1%d9%83%d9%8a%d8%a9

You may also like

Leave a Comment


Droits d’auteur © 2024 – onemedia.fr – Tous droits réservés