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Un parallèle frappant entre Inde et Israël face au terrorisme
« Vous vivez une situation similaire à la nôtre : des groupes de personnes allant à un concert ou en vacances qui sont brutalement assassinées. C’est la même tendance sanguinaire, la même interprétation religieuse déformée. C’est un phénomène qu’il faut éradiquer totalement. C’est pourquoi Israël a eu la détermination et la force d’attaquer le Hamas comme nous l’avons vu. Nous sommes résolus à avancer pour défendre nos principes, nos lois et nos valeurs, et je suis certain que l’Inde fera de même. »
C’est par ces mots que l’ambassadeur d’Israël en Inde, Reouven Azar, a commenté l’attaque meurtrière du 22 avril dernier dans l’État indien du Jammu-et-Cachemire, où cinq assaillants ont attaqué des touristes, causant la mort de 26 d’entre eux.
Un soutien mutuel face à la menace du terrorisme islamiste
Le soutien affiché par l’ambassadeur israélien envers le gouvernement indien n’a rien d’étonnant. Ce n’est pas la première fois que les décideurs des deux pays expriment leur solidarité face au « terrorisme islamiste ».
Le Premier ministre indien Narendra Modi avait clairement manifesté son soutien total à Israël dès le 7 octobre 2023, qualifiant l’attaque du Hamas de terroriste. Cette position reflète non seulement la ligne officielle de New Delhi, mais aussi l’opinion générale des partisans du nationalisme hindou, qui considèrent l’alliance avec Israël comme un élément clé de la politique étrangère indienne sous le gouvernement Modi.
Cette évolution contraste avec l’attitude du Parti du Congrès, qui oscillait entre un soutien explicite à la cause palestinienne dans les années 1950 et 1960, et une posture plus neutre et diplomatique jusqu’à la fin des années 1990.
L’alliance Inde-Israël : une caractéristique désormais établie des relations internationales
Le rapprochement entre l’Inde et Israël est aujourd’hui une caractéristique reconnue des relations de Tel Aviv à l’échelle régionale et internationale. Cependant, cet alignement n’a pas été facile à obtenir. Les gouvernements israéliens successifs ont déployé d’importants efforts pour gagner l’Inde à leur cause, réussissant à faire passer la porte d’un isolement initial à une ouverture progressive après l’assassinat de la Première ministre indienne Indira Gandhi.
Cette porte est devenue grande ouverte avec l’arrivée au pouvoir du nationalisme hindou en 2014, qui a renforcé les liens avec Tel Aviv à tous les niveaux, des accords militaires et sécuritaires à l’instauration de vols directs et à l’augmentation des échanges touristiques.
Les relations étroites ont laissé leur empreinte jusque dans des régions reculées, comme les villages himalayens où l’on trouve désormais des panneaux en hébreu destinés aux touristes israéliens.
De l’Himalaya à Goa : la présence israélienne en Inde
Sur les rives de la rivière Parvati, près des montagnes de l’Himalaya, le village isolé de Kasol attire de nombreux voyageurs, notamment des Israéliens venus se détendre après leur service militaire obligatoire. On y trouve un grand nombre de bars, d’hôtels abordables, de cafés internet et une large diffusion de « charas », un cannabis indien de qualité.
Kasol offre aux touristes amoureux de la nature et de l’alpinisme un mélange de repos, de contemplation et d’air pur, parfois agrémenté de cannabis. La plupart des panneaux y sont bilingues, en hindi et en hébreu, en raison de la forte affluence des jeunes Israéliens, une tendance également visible dans l’État côtier de Goa, où ils fuient les hivers himalayens.
Ces jeunes sont souvent envoyés en Inde par des organisations gouvernementales ou non gouvernementales pour se remettre du stress militaire, ce qui transforme leur vie en une succession de fêtes, de consommation de drogues et de prostitution. Cette situation a suscité une réaction locale, y compris de la part de l’Église catholique de Goa, qui a publié un guide alertant sur le non-respect des coutumes locales et le manque d’humanité résultant des traumatismes vécus par ces soldats.
Goa voit aussi une présence notable d’hommes d’affaires israéliens qui achètent de vastes terrains, ce qui a conduit un député à mettre en garde contre une forme « d’occupation israélienne » et à dénoncer leur implication dans le trafic de drogue, protégée par leurs propriétés locales.
Les prémices : relations diplomatiques et obstacles historiques
La présence israélienne en Inde, bien que discrète, témoigne des progrès réalisés depuis l’ouverture officielle des relations diplomatiques en 1992. Pendant longtemps, la consulat d’Israël à Mumbai était considérée comme la « mission diplomatique la plus isolée au monde », avec seulement quatre employés, en raison de l’interdiction d’établir une ambassade à New Delhi et de l’absence de diplomates indiens à Tel Aviv.
Israël a néanmoins maintenu ses liens avec l’Inde grâce à ses avancées en agriculture, diffusant une revue bimestrielle et répondant aux questions des Indiens intéressés par ses technologies.
Les relations officielles ont commencé il y a environ 40 ans, avec une lenteur marquée côté indien. L’Inde s’est principalement intéressée aux compétences israéliennes en agriculture et en défense, tout en restant prudente vis-à-vis d’un rapprochement complet.
Les compagnies aériennes indiennes ont attendu 2017 pour lancer des vols directs vers Tel Aviv, tandis que de nombreux Indiens évitaient le tampon israélien dans leur passeport par crainte de refus d’entrée dans certains pays du Moyen-Orient.
Un changement de cap sous Narendra Modi
Le Premier ministre Modi a marqué un tournant décisif. Il est devenu en 2017 le premier chef de gouvernement indien à se rendre officiellement en Israël, suivi l’année suivante par la visite de Benjamin Netanyahu en Inde. Sous son leadership, l’Inde a renforcé ses liens avec Israël à tous les niveaux, des échanges commerciaux et technologiques aux accords militaires.
Modi, en tant que dirigeant issu du mouvement nationaliste hindou, a également promu la réévaluation de l’histoire indienne pour valoriser les figures nationalistes hindoues, renforçant ainsi la légitimité d’un État juif en Palestine au regard de la vision hindoue sur la sacralité des terres.
Les voyages directs entre les deux pays ont été établis en 2017, facilitant l’accroissement du tourisme et des échanges culturels.
La politique étrangère indienne a cependant maintenu un équilibre délicat, en poursuivant des relations stratégiques avec l’Iran et d’autres pays musulmans, tout en renforçant ses liens avec Israël, notamment dans un contexte géopolitique où la rivalité avec la Chine et le Pakistan reste prioritaire.
Un alignement stratégique en pleine mutation
La deuxième mandature de Modi a vu une accélération du rapprochement avec Israël, renforcée par l’alliance croissante entre New Delhi et Washington dans le cadre de la montée en puissance de la Chine. L’Inde perçoit désormais Israël davantage comme un partenaire stratégique au sein de ce qu’elle considère comme une coalition globale avec les États-Unis.
Les craintes de réactions négatives des pays arabes et iraniens se sont atténuées, en partie parce que plusieurs États de la région ont engagé des processus de normalisation avec Israël, et parce que le poids de l’Iran a diminué aux yeux de l’Inde, notamment à cause des crises internes et de l’échec de l’accord nucléaire avec Washington.
Le soutien exprimé par le gouvernement indien à Israël lors des récents attentats terroristes en octobre 2023 illustre cette évolution, adoptant une posture proche de celle des États-Unis et éloignée des positions plus équilibrées ou critiques exprimées par d’autres grandes puissances.
Un héritage diplomatique complexe
L’histoire des relations indo-israéliennes est marquée par un long héritage diplomatique, notamment sous les Premiers ministres Indira Gandhi et Rajiv Gandhi, qui ont longtemps suivi une politique de non-alignement et de soutien à la cause palestinienne, en partie pour des raisons électorales et pour maintenir de bonnes relations avec la communauté musulmane indienne.
La rivalité avec le Pakistan et les pressions régionales ont également façonné ces positions. Par exemple, en 1969, l’Inde fut exclue d’un congrès islamique organisé à Rabat, sous la pression du Pakistan et d’autres États, illustrant les difficultés rencontrées pour concilier ses intérêts stratégiques avec ses engagements diplomatiques.
La guerre des Six Jours en 1967, la guerre du Bangladesh en 1971 et les changements politiques en Égypte et au Moyen-Orient ont également influencé la posture indienne, qui a progressivement évolué vers une approche plus pragmatique et équilibrée.
Vers une diplomatie pragmatique et tournée vers l’avenir
Depuis les années 1980, la politique indienne a amorcé une transition vers une diplomatie plus pragmatique, cherchant à moderniser ses forces armées et à diversifier ses partenariats internationaux. Le rapprochement avec Israël s’inscrit dans cette logique, avec l’établissement de relations diplomatiques formelles en 1992 et le développement d’une coopération militaire et technologique substantielle.
La montée en puissance du nationalisme hindou et les réalités géopolitiques contemporaines ont accéléré cette évolution, faisant de l’alliance Inde-Israël un élément clé de la stratégie indienne face aux défis régionaux et globaux.