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L’ancien président kenyan Uhuru Kenyatta a lancé une attaque publique rare et virulente contre son successeur, William Ruto, l’accusant d’avoir détruit les acquis obtenus pendant une décennie de son gouvernement et d’avoir laissé les Kényans ordinaires livrés à la souffrance.
Ces déclarations, tenues devant des responsables du parti Jubilee à Nairobi, sont l’indication la plus claire à ce jour d’un retour d’Uhuru dans l’arène politique à l’approche des élections présidentielles Kenya 2027.
Accusations directes et message adressé aux électeurs
Uhuru a déclaré que « de nombreux acquis antérieurs se sont érodés et ont été remplacés par de nouveaux plans non éprouvés et non testés. Les Kényans ont été laissés à souffrir. Nos progrès reculent. »
Il a rappelé qu’il avait mis en garde les électeurs contre le soutien apporté à son ancien vice-président, avec lequel il a servi neuf ans, et dit avoir tenté de faire passer ce message lors du dernier scrutin sans être entendu.
Le nouveau vice-président Kithure Kindiki (à droite) a été photographié serrant la main de William Ruto lors de la cérémonie d’investiture.
Santé, économie et promesses non tenues
Au cœur des critiques d’Uhuru figure la crise économique qui frappe le pays : une dette croissante, des hausses d’impôts et une baisse du pouvoir d’achat.
- La charge de la dette a poussé le gouvernement de Ruto à augmenter les prélèvements, suscitant un large mécontentement.
- Des manifestations, notamment portées par des jeunes, ont éclaté l’an dernier et se sont soldées par des dizaines de morts lors d’affrontements avec les forces de l’ordre.
- Uhuru a dénoncé le démantèlement du programme « Linda Mama » (lancé en 2013) qui fournissait des soins gratuits aux mères et aux nouveau-nés, remplacé par un dispositif contributif géré par une nouvelle autorité de santé sociale.
Selon ses détracteurs, le nouveau système exclut les ménages pauvres et souffre d’un financement insuffisant. Uhuru a résumé la situation : « La promesse était de soins gratuits, et maintenant on demande aux gens de payer avant de recevoir des soins. »
Des analystes estiment qu’Uhuru ne se contente pas de pointer les erreurs du gouvernement, mais cherche aussi à relier les politiques de sa présidence à celles de Ruto pour souligner une continuité négative.
La « poignée de main » et l’accusation d’hypocrisie
Uhuru a reproché à Ruto son « hypocrisie politique », après le rapprochement récent de ce dernier avec le leader de l’opposition Raila Odinga, alors même que Ruto avait violemment rejeté leur ancienne alliance.
En 2018, Uhuru avait surpris le pays en scellant une « poignée de main » avec Odinga pour apaiser les tensions ethniques après des élections violentes. Cet accord avait contribué à stabiliser son second mandat.
Ruto, alors vice-président, avait interprété la démarche comme une trahison et s’était senti marginalisé, fissurant définitivement leur alliance avant le scrutin de 2022.
Aujourd’hui, confronté à un début de mandat difficile, Ruto a de nouveau tendu la main à Odinga, l’invitant à une coalition gouvernementale et offrant des portefeuilles ministériels à ses alliés.
Uhuru a réagi : « Quand j’ai cherché la cohésion nationale, j’ai été accusé de saper la démocratie. Comment appellent-ils ce qu’ils font aujourd’hui ? »
William Ruto lors du Sommet africain sur le climat à Addis-Abeba.
Mont Kenya : enjeu stratégique et recomposition des allégeances
La région du Mont Kenya, traditionnellement déterminante dans la désignation des présidents, s’est retrouvée au centre de manœuvres politiques intenses.
- En décembre 2024, après sa « poignée de main » avec Odinga, Ruto a opéré un remaniement incluant cinq personnalités influentes du Mont Kenya, dont d’anciens proches d’Uhuru.
- Parmi eux : Mutahi Kagwe (Agriculture), Lee Kinyanjui (Commerce) et William Kabogo (Médias et économie numérique).
- Ces nominations ont été perçues comme une tentative de fragiliser la base d’Uhuru en rattachant ses alliés au camp de Ruto.
Après le limogeage du vice-président Rigathi Gachagua, ce dernier s’est repositionné comme adversaire acharné de Ruto, parcourant la région pour regagner en popularité.
L’analyste Wycliffe Odera a déclaré : « Le retour d’Uhuru sur la scène politique envoie un message clair : Ruto ne sera pas son candidat préféré en 2027. »
Le parti Jubilee, piloté par Uhuru, a annoncé son soutien à l’ancien ministre de l’Intérieur Fred Matiang’i comme candidat présidentiel et commence discrètement la mobilisation des voix au Mont Kenya.
Ripostes, accusations et montée des tensions
Les alliés de Ruto ont riposté en accusant Uhuru d’attiser les troubles pour retrouver son influence politique.
- Kithure Kindiki, vice-président, a qualifié les propos d’Uhuru d’« insincères » et motivés politiquement.
- Vincent Kawaya, secrétaire du parti au pouvoir, a exhorté Uhuru à « se retirer avec dignité et à cesser de donner des leçons ».
- Le ministre de la Fonction publique, Jeffrey Roko, a accusé l’ancien président d’incitation, affirmant qu’il « attise les Kényans contre un gouvernement légitimement élu ».
L’analyste Edwin Kegoli a résumé la nouvelle phase : « Les gants sont tombés entre Ruto et Uhuru, et l’affrontement politique commence tôt. »
Les tensions ont également gagné la rue après qu’Uhuru ait appelé les manifestants de la génération Z à « continuer la lutte pour leurs droits », faisant écho aux protestations meurtrières de juin 2024.
À l’approche des élections présidentielles Kenya 2027, la lutte pour les alliances régionales et les voix essentielles du Mont Kenya s’annonce décisive, avec des enjeux et des risques accrus pour la stabilité politique du pays.