Table of Contents
Dans le paysage géopolitique contemporain, certains pays semblent oubliés, isolés dans leurs montagnes et steppes. Le Kirghizistan, ancienne république soviétique en Asie centrale, en fait partie. Pourtant, ce petit État enclavé, bordé par les contreforts de l’Himalaya, est devenu un laboratoire crucial où se mesure la force du partenariat sino-russe face aux pressions occidentales.
Un carrefour stratégique entre Chine et Russie
L’Asie centrale, autrefois théâtre du « Grand Jeu » entre Britanniques et Russes au XIXe siècle, reste une zone de rivalité géostratégique majeure. Aujourd’hui, le Kirghizistan est de nouveau au cœur d’une compétition mondiale opposant Washington et ses alliés à l’alliance Pékin-Moscou. Sa situation géographique en fait un nœud logistique clé pour les nouvelles routes de la soie chinoises, ainsi qu’une base arrière pour les intérêts russes. Par ailleurs, il sert de plateforme financière pour contourner les sanctions américaines.
Les banques kirghizes, pivot du contournement des sanctions
En janvier 2025, l’Office of Foreign Assets Control (OFAC), agence du Département du Trésor américain, a pris pour cible la banque kirghize Keremet, l’accusant d’être un relais dans la coopération militaro-industrielle sino-russe. Selon Washington, Keremet travaillait en coordination avec les autorités russes et la banque publique russe Promsvyazbank (PSB), spécialisée dans le financement de la défense, pour faciliter des transferts transfrontaliers au nom de PSB.
Ce mécanisme permettait d’éviter les sanctions grâce à des alternatives au système de paiement SWIFT, notamment via la société A-7, co-détenue par PSB et l’oligarque moldave pro-russe Ilan Shor, lui-même visé par des sanctions pour avoir tenté de déstabiliser la Moldavie.
Capital Bank of Central Asia : le relais pris par une nouvelle institution
Après la fermeture de Keremet, la Capital Bank of Central Asia a pris sa place en tant que nouvelle structure de compensation pour les opérations en roubles entre la Russie et le Kirghizistan. Son conseil d’administration intègre d’anciens dirigeants de Keremet, et elle a hérité de certains actifs toxiques, y compris des liens opérationnels avec la société A-7.
Cette réorganisation, vivement critiquée par Washington, illustre la capacité d’adaptation des élites kirghizes pour maintenir leur rôle d’intermédiaires dans ce jeu eurasien complexe. Ainsi, malgré les sanctions occidentales, les réseaux financiers régionaux continuent de fonctionner en marge de la pression internationale.
Ilan Shor, maître du commerce financier parallèle
L’oligarque moldave Ilan Shor, en exil à Moscou et condamné à quinze ans de prison pour fraude et blanchiment, est considéré comme le chef d’orchestre de ce commerce de l’ombre. Par le biais de Promsvyazbank et auparavant via Keremet, il organise des transferts financiers occultes qui, selon les autorités moldaves, financeraient la vie politique locale à hauteur de plusieurs dizaines de millions d’euros, en soutenant des voix et des manifestations pro-russes.
Ce rôle clé souligne l’importance du Kirghizistan comme point névralgique dans un nouvel ordre financier sino-russe où la déstabilisation politique devient un outil marchand.
Un partenariat sino-russe aux multiples dimensions
Autrefois satellite russe, le Kirghizistan se transforme en un creuset d’une coopération sino-russe qui dépasse le cadre économique pour englober les sphères financière, technologique et militaire. Affaiblie par la guerre en Ukraine, la Russie y voit un allié fidèle et une base arrière potentielle, tandis que la Chine y étend méthodiquement son influence, profitant du recul russe pour asseoir sa domination régionale.
Les enjeux géopolitiques et les risques pour la région
Ce rapprochement discret, à l’abri des regards occidentaux, pourrait redessiner les cartes du « Grand Jeu » eurasiatique. Moscou et Pékin disposent désormais d’un terrain d’expérimentation pour contourner les sanctions, mutualiser leurs ressources stratégiques, et verrouiller l’Asie centrale contre toute ingérence occidentale.
La stabilité de la région repose désormais sur des régimes autoritaires prêts à sacrifier leur souveraineté en échange de leur survie, ainsi que sur des oligarchies indifférentes aux aspirations démocratiques de leurs populations.
Le défi pour l’Occident
Face à cette dynamique, Washington et ses alliés ne peuvent plus rester passifs ni se contenter d’une diplomatie superficielle. Il est urgent de renforcer l’engagement en Asie centrale, d’offrir aux peuples de la région une véritable alternative, et de contrer l’extension de l’axe sino-russe, qui pourrait s’étendre bien au-delà des montagnes kirghizes.
L’exemple de la Capital Bank of Central Asia témoigne d’un déplacement du centre de gravité géopolitique eurasiatique. Laisser ce champ libre à Pékin et Moscou constituerait une erreur stratégique majeure aux conséquences durables pour l’Occident.