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La menace du Sharp Power : désinformation et ingérence indirecte en France

by Sara
France

Le samedi 20 septembre 2025, Emmanuel Macron a publié sur son compte Instagram une alerte aux manipulations mêlant rumeurs virales et fausses annonces, notamment des messages prétendant que la France entrerait en guerre contre la Russie ; cet épisode illustre la montée du « sharp power » et de l’ingérence indirecte qui visent la société dans son ensemble et menacent la cohésion démocratique.

En France, la progression du « sharp power » et des ingérences indirectes

illustration manipulation information sharp power France
Photo d’illustration — DR

Ces ingérences diffèrent des formes classiques de manipulation comme le financement occulte ou l’espionnage informatique, qui ciblent prioritairement les institutions et les responsables politiques. Les opérations actuelles sont plus diffusées : elles exploitent des faux médias, des sites générés par l’intelligence artificielle et les algorithmes des plateformes pour inonder l’espace public de récits contradictoires, sans chercher nécessairement à faire pencher une décision immédiate, mais plutôt à fracturer la confiance collective.

Des observateurs et études récentes dressent un état des lieux alarmant : NewsGuard recensait, entre mai 2023 et mars 2024, plusieurs centaines de sites générés par l’IA ; le total dépasserait le millier en 2024-2025, diffusant de la désinformation dans une quinzaine de langues. Selon une étude citée par la même source, « 98 % des récits produits par ChatGPT et 80 % par Bard (ex Gemini) contenaient des éléments trompeurs ». Par ailleurs, une enquête du Center For Countering Digital Hate en 2023 a montré que les algorithmes des grandes plateformes amplifient massivement les contenus polarisants et trompeurs, multipliant jusqu’à dix fois leur visibilité.

Le service français VIGINUM, créé en 2021 pour la vigilance et la protection contre les ingérences numériques étrangères, a identifié 230 phénomènes inauthentiques de manipulation de l’information en 2023 et indiquait fin 2024 que ce seuil avait déjà été dépassé. À l’automne 2023, Microsoft et le Service européen d’action extérieure ont révélé l’activité de deux réseaux russes, Storm-1099 (Doppelgänger) et Storm-1679, qui avaient recours à la création de faux sites imitant des médias européens pour amplifier des clivages politiques.

Canaux, objectifs et mécanismes : de la niche au grand public

Les méthodes se sont adaptées aux publics : saturation informationnelle, mimétisme médiatique, micro‑ciblage et changement de canal sans renoncer à l’objectif de fragmentation du consensus civique. Même des espaces a priori apolitiques, comme les jeux vidéo en ligne et des plateformes de communication (Discord, TeamSpeak), servent désormais à propager des messages pro‑Kremlin ou d’autres narratifs auprès d’audiences jeunes, difficilement atteignables par les canaux traditionnels.

L’ingérence indirecte ne cherche pas forcément à convaincre dans le sens classique du terme ; elle vise à désorienter, à multiplier les micro‑fractures dans la perception du réel. Comme le note le V-Dem Institute, la désinformation et la polarisation sont devenues des instruments centraux de l’autocratisation. Ce déplacement stratégique fait du « sharp power » une menace difficile à cadrer : il se lit moins dans des classements que dans des vulnérabilités exploitées au quotidien.

Réponses institutionnelles et limites réglementaires en France et en Europe

La création de VIGINUM en 2021 a constitué une avancée pour la France, mais des voix soulignent les limites du cadre actuel. Saisie par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, l’OCDE a relevé l’incomplétude du dispositif : le registre laisse subsister une porosité entre secteur public et influence étrangère, seulement partiellement régulée.

Sur le plan juridique, le DSA (Digital Services Act) représente une avancée pour responsabiliser les plateformes. Toutefois, l’efficacité de ce texte dépendra de la capacité de l’Union européenne à imposer sa souveraineté normative face aux géants du numérique et à mettre en œuvre des contrôles effectifs.

Prévention et résilience : pédagogie, transparence et action collective

Les spécialistes insistent sur la nécessité d’une réponse en trois volets : l’éducation civique aux mécanismes de la désinformation, la vigilance collective et une contrainte normative crédible. Les solutions techniques sont nécessaires, mais insuffisantes ; la résilience doit être civique. Le pré‑bunking — anticiper les narratifs malveillants avant leur diffusion —, la transparence sur les flux d’influence (lobbying, think tanks, associations financées de l’étranger) et la responsabilisation des plateformes font partie des mesures recommandées.

Plusieurs exemples étrangers offrent des pistes d’action concrètes : à Taïwan, des collectifs citoyens comme g0v coopèrent avec le gouvernement pour identifier et démonter des campagnes de désinformation en temps réel. La Finlande a intégré la littératie médiatique dès l’école primaire, avec des résultats tangibles en matière de résilience. L’Estonie a mis en œuvre des campagnes de « digital hygiene » pour former chaque citoyen à repérer les manipulations. Des outils simples, comme la grille SIFT (Stop, Investigate, Find better coverage, Trace sources), se diffusent dans l’espace académique et civique.

La défense la plus solide demeure ancrée dans la société : éducation aux médias et à l’esprit critique, soutien au journalisme indépendant, protection des communautés ciblées et mobilisation citoyenne pour détecter et signaler les manipulations sont autant de piliers à consolider si l’on veut contenir la corrosion lente du « sharp power ».

Constats et étapes à suivre

Les données disponibles montrent un basculement des modes d’action : du ciblage d’élites à la saturation informationnelle destinée à éroder la confiance générale. Mesurer l’exposition (vues, partages, interactions) est nécessaire mais ne suffit pas à quantifier l’impact réel sur l’opinion publique. Le renforcement des capacités de détection, la coopération entre États, médias, ONG et plateformes, ainsi que l’éducation systématique des citoyens constituent des étapes opérationnelles pour améliorer la résilience démocratique face à l’ingérence indirecte et à la désinformation.

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source:https://www.latribune.fr/idees/tribunes/opinion-sharp-power-de-l-ingerence-directe-a-la-desinformation-1033034.html

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