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À Ramallah, la photo de Yasser Arafat orne toujours les rues et le complexe présidentiel de la Mouqata’a, où un mausolée lui rend hommage. Plus de vingt ans après sa disparition, ce symbole des accords d’Oslo de 1993 conserve une popularité notable, contraste saisissant avec le rejet grandissant de l’actuel président Mahmoud Abbas et de l’Autorité palestinienne (AP).
Une Autorité palestinienne en perte de légitimité
À 89 ans, Mahmoud Abbas, surnommé « Abou Mazen », est vivement critiqué pour son incapacité à répondre à la tragédie qui frappe Gaza — où les morts, selon le Hamas, dépasseraient déjà les 50 000 — ainsi qu’à l’accroissement des colonies israéliennes en Cisjordanie. Accusé de dérive autoritaire, il n’a pas organisé d’élections depuis vingt ans, accentuant le sentiment de frustration populaire.
Un léger mouvement s’est toutefois esquissé fin avril, avec la nomination d’Hussein al-Cheikh au poste nouvellement créé de vice-président de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). Vétéran du Fatah et proche collaborateur d’Abbas, il cumule aussi la fonction de secrétaire général du Comité exécutif de l’OLP depuis 2022 et la présidence d’un comité supervisant les missions diplomatiques à l’étranger. Début 2024, il a rencontré en Arabie saoudite Steve Witkoff, émissaire influent lié à l’équipe internationale de Donald Trump.
Cependant, l’incertitude demeure quant à son rôle exact et à l’éventualité qu’il succède à Abbas, dans un exécutif dont les responsabilités restent floues et partagées.
Les institutions palestiniennes fragilisées
L’OLP, créée en 1964, représente les Palestiniens au plan international, conclut des traités et réunit la majorité des mouvements politiques, hormis le Hamas et le Djihad islamique. L’Autorité palestinienne, quant à elle, gère les affaires quotidiennes en Cisjordanie. Mahmoud Abbas dirige actuellement ces deux entités, mais son absence ou son décès créerait un vide institutionnel, faute de successeur clairement désigné.
Une source diplomatique française souligne que la nomination d’Hussein al-Cheikh est une avancée vers une autorité palestinienne légitime, même si sa gouvernance doit être améliorée.
Le rejet populaire est cependant écrasant : un sondage de juin 2024 du Palestinian Center for Policy and Survey Research indique que 90 % des Palestiniens en Cisjordanie et Gaza souhaitent le départ de Mahmoud Abbas, tandis que 60 % réclament la dissolution de l’Autorité palestinienne. Plus de deux tiers (69 %) considèrent même cette institution comme un fardeau, pointant la coopération sécuritaire avec Israël, la corruption et l’impuissance face à la guerre à Gaza. Ces tensions ont conduit au départ du Premier ministre Mohammad Shtayyeh en février, sous pression américaine.
Le tabou de l’annexion de la Cisjordanie s’effondre
En Cisjordanie, l’Autorité palestinienne fait face à un déficit de leadership profond. L’opération israélienne « Mur de fer », lancée le 21 janvier, cible notamment les camps de réfugiés de Jénine, Tulkarem et Nour Chams. L’UNRWA, l’agence onusienne chargée des réfugiés palestiniens, est accusée par Israël d’être infiltrée par le Hamas. Ce dernier, avec l’État hébreu, revendique respectivement des centaines de victimes civiles et militaires depuis octobre 2023.
Bezalel Smotrich, ministre israélien des Finances et figure de l’extrême droite, a qualifié cette année écoulée de « record » en démolitions de constructions arabes en « Judée-Samarie » (nom biblique de la Cisjordanie). En mars, une nouvelle route près de la colonie juive de Maalé Adoumim a été approuvée. L’armée israélienne contrôle officiellement 30 % de ce territoire, chiffre que certains experts jugent sous-évalué.
Face à cette pression israélienne constante, l’Autorité palestinienne peine à réagir. Keir Starmer, Premier ministre britannique, a rappelé à son homologue palestinien l’importance de ne pas ignorer la situation préoccupante des colonies et de la violence en Cisjordanie.
Nathan J. Brown, spécialiste du Moyen-Orient, souligne que le système politique palestinien est en déliquescence, incapable d’élaborer des stratégies efficaces, malgré un fort sentiment national intact.
Un impératif de réformes profondes
Les alliés occidentaux encouragent depuis longtemps des réformes politiques, économiques, sécuritaires et administratives au sein de l’Autorité palestinienne. La Cisjordanie compte environ 180 000 fonctionnaires pour 3 millions d’habitants, dont un tiers affecté à la sécurité.
Le 14 avril, l’Union européenne a débloqué une aide financière de 1,6 milliard d’euros jusqu’en 2027, insuffisante face à des besoins estimés entre 8 et 11 milliards d’euros pour 2024-2026. L’Autorité palestinienne ne bénéficie quasiment plus de revenus propres, notamment depuis que les autorités israéliennes ont cessé de reverser certaines taxes, aggravant sa crise financière, selon la Banque mondiale.
Pour rassurer les États-Unis, l’AP a supprimé en février son système d’allocations aux familles de prisonniers et de tués par Israël, une réforme contestée tant par Tel-Aviv que par la population palestinienne, qui y voit une régression sociale.
À Gaza, une Autorité impuissante
Le plan de reconstruction de Gaza adopté en mars par la Ligue arabe prévoit une administration transitoire par un comité de technocrates palestiniens, avant un retour sous contrôle de l’Autorité palestinienne. Mais la situation est encore très éloignée de cet objectif.
En mai, le cabinet politico-sécuritaire palestinien a validé l’intensification de l’offensive israélienne, incluant la « conquête » de la bande de Gaza et la promotion du « départ volontaire des Gazaouis », une position alignée avec Washington.
Michael Milshtein, expert au Centre Moshe Dayan de l’université de Tel-Aviv, estime que seul Donald Trump pourrait faire bouger les lignes à Gaza, mais la relation entre Mahmoud Abbas et l’ancien président américain reste prudente et incertaine.
Le souvenir du transfert de l’ambassade américaine à Jérusalem en 2018 et du « deal du siècle » de 2020, qui légitimait presque toutes les colonies et attribuait Jérusalem à Israël, demeure vif. Abbas avait alors qualifié ce plan de « claque du siècle ».
Le rôle incertain de la France et les défis à venir
L’Autorité palestinienne, bien que fragile, demeure un acteur clé pour la reconnaissance de l’État palestinien. En avril, Emmanuel Macron a évoqué la possibilité d’une reconnaissance française lors d’une conférence coprésidée avec l’Arabie saoudite aux Nations unies en juin 2024, dans l’espoir de créer une dynamique régionale favorable à la paix.
Pour la France, l’Autorité palestinienne, malgré ses défauts, doit assumer ses responsabilités. Ce message a été rappelé par le président français à Mahmoud Abbas lors d’un échange téléphonique en avril.
Pourtant, le géopolitologue Frédéric Encel souligne que les attributs de souveraineté ne sont pas aux mains de l’Autorité palestinienne et que ni Israël ni le Hamas ne souhaitent véritablement une solution à deux États.
En attendant, le traumatisme d’une nouvelle « Nakba » — terme arabe désignant l’exode massif lié à la création d’Israël en 1948 — resurgit en Cisjordanie, tandis que l’Autorité palestinienne demeure largement absente face aux défis croissants.