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Le combat des journalistes palestiniens face à l’éradication en Cisjordanie

by Sara
Le combat des journalistes palestiniens face à l'éradication en Cisjordanie
Palestine

Sur le balcon du bureau d’Al Jazeera au centre de Ramallah, un pot de menthe s’est desséché, inaccessible à l’équipe de la chaîne depuis que deux interdictions de travail cumulées, imposées par l’occupation israélienne et l’autorité palestinienne depuis septembre 2024 jusqu’à aujourd’hui, en ont empêché l’accès.

Sur ce même balcon, subsistent des photos de Shireen Abu Aqleh, sauvées des destructions des soldats israéliens. Elles surplombent le cœur de Ramallah, où la vie semble ordinaire malgré les moments les plus critiques de l’histoire palestinienne. Cette image reflète la complexité et les croisements des politiques de domination et d’oppression qui perdurent depuis la fin de la deuxième intifada, façonnant toutes les facettes de la vie des Palestiniens en Cisjordanie. Ainsi, les centres urbains apparaissent calmes malgré une situation d’extermination en cours.

La Cisjordanie fragmentée, un terrain de guerre silencieux

Israël applique rapidement des politiques violentes visant à étouffer toute résistance dans la région. La Cisjordanie est géographiquement morcelée par des centaines de checkpoints et barrières qui isolent les communautés palestiniennes, les rendant vulnérables aux attaques des colons sous la protection de l’armée israélienne.

À cela s’ajoutent des dizaines de milliers d’arrestations et de raids nocturnes. Mais la pratique la plus cruelle reste les assassinats à sang froid, destinés à normaliser la violence quotidienne dans les villes et villages, afin d’embraser davantage la conscience palestinienne par le sang, alors même que la tragédie sanglante à Gaza perdure sans relâche.

Dans ce contexte, les journalistes palestiniens affrontent le défi de produire des reportages complets, sans omettre les détails qui donnent à chaque histoire sa profondeur et son poids dans la narration de la société palestinienne confrontée à l’extermination.

Dans la salle de rédaction : entre abstraction et intensité

En temps de guerre, la rapidité des nouvelles plonge les journalistes dans un flux incessant où il est difficile d’entendre autre chose que le cliquetis des claviers, la sonnerie des téléphones et le signal des bulletins d’information.

Entre peur et espoir, les moments de calme apparent deviennent des instants de tension extrême, où le journaliste doit transformer les histoires du pays en quelques lignes d’« actualité ». Cette immersion quotidienne dans le détail, au milieu de la tristesse populaire et des luttes politiques, ouvre une troisième « œil » qui perçoit l’entrelacement de la douleur et des conflits, un regard à la fois magique et maudit.

Cette complexité ajoute une lourde charge émotionnelle aux journalistes qui tentent d’identifier chaque tir mortel, chaque attaque, comme autant de pièces d’un puzzle politique plus vaste.

Histoires marquantes et pertes humaines

En janvier 2024, un drone a ciblé un groupe de jeunes à Jénine rassemblés autour d’un feu pour se réchauffer. Quatre d’entre eux étaient frères : Hazaa, Rami, Ahmed et Alaa Naji Darwish. Leur mère porte désormais ce deuil immense, symbole du prix payé par la société palestinienne pour son refus de la soumission.

En parallèle, les grandes puissances mondiales tentent d’effacer cette résistance, indifférentes à la douleur d’une mère endeuillée par la perte de ses enfants.

Les journalistes doivent garder intactes toutes les dimensions de ces histoires, car leur survie personnelle est liée à celle de leur communauté, menacée d’extermination.

La dure réalité des assassinats ciblés

Une nuit, à Doura, au sud-ouest d’Hébron, un sniper israélien a tué un jeune nommé Mahmoud Al-Haroub. Ce tir a ramené une journaliste palestinienne vingt et un ans en arrière, à son enfance, où elle admirait la photo d’un enfant martyr du même prénom, Mahmoud, suspendue au tableau de sa classe durant la deuxième intifada.

Cette histoire n’est qu’un exemple parmi tant d’autres qui confrontent les journalistes à la terrible tâche de résumer ces drames en une phrase : la mort d’un jeune Palestinien par balle israélienne.

Depuis plus d’un an et demi de guerre, ce travail journalistique est alourdi par la conscience d’une autre guerre, invisible, qui lutte contre l’oubli, la normalisation de la violence et la destruction du corps journalistique par la mort, les arrestations et les brimades.

Le journaliste tente ainsi de maintenir un lien vivant avec la douleur et la liberté, refusant de banaliser la gravité des crimes commis en Cisjordanie, malgré leur apparente moindre ampleur comparée à Gaza.

Le courage de la résilience : témoignages du terrain

En janvier 2023, la maison de Mme Basma Saadiya dans le camp de réfugiés de Jénine fut détruite, réduite en décombres. Sa petite épicerie et sa machine à coudre, sources de revenus pour elle et sa sœur, furent anéanties. Malgré sa colère et son chagrin, elle a veillé à accueillir avec hospitalité les journalistes présents pour couvrir l’impact des destructions, témoignant d’une dignité remarquable au cœur du chaos.

Ce genre de scènes se répète souvent sur le terrain, marquant les esprits par la capacité des Palestiniens à préserver leur humanité même dans les pires épreuves.

La fragmentation du paysage journalistique palestinien

Le 15 janvier 2023, une journaliste palestinienne écrivait dans son journal intime :

« Ce matin, Shireen Abu Aqleh est venue dans mon rêve. Calme et douce, elle se tenait dans une cuisine baignée de lumière, préparant silencieusement du pain, au milieu d’un champ de bataille bruyant, entre bombardements, morts et destructions. »

Ce jour-là, le photographe d’Al Jazeera à Khan Younès, Samer Abu Daqa, rejoignait Shireen dans la liste tragique des journalistes palestiniens tués, une liste qui compte plus de 210 noms à ce jour.

À Jénine, le corps de la journaliste Shatha Al-Sabbagh, touchée par une balle d’un sniper de l’Autorité palestinienne selon sa famille, a été porté par ses collègues dans une scène déchirante, illustrant la fragilité constante des journalistes sur le terrain.

Cette réalité suscite une angoisse profonde chez les journalistes : qui sera le prochain et par quelle balle ?

Une guerre contre l’espoir et la mémoire

Israël ne se contente pas d’éliminer des individus, il efface aussi les possibles, empêchant toute relation entre les journalistes de Gaza et de Cisjordanie. Depuis plus de vingt-cinq ans, la coupure géographique a été imposée, et aujourd’hui la violence en vient à briser toute tentative de lien, par le sang.

Dans la périphérie est de la ville de Al-Bireh, une journaliste palestinienne, épuisée par l’intensité de la couverture, est confrontée à un couvre-feu et une présence militaire constante. Le poème de Walid Saif vient alors à elle comme une source d’espoir :

« Je suis l’ascension dans l’espace, je suis les frontières ouvertes,
Dans l’instant qui engendre le temps, et que le temps ne peut cerner,
Je suis le lieu pour ceux dont les ambitions sont rares et l’espace étroit. »

Cette expansion intérieure, cette capacité à construire un monde intérieur vaste, est ce qui permet aux journalistes palestiniens de continuer à documenter et à résister malgré la dépossession et la répression.

Un combat pour la survie du journalisme palestinien

Chaque jour, les journalistes de Cisjordanie bravent la guerre, la violence et la censure pour offrir au monde une fenêtre sur la réalité palestinienne. Ils préservent les détails qui risqueraient d’être oubliés, racontant l’histoire d’un peuple en lutte pour sa liberté et son existence.

Leur combat est aussi celui de la liberté de presse, un pilier essentiel face à la tentative d’éradication de leur communauté et de leur droit à l’information.

source:https://www.aljazeera.net/culture/2025/4/25/%d9%85%d8%a7-%d8%a7%d9%84%d8%b0%d9%8a-%d9%8a%d8%b9%d9%86%d9%8a%d9%87-%d8%a3%d9%86-%d8%aa%d9%83%d9%88%d9%86-%d8%b5%d8%ad%d9%81%d9%8a%d8%a7-%d9%81%d9%84%d8%b3%d8%b7%d9%8a%d9%86%d9%8a%d8%a7

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