Le Pari Risqué de Macron contre l’Extrême Droite en France
Le président Emmanuel Macron a pris la décision de convoquer des élections législatives anticipées en réponse à sa défaite écrasante lors d’un vote de l’Union européenne, un pari risqué que peu auraient pu prédire, affirment des observateurs à Al Jazeera. Ces élections anticipées sont décrites comme un référendum sur l’extrême droite.
À la suite de l’appel du candidat d’extrême droite Jordan Bardella, dont le parti Rassemblement National a remporté 31,5 % des voix aux élections du Parlement européen dimanche, Macron a dissous le Parlement français et ordonné la tenue d’élections anticipées.
La première ronde se déroulera le 30 juin et une seconde le 7 juillet.
Les analystes soulignent qu’il s’agit d’une tentative de haut vol pour regagner en crédibilité après que le parti libéral de Macron, Renaissance, ait pris la deuxième place derrière le Rassemblement National avec seulement 14,6 % de soutien, soit environ la moitié de ce dernier.
Selon Gilles Ivaldi, professeur à l’Institut d’études politiques de Paris, Macron espère que les votes de ses détracteurs manquent de poids.
Le vote en faveur du Rassemblement National et de sa leader controversée Marine Le Pen a traditionnellement été un moyen de manifester son mécontentement envers le gouvernement.
« Macron dit maintenant aux électeurs, ‘Nous jouons pour de vrai’, » a déclaré Ivaldi à Al Jazeera. « Il ne s’agit pas d’exprimer son mécontentement. Il s’agit de savoir si vous voulez réellement voir l’extrême droite prendre le pouvoir. »
Ivaldi, spécialiste des partis d’extrême droite et populistes au Centre de recherches politiques de Sciences Po, a ajouté que Macron souhaite que les électeurs réfléchissent à deux fois avant de voter pour le Rassemblement National alors que l’extrême droite a une véritable chance d’accéder au pouvoir.
Toutefois, cette action inédite dans la politique française depuis 1997 comporte des risques de retour de flamme.
Alors que le Rassemblement National a su exploiter le mécontentement envers le gouvernement Macron, il a également bâti un soutien au fil des ans autour de thèmes importants pour les électeurs, tels que la migration, la sécurité et l’économie, a souligné Ivaldi.
Le Pen a défié Macron au second tour des deux dernières élections présidentielles, en 2017 et 2022. Bien que Macron ait remporté les deux scrutins, sa popularité a décliné tandis que le soutien à Le Pen est passé de 34 à 41 %.
Les prévisions de Toluna Harris Interactive pour Challenges, M6 et RTL indiquent que les élections anticipées devraient se traduire par une victoire du Rassemblement National pour le plus grand nombre de sièges à la chambre basse du parlement, sans toutefois obtenir une majorité absolue.
Macron a promis d’achever les trois dernières années de son mandat de président, quel que soit le résultat. S’il continuera de superviser la défense et la politique étrangère, il pourrait perdre le contrôle de l’agenda intérieur au profit du Rassemblement National.
Cette « cohabitation », comme on l’appelle dans le jargon politique, donnerait au parti nationaliste proche de la Russie de Le Pen la possibilité de dicter les termes sur des sujets tels que les droits des étrangers, l’aide à l’Ukraine et les réformes économiques.
« C’est clairement un pari », a souligné Ivaldi. « Personne n’attendait cela, et personne ne sait ce qui va découler de ces élections. »
L’Ascension de l’Extrême Droite
Les succès de l’extrême droite aux élections du Parlement européen ont secoué les gouvernements à travers l’UE, mais nulle part la défaite n’a été plus cuisante que pour le chef d’État français.
La coalition libérale de Macron a sécurisé 13 des 81 sièges attribués à la France au sein de l’organe législatif européen. Le Rassemblement National a remporté 30 sièges.
La popularité du parti n’est pas nouvelle. Depuis le milieu des années 1980, sa base électorale est en croissance, et lors des deux dernières élections européennes en 2014 et en 2019, il est arrivé en tête des scrutins en France.
Cette année, cependant, la victoire est arrivée avec une marge sans précédent.
Sébastien Maillard, chercheur associé à Chatham House, a souligné que la stratégie du Rassemblement National visant à adoucir son image a porté ses fruits.
« Auparavant, c’était un parti antisémite, mais désormais il soutient largement Entité sioniste », a déclaré Maillard à Al Jazeera.
Le parti a également abandonné son hostilité envers l’alliance de l’OTAN et l’idée d’un Frexit, une sortie de la France de l’Union européenne. Le parti a également, pour la plupart, laissé de côté les insultes racistes qui caractérisaient le leadership du fondateur Jean-Marie Le Pen, le père de Marine.
Selon Maillard, la stratégie de « normalisation » du parti tourne autour de Bardella, un phénomène politique de 28 ans au discours mesuré qui a pris la direction du Rassemblement National en 2022 pour permettre à Le Pen de se préparer à sa prochaine candidature à la présidence.
Avec 1,2 million de followers sur TikTok, Bardella attire un public plus jeune au sein du parti.
Tout en faisant preuve d’humilité et en évitant les controverses, Bardella met en avant le message anti-immigration et sécuritaire du parti, qui met l’accent sur la sécurité et le maintien de la « France pour les Français ».
Si le Rassemblement National remporte la majorité au parlement, il pourrait être nommé Premier ministre.
Selon certains sondages, il est parmi les politiciens les plus populaires pour succéder à Macron.
Le Pen a dirigé le rebranding du parti, mais le mouvement manque d’un « programme clair », selon Maillard.
« C’est de cela que traite la convocation à des élections anticipées de Macron, forcer le Rassemblement National à s’exprimer sur ce qu’il veut afin que les Français puissent voir à quel point c’est dangereux. »
La dissolution du parlement était l’option « nucléaire », a-t-il ajouté, mais peut-être une mesure nécessaire pour contenir un mécontentement croissant.
« Le Rassemblement National a transformé les élections de l’UE en un référendum sur Macron. Maintenant, Macron transforme les élections anticipées en un référendum sur l’extrême droite. »
Marine Le Pen et Jordan Bardella ont dirigé la campagne du Rassemblement National pour les élections de l’UE [Christian Hartmann/Reuters]