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Le T. Bouaza repense la philosophie de l’histoire au monde arabe

by Sara
Monde arabe, Maroc

Le monde arabe et islamique traverse des bouleversements profonds qui limitent encore ses mouvements et façonnent ses frontières politiques et culturelles. Dans ce contexte, le penseur Tayeb Bouazza propose une relecture ambitieuse de la philosophie de l’histoire, visant à extraire un sens global à partir des événements historiques morcelés et souvent contradictoires.

Son nouveau livre, riche et engagé, appelle à rompre avec l’ornière du nihilisme critique et à réinterroger les fondements mêmes de notre compréhension du temps et du devenir humain.

Un ouvrage volumineux et une proposition inédite

Le Dr Tayeb Bouazza publie récemment un livre intitulé « L’historien et le philosophe : questions d’isthographie et philosophie de l’histoire », édité par le Centre Nahoudh pour les études et la recherche.

L’ouvrage, proche de 800 pages, est organisé en six grands volets, chacun subdivisé en plusieurs chapitres. L’isthographie y est définie comme la discipline qui étudie la manière dont l’histoire est constituée et écrite.

Les parties principales du livre sont présentées dans l’ordre suivant :

  • L’historien et l’histoire : la nécessité de distinguer la narration historique du fait historique.
  • Le philosophe et l’histoire : examen des hypothèses et des présupposés fondateurs.
  • L’histoire comme trajectoire réflexive.
  • Le temps circulaire et le concept de « retour éternel ».
  • Le temps linéaire.
  • Sur la possibilité d’une philosophie de l’histoire : tentative de « nier la négation ».

Par ce plan, Bouazza entend mettre en débat les conditions conceptuelles qui permettent d’atteindre un sens global du passé humain et d’en tirer une orientation pour le présent et l’avenir.

La querelle renouvelée entre historien et philosophe

Selon Bouazza, la « philosophie de l’histoire » ne peut exister que si l’on parvient à définir un sens « global » capable d’englober la multiplicité et la fragmentation des récits historiques.

Il pose plusieurs questions centrales : peut-on saisir ce sens global malgré notre immersion dans la temporalité de l’événement ? Quels outils méthodologiques permettent une telle synthèse ? Le sens global n’est-il pas toujours tributaire du régime de vérité dominant au moment où il se produit ?

Il insiste sur le fait que son objectif n’est pas une simple description des pratiques de l’historien et du philosophe, mais une « reconsidération des prétentions transcendantes du sujet » pour retrouver un sens de l’histoire, en réponse à la thèse de son impossibilité.

Bouazza décrit une antagonie ancienne et persistante entre historien et philosophe. Il relève :

  • Le reproche de l’historien : des mois ou des années de travail minutieux pour reconstituer une singularité historique, pendant que le philosophe propose des interprétations générales de toutes les époques et revendique d’expliquer principe, trajectoire et finalité.
  • La différence de regard et de méthode : le philosophe interroge le principe et la fin, tandis que l’historien se concentre sur le « comment » descriptif et la causalité relationnelle partielle.

Pourtant, Bouazza reconnaît aussi la légitimité philosophique : la pensée philosophique refuse l’enfermement dans l’empire des faits isolés et vise une synthèse qui dépasse le simple agencement causal des événements.

La philosophie de l’histoire au prisme des origines religieuses

En retraçant l’histoire de la discipline, Bouazza soutient que la philosophie de l’histoire n’est pas née d’abord dans la sphère philosophique grecque, mais qu’elle a émergé avec la Rome chrétienne.

Il explique que l’adoption du christianisme par l’Empire romain a introduit une vision globale du devenir humain, héritée de la tradition biblique, qui institue une nouvelle architecture du temps : le temps linéaire, avec un commencement et une fin.

Pour Bouazza, la conception linéaire du temps ne trouverait pas son origine dans le fonds indo-européen, mais plutôt dans la logique des religions monothéistes (judaïsme, christianisme, islam) qui proposent une figuration linéaire de la devenir historique.

De là, il conclut que « le principe global explicatif de l’histoire » a d’abord pris forme dans la conscience religieuse, et que l’émergence moderne de la philosophie de l’histoire au XVIIIe et XIXe siècle reste liée à cette matrice religieuse.

Critique contemporaine : nihilisme et perte du transcendant

Bouazza distingue deux grands courants dans la tradition occidentale : la « philosophie de l’histoire contemplative » et la « philosophie de l’histoire critique ». Dans son livre, il se concentre sur l’explication de l’apparition du second courant.

Il attribue l’essor de la philosophie critique à une crise du sens dans la pensée contemporaine, liée à l’érosion de l’instance métaphysique ou religieuse transcendante. Cette absence du transcendant serait à l’origine d’une dérive nihiliste.

Son projet vise donc à sortir de l’emprise de cette négation généralisée du sens. Pour cela, Bouazza puise dans certaines ressources de la pensée islamique afin d’ouvrir de nouvelles perspectives sur la manière dont l’être humain comprend sa trajectoire temporelle.

Il propose une méthode plus rigoureuse pour circonscrire les modèles conceptuels qui ont tenté d’expliquer l’histoire et pour analyser l’évolution de la théorie isthographique dans les traditions islamique et occidentale.

Portée et enjeux de la réflexion

Le livre invite à repenser la capacité de la pensée humaine à « rassembler » les fragments historiques autour d’un principe organisateur. Il pose la question de savoir si l’effort descriptif de l’historien peut, à lui seul, produire du sens, ou si une philosophie de l’histoire est nécessaire pour atteindre une synthèse signifiante.

En confrontant héritages religieux, soubassements philosophiques et critiques postmodernes, Bouazza ouvre un espace de réflexion destiné aux historiens, philosophes et débats publics sur l’avenir de la civilisation humaine.

Sa démarche vise à promouvoir une philosophie de l’histoire qui, tout en restant exigeante sur le plan méthodologique, reconnaisse la nécessité d’un horizon signifiant pour la vie collective.

Tayeb Bouazza

Le penseur Tayeb Bouazza propose une nouvelle lecture de la philosophie de l’histoire, s’inspirant de la pensée islamique pour répondre aux défis contemporains.

source:https://www.aljazeera.net/culture/2025/10/5/%d8%a7%d9%84%d8%b7%d9%8a%d8%a8-%d8%a8%d9%88%d8%b9%d8%b2%d8%a9-%d9%85%d9%86%d8%a7%d9%82%d8%b4%d8%a7-%d9%81%d9%84%d8%b3%d9%81%d8%a9-%d8%a7%d9%84%d8%aa%d8%a7%d8%b1%d9%8a%d8%ae-%d9%87%d9%84

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