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Depuis le déclenchement de la guerre d’extermination israélienne contre la bande de Gaza il y a environ 23 mois, une majorité d’analyses politiques — israéliennes, arabes et internationales — converge vers une lecture commune : la boussole des politiques de Benjamin Netanyahu ne serait guère orientée vers la réalisation d’avancées sécuritaires durables ou de compromis politiques à long terme, mais plutôt vers la prolongation de son maintien au pouvoir, quel qu’en soit le coût, y compris au prix d’une déstabilisation régionale par une escalade militaire continue.
Une stratégie centrée sur la survie politique
Ces analyses soulignent que les offensives militaires répétées menées sous son mandat ne relèvent pas forcément d’un plan stratégique cohérent ou d’un projet politique global.
Plutôt, elles apparaissent comme des tactiques à usage interne visant à :
- renforcer sa position politique et élargir son assise électorale ;
- éviter la mise en cause judiciaire sur des dossiers qui le concernent ;
- détourner l’attention de l’opinion publique de ses crises domestiques ;
- remodeler et consolider les alliances parlementaires et son coalition gouvernementale.
La production et la gestion des crises deviennent ainsi des outils politiques : maintenir un état d’urgence permanent permet à Netanyahu de se présenter comme le « chef sécuritaire » irremplaçable en temps de danger.
Deux visages, une même priorité
Plusieurs observateurs distinguent deux périodes dans la carrière politique de Netanyahu. La première, dans les années 1990, le montre comme un leader jeune, empreint d’arrogance, fortement idéologique et prompt à la confrontation.
La seconde, lors de ses mandats ultérieurs, révèle un homme plus pragmatique et prudent, tourné vers des calculs réalistes.
Pourtant, un fil conducteur relie ces phases : la centralité de la préservation du pouvoir, que ce soit par une posture idéologique combative ou par un comportement tactique et retenu.
Jabotinsky et la doctrine du « mur de fer »
La vision politique de Netanyahu s’enracine dans la tradition sioniste révisionniste, fortement influencée par son père, l’historien Ben-Zion Netanyahu, qui a fait sienne une interprétation de l’histoire juive marquée par une série de catastrophes à venir.
Cette perception l’a amené à adopter la philosophie du « mur de fer » (iron wall) formulée par Ze’ev Jabotinsky dans les années 1920 : l’idée qu’Israël doit construire une force militaire écrasante et préventive, garantissant un rempart de puissance et de dissuasion.
Jabotinsky exposait notamment, en 1923, que les Arabes — ou plus largement les opposants nationaux — ne renonceraient à la lutte que s’ils perdaient tout espoir de pouvoir nous chasser. Il affirmait que l’unique voie vers un accord futur passe par l’édification préalable d’une force invincible :
« Ce qui est impossible, c’est un accord volontaire. Tant que [le peuple arabe] croit pouvoir nous évincer, il n’abandonnera pas cet espoir, pas même pour des promesses ou des moyens de subsistance. Ce n’est que lorsqu’il perdra l’espoir de nous chasser — car il est incapable de percer le mur de fer — qu’il s’éloignera de ses chefs extrémistes et que les modérés pourront proposer des compromis pratiques. Mais la condition préalable à cet éventuel accord, c’est le mur de fer : une force si grande en Palestine qu’elle ne sera pas sujette à des pressions arabes. »
Du père à l’élève : l’empreinte sur Netanyahu
Netanyahu se revendique ouvertement héritier de Jabotinsky et souligne à plusieurs reprises l’importance de cet héritage pour la sécurité d’Israël.
Lors d’une session spéciale de la Knesset en mémoire de Jabotinsky, le 3 août 2016, il a insisté sur l’ampleur de la contribution de ce dernier à la culture hébraïque et à la conscience nationale, ainsi qu’à la redéfinition de la force défensive du peuple juif.
Netanyahu a déclaré se sentir partie prenante du courant qui poursuit la voie de Jabotinsky, affirmant avoir hérité, via son père, d’une politique axée sur le renforcement de la force nationale et la priorité accordée à la puissance militaire.
Le mur de fer comme doctrine d’État
Cette conception n’est pas restée une simple théorie : elle a progressivement pris la forme d’une doctrine, relayée par les dirigeants de la droite israélienne de génération en génération.
L’historien Avi Shlaim note que l’idée d’ériger un « mur de fer » de puissance militaire a trouvé un large consensus parmi les sionistes et s’est imposée comme l’un des principes constitutifs de la nouvelle doctrine sioniste.
Ben-Zion Netanyahu résumait la pensée de Jabotinsky en soulignant l’intransigeance perçue du côté arabe et l’importance« du mur de fer » construit par la force comme garantie de survie de l’État juif : qui oserait donc abandonner ou affaiblir ce rempart ?
Implications pour la gestion du conflit
La pénétration profonde de la pensée jabotinskienne dans l’architecture politique israélienne implique que la gestion du conflit n’a jamais reposé principalement sur des compromis ou des solutions de milieu.
Au contraire, elle s’est bâtie sur la logique d’une supériorité militaire permanente et la perpétuation de la dissuasion. Ainsi, toute perspective de règlement politique ne se conçoit, selon cette logique, qu’après l’imposition de réalités factuelles sur le terrain par le « mur de fer ».
De ce point de vue, comprendre les politiques de Netanyahu aujourd’hui exige de remonter à cet héritage idéologique qui continue d’influencer la trajectoire du conflit arabo-israélien et qui lie la stabilité régionale à l’équation de la force.
Une remise en question provoquée par de nouveaux affrontements
La dynamique du « mur de fer » a commencé à être contestée par des événements récents, notamment par l’opération dite « Déluge d’al-Aqsa », qui a représenté un tournant dans la redéfinition des règles de l’engagement.
Cette opération a mis en lumière des fragilités du dispositif qui, jusqu’alors, avait souvent présenté Israël comme une forteresse quasi-inviolable.
En conséquence, certains observateurs estiment que la remise en cause du mur de fer pourrait ouvrir des espaces de redéploiement stratégique, même si la logique de la force reste profondément ancrée dans les choix politiques dominants.
Perspectives et enjeux
La prééminence de la stratégie fondée sur la supériorité militaire et la dissuasion rend difficile l’émergence d’un processus de paix crédible sans transformation profonde des équilibres sur le terrain.
Pour de nombreux analystes, le levier principal pour casser cette dynamique consiste à s’attaquer directement aux mécanismes qui rendent le « mur de fer » opérationnel — tant sur le plan militaire que politique.
La trajectoire future dépendra donc à la fois des capacités de remise en cause interne du modèle dominant et des événements qui redessineront les réalités stratégiques dans la région.