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La question de la place de l’hydroélectricité dans la transition énergétique se pose avec acuité en France : source d’énergie décarbonée et flexible, elle offre des services réseau précieux, mais son développement heurte des contraintes environnementales, financières et climatiques.
Hydroélectricité et rôle dans la transition énergétique en France
L’hydroélectricité se distingue par un coût marginal très faible : une fois amortis les investissements fixes, l’eau qui fait tourner les turbines permet une production quasiment gratuite, comme le solaire photovoltaïque ou l’éolien une fois les installations payées. Contrairement au solaire et à l’éolien, cependant, la production hydroélectrique peut être maîtrisée lorsque l’eau provient d’un réservoir : relâchée en quelques secondes, elle alimente rapidement le réseau et offre une flexibilité supérieure à celle des centrales thermiques ou nucléaires.
Cette rapidité de mise en production en fait un instrument précieux pour rééquilibrer le système électrique lorsque des unités de production font défaut. Lorsqu’une centrale est couplée à un système de pompage et à deux réservoirs — Station de Transfert d’Energie par Pompage ou STEP — l’eau sert également de moyen de stockage : l’excès d’électricité solaire ou éolien est utilisé pour pomper de l’eau vers des réservoirs d’altitude, qui restitue ensuite l’énergie en turbiner l’eau lorsque la demande augmente.
Freins : impacts environnementaux et contraintes de financement
Malgré ses atouts, l’hydroélectricité bute sur deux difficultés majeures. La première est l’impact environnemental associé à la construction de barrages et à la modification des cours d’eau, qui suscite des oppositions locales et nationales. Dans les pays riches en ressources hydrauliques, l’option de domestiquer l’énergie des rivières paraît évidente : la Norvège, par exemple, tire déjà 89 % de son électricité du turbinage de l’eau et 9 % de l’éolien. En février 2025, le Parlement norvégien a voté l’ouverture à la construction de centrales d’une puissance supérieure à 1 MW sur certains des quelque 400 cours d’eau jusque-là protégés, une décision assortie d’exigences de bénéfices sociétaux « significatifs » et de conséquences environnementales « acceptables », un flou qui a provoqué des réactions.
La seconde difficulté est financière : la construction de barrages et de centrales requiert d’énormes capitaux à court et moyen terme, tandis que les recettes issues de la vente d’électricité s’étalent sur plusieurs décennies. Il en va de même des lignes à haute tension nécessaires pour acheminer l’énergie vers les lieux de consommation. Les montages financiers sont donc complexes, d’autant que l’activisme des défenseurs de la nature peut entraîner des retards et des surcoûts. Une participation de l’État est souvent nécessaire, mais elle expose aux risques d’incohérences liées aux échéances électorales.
Le financement ne s’arrête pas à la construction : les installations ont besoin de modernisation. En Europe, l’âge moyen de ces installations est de 45 ans, et de 50 ans en Amérique du Nord, d’après les évaluations citées dans le rapport mentionné par les auteurs. Ces centrales anciennes doivent être mises à niveau pour garantir une production fiable dans les prochaines décennies.
Climat, usages multiples et arbitrages à venir
Le dérèglement climatique risque d’éroder certains avantages de l’énergie hydraulique. Le réchauffement réduit les capacités de stockage naturel en altitude sous forme de neige et de glace ; des précipitations plus concentrées entraînent un ruissellement accru et des épisodes d’inondation, tandis que d’autres périodes seront marquées par un stress hydrique. Face à ces évolutions, les pouvoirs publics pourront exiger des exploitants qu’ils privilégient la fonction d’écrêtement des crues et le soutien d’étiage, notamment pour l’irrigation, au détriment de la production d’électricité. « Les entreprises qui exploitent des unités hydroélectriques demanderont une indemnisation pour les pertes engendrées par la fourniture de ce service. »
Le contrôle et l’utilisation des barrages englobent déjà de multiples usages : production d’électricité, irrigation, consommation domestique et industrielle, régulation des cours d’eau, refroidissement des centrales thermiques, loisirs, et tarification de ces usages. Ces questions alimentent des débats intenses et devraient le devenir davantage au cours des prochaines décennies. Les auteurs estiment qu’il est souhaitable que la discussion s’engage « par temps calme » plutôt qu’à l’occasion de crises ou de catastrophes.
Sur le plan institutionnel, une avancée récente a été rendue publique : le 28 août 2025, une annonce a fait état d’un accord de principe entre le Gouvernement français et la Commission européenne pour régler le contentieux en cours, signalant une volonté de relancer les investissements dans le secteur.
Par Stefan Ambec et Claude Crampes