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Nommé Premier ministre le 5 septembre dernier, Michel Barnier présente un profil qui ne semble pas en rupture avec le projet économique développé par Emmanuel Macron. Cette figure des Républicains, européen convaincu, affirme vouloir davantage de « justice fiscale » et s’est dit ouvert à des taxes sur les super-riches et les superprofits, des mesures défendues par le Nouveau Front populaire. Décryptage avec cet entretien croisé entre la directrice de recherche au CNRS, Anne-Laure Delatte, et le directeur des études du cabinet Rexecode, Olivier Redoulès.
La nomination de Michel Barnier : un choix surprenant ?
ANNE-LAURE DELATTE : Sur le plan politique, on peut noter que Michel Barnier est issu d’un parti ayant obtenu un des taux de suffrages les plus faibles, ce qui rend son choix surprenant. La Constitution française laisse cependant beaucoup de marge de manœuvre, révélant l’aspect présidentiel de notre régime. À l’international, les présidents des autres pays européens auraient plutôt aidé à trouver un Premier ministre sans choisir directement les membres du gouvernement. Concernant le budget, l’obédience de Michel Barnier semble s’inscrire dans une continuité avec Emmanuel Macron, donc nous pouvons nous attendre à un budget axé sur des coupes de dépenses plutôt que sur des hausses d’impôts, avec des conséquences macroéconomiques potentiellement négatives pour la France.
OLIVIER REDOULÈS : Michel Barnier est surtout connu pour ses fonctions européennes. Il comprend bien les enjeux liés à Bruxelles et l’équilibre politique avec nos partenaires. Comme l’a mentionné Anne-Laure, il devrait s’inscrire dans la continuité de la politique économique du parti présidentiel, Emmanuel Macron voulant préserver la trajectoire politique de l’offre mise en place depuis 2017.
La tolérance du patronat envers le Rassemblement national
A.L.D. : Les élections législatives ont montré une certaine tolérance de la part du patronat envers les idées du Rassemblement national. Ce phénomène n’est pas nouveau, et on peut faire des parallèles historiques. Le RN dispose d’un programme pro-business, mais des études ont montré que ce programme est anti-redistributif et favoriserait davantage les riches que les pauvres.
O.R. : Je ne suis pas d’accord. Il ne me semble pas que le patronat soit plus perméable aux idées du RN que d’autres segments de la population. Cependant, il est vrai que le RN s’efforce de ne pas avoir l’image d’un parti anti-business, comme en témoigne leur approche sur la réforme des retraites.
Les défis du déficit public
Bruno Le Maire a alerté sur la nécessité de réaliser 60 milliards d’euros d’économies d’ici 2025. A.L.D. : Je ne partage pas son diagnostic. Les règles européennes nous obligent à réduire le déficit d’au moins 0,5 % du PIB par an. Une politique vertueuse devrait inclure une attention sur le rythme des réductions de dépenses, car une coupe brutale peut ralentir l’activité des entreprises et dégrader le solde primaire.
O.R. : Il faut être prudent avec une consolidation budgétaire trop rapide pour éviter des réactions négatives de la population, comme on l’a vu avec la crise des Gilets jaunes. L’objectif est de respecter nos engagements européens tout en maintenant une trajectoire crédible pour nos dépenses publiques.
Les pistes pour réduire les déficits
A.L.D. : Les Français paient déjà beaucoup d’impôts pour financer des services publics. Certaines multinationales contournent les impôts, ce qui créent des inégalités. Les propositions du Nouveau Front populaire d’imposer les grandes entreprises pourraient permettre de récupérer des ressources.
O.R. : Les multinationales rapatrient des bénéfices à l’étranger, ce qui creuse notre dette. La France a changé plusieurs fois sa politique sur l’ISF, prouvant que c’est une taxe peu efficace. Il est crucial de ne pas pénaliser le développement de nos entreprises avec des mesures trop strictes.
Les politiques de l’offre et leur impact
O.R. : Les politiques de l’offre ont montré que réduire les cotisations ne conduit pas forcément à une hausse immédiate des embauches. Pourtant, la création de 150 000 emplois industriels depuis 2017 indique une tendance positive.
A.L.D. : Si la politique de l’offre était séduisante, il est temps de faire un bilan. Des aides comme le crédit d’impôt recherche semblent plus bénéfiques pour les petites entreprises. Dans le même temps, 150 000 emplois ne compensent pas les pertes des deux dernières décennies.
Le risque de départ des entreprises
A.L.D. : Mon inquiétude concerne le départ des entreprises à cause de la pénurie de talents. En réduisant les dépenses publiques, l’éducation est en péril, affectant notre capacité productive à long terme. Une gestion rigoureuse de l’argent public est essentielle pour éviter d’endommager notre système éducatif et notre infrastructure.
O.R. : Les entreprises françaises doivent être capables de s’adapter à la fin d’une politique de l’offre. Cependant, nous ne pouvons pas nous permettre de financer autant le niveau de vie par l’endettement. Nous devons nous concentrer sur la création de richesse.