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Quatre-vingts ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, le musée historique de Karlshorst, situé à Berlin, se trouve confronté à un dilemme majeur sur la manière de commémorer le rôle de l’Armée rouge dans la défaite du nazisme, alors que la Russie mène une invasion sanglante en Ukraine.
Un lieu chargé d’histoire au cœur de Berlin
Dans ce quartier verdoyant de l’ancien Berlin-Est, se dresse un imposant bâtiment gris où, dans la nuit du 8 mai 1945, l’Allemagne nazie signa sa capitulation officielle face aux Alliés, dont faisait partie l’Union soviétique de Staline. Ce musée conserve la salle impressionnante, avec son parquet massif, où fut acté ce moment historique, ainsi qu’une vaste exposition permanente dédiée à la guerre sur le front de l’Est, actualisée en 2013.
À l’extérieur, un char d’époque arbore le slogan en russe « Pour la mère patrie ! », formule encore utilisée aujourd’hui par Vladimir Poutine pour justifier l’invasion de l’Ukraine, conflit qui a causé la mort de dizaines de milliers de personnes, en majorité des civils ukrainiens, et semé la destruction dans ce pays depuis plus de trois ans.
Une gestion délicate face à la guerre en Ukraine
Jörg Morré, directeur du musée, est pleinement conscient des risques liés à « l’instrumentalisation de l’histoire à des fins politiques », notamment de la part du Kremlin. Bien que l’exposition inclue une « perspective russe » sur la Seconde Guerre mondiale, elle exclut celle de la Russie contemporaine. Le musée préfère donner la parole à des universitaires libres, souvent en exil, afin d’assurer un regard critique et indépendant.
Dès le début de l’invasion russe, le 24 février 2022, le drapeau russe qui flottait devant le bâtiment fut temporairement remplacé par celui de l’Ukraine, témoignage de solidarité. « Très tôt, lorsque l’attaque contre toute l’Ukraine est devenue évidente, nous avons décidé qu’il n’était pas correct de hisser le drapeau russe », explique M. Morré. Le musée a également changé de nom, abandonnant « Musée germano-russe » pour devenir « Musée Berlin-Karlshorst », marquant une prise de distance claire avec la Russie de Poutine.
Un passé soviétique sous tension
Initialement construit pour l’armée nazie en 1938, le bâtiment fut transformé après la guerre en quartier général de l’armée soviétique d’occupation. Un musée dédié à l’Armée rouge y fut alors installé. Cette armée comptait, selon les historiens, un cinquième de soldats ukrainiens, nombreux à s’être engagés après l’invasion de leur pays par le Troisième Reich.
Les troupes soviétiques furent les premières à atteindre Berlin, brisant la résistance nazie lors de la sanglante bataille de la capitale allemande, bien qu’elles aient aussi instauré la terreur sur leur passage dans l’est de l’Allemagne. L’exposition présente les célèbres photographies des soldats soviétiques prenant d’assaut le Reichstag, symbole du pouvoir nazi.
Un musée au carrefour des mémoires
Après la chute de l’URSS et la réunification allemande, le musée fut géré conjointement par la Russie et l’Allemagne, puis élargi à la participation de représentants ukrainiens et biélorusses, afin de refléter l’ampleur géographique des combats. Malgré sa forte « pompe soviétique », selon Marcel Krüger, écrivain allemand, le musée constitue un lieu essentiel de mémoire.
L’exposition ne cache pas les crimes nazis dans l’Europe de l’Est, tout en abordant plus brièvement les exactions commises par les troupes soviétiques envers les civils allemands. Dans l’ère post-Guerre froide, on espérait que ce lieu favoriserait la compréhension entre les peuples et la réconciliation.
Les tensions croissantes depuis 2014 entre Kiev et Moscou, aggravées par l’annexion de la Crimée et les combats dans l’est ukrainien, n’avaient pourtant pas rompu le dialogue du musée avec toutes les parties. Mais l’invasion de février 2022 a constitué « une rupture définitive », avec quasiment plus de contacts avec la Russie et des échanges très limités avec le Belarus.
Regards de visiteurs
Maria, une visiteuse marquée par sa visite, confie trouver l’exposition « très émouvante et très douloureuse ». Elle s’interroge sur les leçons effectivement tirées de la Seconde Guerre mondiale, à la lumière de la guerre actuelle en Ukraine.