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Musulmans au Nord de la France entre censure et exil
En raison de soupçons constants d’appartenance à des groupes islamistes radicaux et par crainte d’accusations de promotion du terrorisme, certains musulmans français ou d’origine nord-africaine choisissent de rester silencieux, tandis que d’autres – souvent parmi les plus qualifiés – décident de quitter la France en raison de cette atmosphère nuisible, surtout dans le nord du pays.
C’est avec ces mots que le site « Orient XXI » a ouvert une enquête menée par la journaliste Nadia Daaki. L’article commence par souligner qu’une série de cas individuels, de doutes, de controverses et de lois adoptées ou prévues conduisent un certain nombre de musulmans français ou d’origine nord-africaine à remettre en question leur place en France.
Témoignages et inquiétudes
مولود, un quadragénaire né dans le nord de la France et employé dans le secteur public,
déclare : « Nous étions des pionniers dans des associations islamiques fortes soutenues par des musulmans engagés. C’est pourquoi les autorités publiques tentent depuis des années de les saper par une attaque systématique et structurelle. »
Le quadragénaire cite plusieurs institutions concernées : de l’école secondaire Ibn Rochd à la radio Pastel FM en passant par la mosquée de Villeneuve d’Ascq. Les responsables de la mosquée ont été jugés mais relâchés par le tribunal, le financement étatique de Pastel FM a été coupé pour des accusations de prêche religieux, et le contrat de l’école Ibn Rochd avec l’État a été annulé.
مولود explique qu’il pratique l’auto-censure concernant la guerre à Gaza, de peur de subir le même sort que Jean-Paul Delsco, secrétaire de la section départementale du syndicat CGT dans le nord, condamné à une année de prison avec sursis pour apologie du « terrorisme ». مولود précise : « Après ce qu’ils ont fait à un Blanc non-musulman pour avoir rappelé l’occupation illégale, imaginez ce qu’ils peuvent faire à quelqu’un comme moi. »
Racisme et islamophobie
مولود participe donc à d’autres activités : « Je manifeste, je boycotte les produits israéliens et j’éduque mes enfants. Peu importe si je dois baisser la tête au travail. »
Cette auto-censure ne se limite pas à la question palestinienne, mais englobe un climat général visant à étouffer toute expression liée à la culture arabo-musulmane.
La journaliste rappelle que l’affaire de l’école Ibn Rochd a laissé une marque indélébile dans le nord en raison de son caractère injuste, comparée au lycée Stanislas de Paris, qui a enfreint la laïcité sans subir de conséquences similaires. Magid, 42 ans, partage cet avis et souligne que « Ibn Rochd était un exemple de réussite. Pour moi, il y a un racisme sans limites dans ce genre d’attaque. »
Pour محمد, 63 ans, conseiller en emploi à Lille, « ces attaques injustes répétées me donnent la nausée. »
Tout en ne généralisant pas à tous les Français, محمد ressent une certaine hostilité envers les Arabes et les musulmans dans certains médias, ce qui l’amène à éviter de discuter du conflit palestinien dans son milieu professionnel. « Les gens peuvent dire ‘Retourne dans ton pays’. Mais mon pays, c’est ici. »
طارق, 30 ans, chercheur en sciences politiques, affirme : « Je suis né ici, j’ai grandi ici, ma langue maternelle est le français, mais pour certains, je serai toujours un étranger. La raison en est une structure d’État extrêmement raciste, comme en témoignent les lois sur la séparation. »
La tentation de l’étranger
مولود envisage sérieusement de partir pour un autre pays : « Nous observons une dégradation économique en plus de l’islamophobie ambiante. Nos parents ont émigré, et nous pensons faire de même. » Les raisons sont multiples, mais la principale reste « l’islamophobie ». Malgré leur formation et leurs efforts, ils se heurtent à un mur de déception.
Nadia Daaki évoque le livre des chercheurs Julien Talpin, Olivier Esteves et Alice Picard, « La France, tu l’aimes mais tu la quittes », qui analyse les réponses de 1 000 personnes lors de 250 entretiens avec des émigrés récents et d’autres partis depuis environ 20 ans.
Parmi les raisons de leur départ, 70 % mentionnent le désir d’échapper à la discrimination, suivis par 63 % qui cherchent à vivre leur foi paisiblement, et enfin le développement professionnel.
Talpin estime que les motivations à partir incluent les élections présidentielles de 2022, ou le rôle de certains médias comme CNews, ainsi que la couverture excessive du candidat Éric Zemmour, contribuant à créer « une atmosphère étouffante » plutôt que des « expériences directes de discrimination ».
Contrairement aux idées reçues, les destinations d’émigration ne sont pas majoritairement musulmanes, et les émigrés interrogés ne se considèrent pas extrêmement religieux. Ils sont souvent de la deuxième ou troisième génération de Français à double nationalité, et plus de 53 % sont hautement qualifiés.
En d’autres termes, « la France se prive d’une partie de ses élites ». La majorité des personnes interrogées sont passées par les universités publiques françaises. Talpin explique que le système éducatif et social français leur a permis de progresser socialement, mais la focalisation constante sur l’Islam les empêche de s’épanouir pleinement.
Certains interviewés disent : « Nous ne sommes pas seulement discriminés, mais toutes les formes d’organisation religieuse qui ont permis certains progrès sont désormais suspectes. » La dissolution du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) montre qu' »il n’est même plus possible de s’organiser pour lutter contre la discrimination ».