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Nigeria : Déplacés craignent Boko Haram et refusent de quitter les camps

by Sara
Nigeria

Quatre mois après l’évacuation de 22 000 personnes et la fermeture de l’approvisionnement en eau, le camp de déplacés de Muna, à Maiduguri, n’est plus que l’ombre de lui‑même. Pourtant, Maryam Suleiman, veuve de 50 ans, refuse de partir. Elle et ses 12 enfants dorment toujours sous des toits qui fuient, alors que les structures s’effondrent autour d’eux.

« On nous a donné le choix de rester ou de retourner chez nous », confie la mère à Al Jazeera, debout sur ce qui reste du site qui abritait sa famille depuis une décennie. « Mais on continue de tuer des gens là‑bas. »

Son village natal, Dongo, dans la localité de Mafa, à 49 km de Maiduguri, est l’endroit où des combattants de Boko Haram ont tué ses deux frères cadets en 2014. C’est aussi la zone que le gouvernement considère comme suffisamment sûre pour y renvoyer les déplacés, malgré les attaques récurrentes qui ont fait, selon les bilans officiels, des milliers de morts et des millions de déplacés dans le nord‑est du pays.

La fermeture du camp de Muna

Le gouverneur de l’État de Borno, Babagana Umara Zulum, a ordonné la fermeture de tous les camps en 2023, estimant que la sécurité s’était améliorée et qu’il était nécessaire de « restituer la dignité » aux personnes déplacées. Des opérations de réinstallation ont alors été lancées, mais les retours forcés suscitent la méfiance.

En mai 2025, quelques mois après le début des retours, Boko Haram a repris des attaques, notamment à Marte, où cinq soldats ont été tués. D’autres incidents ont suivi à Dikwa, Rann, Gajiram et dans d’autres localités qualifiées de « sûres ».

Selon le quotidien Daily Trust, plus de 90 personnes ont été tuées ces cinq derniers mois dans l’État de Borno. L’attaque de Marte a elle seule contraint 20 000 personnes récemment réinstallées à fuir à nouveau.

Souvenirs et pertes

« Je me souviens d’une époque où notre communauté produisait beaucoup d’agriculture », se remémore Suleiman à propos de la vie avant 2009, lorsque la campagne violente de Boko Haram a commencé. « Les gens de Maiduguri venaient dans notre village pour commercer. Je ne voyais pas l’utilité d’aller à Maiduguri, j’avais tout ce qu’il fallait chez moi. »

Après l’élimination du fondateur du groupe, Mohammed Yusuf, par les forces nigérianes en 2009, son adjoint Abubakar Shekau a intensifié les attaques contre les civils, les infrastructures et les forces de sécurité, transformant durablement le nord‑est du Nigeria.

Dans les vestiges du camp de Muna, Suleiman partage une pièce unique avec 15 personnes. Ses enfants, autrefois scolarisés, ne vont plus en classe. « On mange rarement, sauf quand on sort chercher de la nourriture », raconte‑t‑elle. « Le gouvernement et les ONG ont tout enlevé quand ils ont fermé le camp. »

Vestiges du camp de Muna à Maiduguri
Vestiges du camp de déplacés de Muna à Maiduguri, où des centaines de personnes comme Maryam Suleiman vivent encore malgré la fermeture officielle (Kurutsi Bitrus/Egab).

Un retour dangereux

Donoma Gamtayi, un vieil agriculteur originaire de Marte, observe depuis l’entrée délabrée du camp les véhicules militaires passer en direction de son village. Il affirme que Boko Haram opère toujours dans la région. « Ils viennent de temps en temps. Quand ils enlèvent quelqu’un, ils exigent une rançon — parfois jusqu’à deux millions de nairas », dit‑il.

Comme beaucoup, Gamtayi souhaite reprendre les travaux agricoles, mais pas au prix de sa vie. « Si des forces de sécurité étaient déployées dans les communautés concernées, nous aurions la confiance nécessaire pour vivre dans les zones de réinstallation. Nous pourrions passer quelques heures dans des lieux sûrs », ajoute‑t‑il.

L’analyste nigérian en sécurité Kabir Adamu reconnaît la logique du retour à la normale, mais met en garde : la configuration sécuritaire actuelle expose encore les villageois, surtout en dehors des grandes villes où l’armée a installé des garnisons.

Il rappelle que certaines personnes sont parfois contraintes de payer des rançons à Boko Haram ou au groupe État islamique en Afrique de l’Ouest. Cela crée un cercle vicieux : ces actes, vus comme un soutien au « terrorisme » par l’État, exposent les payeurs à des risques d’arrestation, alors que pour eux c’est souvent la seule option de survie.

Le gouverneur Zulum a justifié les fermetures en évoquant la montée de la prostitution, du banditisme et des abus sur les enfants dans les camps. « Vivre dans des camps de déplacés n’est pas notre mode de vie ni ce que nous souhaitons », a‑t‑il déclaré, estimant que la réinstallation était nécessaire pour éradiquer Boko Haram et permettre aux gens de gagner leur vie.

Mais les acteurs humanitaires dressent un bilan alarmant. En août, le Fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF) a averti que 4,5 millions de personnes dans le nord‑est du Nigeria avaient besoin d’aide humanitaire, dont la moitié sont des enfants.

« Dans les États de Borno, Adamawa et Yobe, 2,5 millions d’enfants risquent la malnutrition aiguë », explique la représentante de l’UNICEF au Nigeria, Wafaa Elfadil Saeed Abdelatef. « Des familles sautent des repas, des enfants dépérissent, et des mères arrivent aux centres d’alimentation avec des bébés proches de la mort. »

De janvier à juin de cette année, l’UNICEF et ses partenaires ont atteint 1,3 million de personnes avec des services de santé, traité 340 000 enfants pour malnutrition aiguë sévère, fourni de l’eau potable à 185 000 personnes et aidé plus de 500 000 enfants déscolarisés à retourner en classe dans le nord‑est du Nigeria.

Maryam Suleiman dans le camp de Muna
Maryam Suleiman, veuve, vit dans le camp de Muna avec ses 12 enfants (Kurutsi Bitrus/Egab).

Piégés entre la peur et la faim

Adamu souligne que la complexité des retours forcés dépasse la seule menace sécuritaire. La rareté alimentaire est un problème majeur dans les zones réinstallées, en raison des systèmes agricoles détruits et d’une aide humanitaire limitée.

« Des endroits comme Dikwa et Monguno présentent des taux de malnutrition extrêmement élevés », précise‑t‑il. Le traumatisme psychologique aggrave la crise : des personnes déplacées ont subi des années de souffrances, et les resettlements sans soutien psychosocial adéquat ne font qu’empirer leur état mental.

L’absence d’une démarche d’accompagnement avec les communautés d’accueil peut provoquer des conflits pour la terre, l’eau et les opportunités économiques. « Nous avons vu cela à Pulka, où la concurrence pour des ressources limitées est violente », indique Adamu.

Garba Uda’a, un autre résident du camp, raconte qu’à Muna la vie ressemble à ce qu’elle était à l’arrivée des premiers déplacés : pas de moyens pour démarrer un commerce ou cultiver des terres. « Nous avons été laissés pour compte après l’exercice de réinstallation », dit‑il. « Oui, nous avons peur, mais ils devraient nous soutenir, même un peu, car nous n’avons rien. »

Il explique que la saison des plantations est passée et qu’il est trop tard pour semer quoi que ce soit qui pourrait les soutenir. La détérioration de la situation économique du pays complique encore davantage le retour.

Pour l’heure, Suleiman a fait son choix. Si le gouvernement la reloge ailleurs — n’importe où de sûr — elle ouvrira un magasin d’approvisionnement. Elle sait tenir un commerce et subvenir aux besoins de sa famille. Mais pas à Dongo : pas là où le sang de ses frères reste marqué dans sa mémoire et où les combattants viennent encore exiger leur terrible impôt.

À la tombée de la nuit sur le camp de Muna, elle prépare le sol où ses enfants dormiront. Le toit peut fuir, les toilettes être hors d’usage, et la faim ronger leurs estomacs. Mais ils sont vivants. « Tant que la nouvelle de massacres ne nous paraîtra pas étrange », dit‑elle, « nous resterons. »

Publié en collaboration avec Egab.

Informations complémentaires

  • Mot clé principal : déplacés Nigeria Boko Haram
  • Région : État de Borno, nord‑est du Nigeria
  • Thèmes : sécurité, réinstallation, malnutrition, camps fermés
source:https://www.aljazeera.com/features/2025/9/19/we-will-stay-displaced-nigerians-fear-boko-haram-stay-in-closing-camps

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