Philip Roth, La Pléiade, romans, doubles, autobiographie : Gallimard publie un troisième volume de la « Bibliothèque de la Pléiade » consacré aux œuvres de Philip Roth couvrant 1993‑2007, qui révèle la manière dont l’écrivain a doublé et mis en scène son propre « je » au fil de romans mêlant fiction et matière biographique.
Philip Roth, La Pléiade : romans, doubles et autobiographie (1993–2007)
Le volume, intitulé « Romans. 1993‑2007 », rassemble plusieurs textes majeurs de Philip Roth et s’inscrit dans la tradition de l’auteur de tirer de son expérience intime une matière romanesque. La nouvelle édition, dirigée par Philippe Jaworski avec Nicolas Cavaillès, Aurélie Guillain et Paule Lévy, comprend des traductions révisées et une présentation éditoriale soignée. L’ouvrage est présenté avec les traductions de Lazare Bitoun, Josée Kamoun et Marie‑Claire Pasquier ; il compte 1 664 pages et est vendu 70 €.
Pour Philip Roth (1933‑2018), le champ biographique n’est pas à fuir mais à exploiter : « L’artiste doit s’arranger de façon à faire croire à la postérité qu’il n’a pas vécu », écrivait Flaubert à Louise Colet le 27 mars 1852 — une maxime que Roth jugeait, lui, erronée. Il a régulièrement insisté sur l’intérêt de prendre la matière personnelle pour la transformer, la dupliquer et la parodier, jusqu’à compromettre le « je » au profit de personnages qui en portent la marque.
« La forme de déguisement la plus habile consiste à porter un masque à sa propre effigie »
Cette formule, extraite de Les Faits (1990), illustre le mouvement stratégique que Roth adopte à partir des années 1990 : plutôt que de créer des « doubles » éloignés, il choisit parfois de se mettre en scène sous un soi‑disant masque identique à lui‑même. Avant cette période, ses avatars littéraires portaient des noms distincts — David Kepesh, Peter Tarnopol ou Nathan Zuckerman — et servaient à explorer des facettes diverses de son imagination et de sa vie.
La démarche était déjà annoncée dans La Leçon d’anatomie (1985), où Roth expliquait sa façon d’« tirer des récits de ses vices » et de « rêver des doubles pour ses démons ». Dans la sélection rassemblée pour La Pléiade, l’un des romans pivots de cette évolution apparaît au début du volume : Opération Shylock (1995), qui inaugure la série d’œuvres traduites et révisées par l’équipe éditoriale.
Œuvres rassemblées dans le volume
Le troisième volume consacré à Philip Roth dans la « Bibliothèque de la Pléiade » comprend, selon l’édition :
- Opération Shylock (1995)
- Le Théâtre de Sabbath (1997)
- Le Complot contre l’Amérique (2006)
- Exit le fantôme (2009)
Ces titres traduits et parfois retravaillés en français témoignent d’un moment où Roth, déjà reconnu comme figure majeure de la littérature américaine, a réorienté sa pratique romanesque vers une mise en tension entre vie vécue et fiction auto‑réflexive.
Le volume propose ainsi au lecteur de suivre une trajectoire littéraire précise : des procédés de métadiction et des personnages‑miroirs des années 1970‑1980 aux stratagèmes plus directement autobiographiques des décennies suivantes. La direction de l’édition et la révision des traductions visent à rendre compte de ces inflexions et à offrir une lecture cohérente de cette période de l’œuvre.
En rassemblant ces textes dans la « Bibliothèque de la Pléiade », Gallimard livre une lecture officielle et critique d’une époque décisive de la production de Philip Roth, marquée par le recours systématique au double, au déguisement de soi et à la mise en récit des tensions intimes entre auteur et personnage.