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L’Égypte s’oppose aux ambitions éthiopiennes sur la mer Rouge
Récemment, le ministre des Affaires étrangères égyptien, Badr Abdelatty, a rencontré le président érythréen, Isaias Afwerki, lors de discussions portant sur une question cruciale : la sécurité en mer Rouge. Les deux parties ont souligné que la gestion de cette région devrait rester exclusivement entre les mains des pays riverains, sans interventions extérieures.
Une opposition conjointe à l’Éthiopie
Dans ce contexte, les positions égyptienne et érythréenne se rejoignent sur un point essentiel : le refus d’accorder à l’Éthiopie un quelconque accès aux côtes de la mer Rouge. Ce motif a récemment motivé le Caire à renforcer ses relations avec Mogadiscio, la capitale somalienne.
Au milieu de l’année 2024, Le Caire a multiplié les rencontres de haut niveau avec des responsables somaliens en réaction aux initiatives éthiopiennes. En janvier 2024, Addis-Abeba a signé un accord avec la République autoproclamée du Somaliland, qui n’est pas reconnue internationalement, lui permettant d’accéder à la mer Rouge en échange de la reconnaissance de son indépendance vis-à-vis de la Somalie.
Conscient que cette situation mettait en péril ses intérêts, Le Caire a rapidement dénoncé cet accord et a rassemblé des soutiens régionaux et arabes pour le rejeter. Il a ensuite renforcé ses liens avec la Somalie en signant un protocole de coopération en août 2024, incluant un soutien militaire pour Mogadiscio face à Addis-Abeba.
Les raisons du retrait éthiopien
Peu après, l’Éthiopie a commencé à revoir sa position sur l’accord avec le Somaliland pour plusieurs raisons :
- Opposition interne forte : Des voix se sont élevées au sein même du Somaliland, avec le leader de l’opposition, Abdirahman Mohamed Abdullahi (Aro), menant une campagne contre cet accord, notamment après sa victoire aux élections de novembre 2024, promettant de préserver l’indépendance de son pays.
- Une coopération plus durable avec la Somalie : Addis-Abeba a constaté que la collaboration avec Mogadiscio, reconnue internationalement, offrait de meilleures opportunités que de traiter avec une entité non reconnue.
- Risques liés à la coopération avec Djibouti : Les importantes investissements étrangers dans les ports djiboutiens et l’existence de bases militaires étrangères ont incité l’Éthiopie à reconsidérer ses options, notamment à cause des obstacles posés par le Front de libération du Tigré.
Un changement de tactique de la part du Caire
Face à ces évolutions, Le Caire a commencé à réévaluer ses stratégies concernant l’accord avec la Somalie. Cette réévaluation a été influencée par des hésitations de la part des responsables somaliens, suite à une médiation de la Turquie – malgré le rapprochement récent entre Ankara et Le Caire – qui a réuni le président somalien Hassan Sheikh Mohamud et le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed. Ce sommet a abouti à l' »Annonce d’Ankara » du 11 décembre 2024, qui prévoyait des consultations entre les deux pays sur une période de quatre mois, visant à apaiser les tensions et à permettre à l’Éthiopie d’accéder à la mer Rouge via la Somalie.
Ce développement a suscité de l’inquiétude à Le Caire, suggérant que la Somalie ne comptait plus entièrement sur l’Égypte pour contrer l’influence éthiopienne, mais cherchait plutôt à équilibrer ses relations régionales.
Les relations égypto-turques face à l’Éthiopie
Malgré ces tensions, Le Caire et Ankara ont tenté de dissocier leurs relations générales de la médiation turque entre la Somalie et l’Éthiopie. Cela a été manifeste lors de la rencontre positive entre le président Erdogan et le président Sissi le 19 décembre 2024, lors de la réunion des huit à Le Caire.
À la lumière de ces développements, l’Égypte s’est vue contrainte de réévaluer sa position sans perdre espoir de rallier la Somalie à sa cause contre l’Éthiopie. Le 23 janvier 2025, Le Caire et Mogadiscio ont signé un accord visant à élever leurs relations à un niveau de « partenariat stratégique », englobant des domaines tels que la sécurité, la politique, l’économie, la défense et la justice.
Les manœuvres somaliennes
Cependant, il semble que la Somalie ait adopté une politique de jeu à double sens :
- Le 2 janvier 2025, Mogadiscio a accueilli la ministre de la Défense éthiopienne, Aisha Mohamed, pour discuter des arrangements concernant la participation de l’Éthiopie à la mission « AUSOM », approuvée par le Conseil de sécurité en décembre 2024.
- Le président somalien Hassan Sheikh Mohamud a visité Addis-Abeba le 11 janvier 2025.
- Abiy Ahmed a réciproqué par une visite à Mogadiscio le 27 février 2025.
Éthiopie : entre Le Caire et Asmara
Dans ce contexte complexe, l’Égypte a trouvé un soutien auprès de l’Érythrée, qui a toujours été un obstacle majeur à l’accès maritime de l’Éthiopie depuis son indépendance en mai 1993. Bien qu’Asmara ait soutenu Addis-Abeba contre le Front de libération du Tigré, les différends historiques entre les deux pays demeurent plus forts que leurs intérêts communs.
Le Caire a donc exploité cette situation en prenant deux initiatives majeures :
- La visite de Sissi à Asmara le 10 octobre 2024, où il a tenu un sommet trilatéral avec ses homologues érythréen et somalien pour discuter des moyens de sécuriser la mer Rouge et d’empêcher l’Éthiopie d’atteindre ses objectifs dans cette région.
- La visite du ministre des Affaires étrangères égyptien, Badr Abdelatty, à Asmara le 28 février 2025, où il a transmis un message du président Sissi à son homologue érythréen, dans le cadre du renforcement de la coordination trilatérale entre l’Égypte, la Somalie et l’Érythrée.
Une évaluation tardive des choix égyptiens
Ainsi, l’Égypte a pris conscience, bien que tardivement, qu’elle avait raté de nombreuses occasions de faire face aux ambitions éthiopiennes, notamment dans le dossier du Grand barrage de la Renaissance, depuis 2020, en laissant Addis-Abeba remplir le barrage sans un accord contraignant. C’est un erreur que Le Caire s’efforce désormais de corriger à travers des actions régionales actives.
Cependant, la question demeure : l’Égypte parviendra-t-elle cette fois à contrecarrer les ambitions éthiopiennes, qui ne se limitent pas à l’influence économique, mais visent également une présence stratégique en mer Rouge ? Seul le temps nous le dira.