Nouvel échec à Genève dans la lutte contre la pollution plastique : la session de reprise des négociations organisée par les Nations unies n’a pas permis, vendredi 15 août au petit matin, d’adopter un traité «juridiquement contraignant» face à ce fléau, malgré la présence de délégués de 184 pays et dix jours de pourparlers prolongés en Suisse.
À Genève, échec des négociations sur la pollution plastique et prolongations infructueuses
Réunis pour tenter de surmonter les blocages apparus à Busan (Corée du Sud) huit mois plus tôt, les États parties n’ont pas trouvé d’accord sur la dernière version du texte mise sur la table. Une nouvelle session dite «de la dernière chance» sera organisée ultérieurement, dans une ville et à une date restant à définir, sur la base du projet issu de Busan.
Le président du Comité intergouvernemental de négociation, l’Equatorien Luis Vayas Valdivieso, a tenté de minimiser la portée de l’échec lors de la clôture : «Ce cheminement que nous avons entrepris n’est pas un sprint mais un marathon. Cette persévérance doit nous accompagner plus que jamais», a‑t‑il déclaré devant des visages «cernés et déconfits». En réponse, la représentante australienne Katherine Lynch a dit : «Nous sommes profondément déçus.»
La Commissaire européenne à l’Environnement, Jessika Roswall, a estimé que «L’Union européenne avait davantage d’ambition», tandis que Tobias Ogweno, parlant au nom du Kenya, a jugé «Il est regrettable que nous n’ayons pas été capables de présenter au monde un traité», le Kenya étant connu pour son rôle moteur dans le dossier.
L’horaire initial de clôture prévu jeudi 14 août à minuit a été repoussé après une courte prise de parole du président, qui a offert quelques heures supplémentaires pour poursuivre les concertations. Malgré une session informelle prolongée une grande partie de la nuit, la version finale comportait encore, à l’aube, plus d’une centaine de points à trancher, et les chefs de délégation n’ont pas pu s’entendre.
Chiffres, enjeux et réactions des délégations
Le dossier porte des enjeux scientifiques, économiques et sanitaires considérables. Actuellement, le monde produit chaque année 460 millions de tonnes de plastique ; selon des projections mentionnées lors des débats, cette quantité pourrait tripler d’ici 2060. Le plastique, principalement fabriqué à partir de pétrole, devrait représenter 15 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre d’ici vingt‑cinq ans, contre environ 4 % aujourd’hui.
Lors d’une conférence organisée quarante‑huit heures avant la fin des négociations, la chercheuse Megan Deeney (London School of Hygiene and Tropical Medicine) et membre de la Coalition des scientifiques a rappelé la dissémination globale de ce matériau toxique : «dans les sols, l’eau, l’alimentation, nos corps et ceux de la génération suivante avant même qu’ils n’aient eu l’occasion de boire dans une bouteille en plastique», a‑t‑elle dit.
Sur le fond, l’opposition entre pays porte sur la finalité même du traité. Certains États veulent limiter le texte à la gestion et à l’élimination des déchets plastiques ; d’autres exigent des mesures visant à réduire la production et à interdire les produits chimiques les plus dangereux utilisés dans la fabrication du plastique — on estime que 16 000 composés sont employés, dont un quart a déjà été classé comme dangereux par des scientifiques.
À Genève, deux camps irréconciliables se sont affrontés. Le premier, mené par l’Arabie Saoudite et les pays du Golfe — fortement dépendants du pétrole —, était en minorité, mais a su s’organiser pour entraver les tractations, soutenu selon le texte source par les États‑Unis et dans une moindre mesure par la Chine. En face, une coalition d’une centaine de pays à «haute ambition» (Union européenne, Canada, Australie, Royaume‑Uni, ainsi que de nombreux États d’Afrique, d’Amérique latine et des nations insulaires) réclamait un instrument prenant en compte «tout le cycle de vie du plastique», mais l’unanimité était requise.
La ministre de la Transition écologique française, Agnès Pannier‑Runacher, a regretté l’issue des négociations : «Une poignée de pays, guidés par des intérêts financiers de court terme et non par la santé de leurs populations et la durabilité de leur économie, ont bloqué l’adoption d’un traité ambitieux», a‑t‑elle dit, se disant «en colère». Emmanuel Macron s’était également exprimé en faveur d’un «texte à la hauteur de l’urgence» sur le réseau social X.
David Azoulay, avocat au Centre pour le droit international de l’environnement, a critiqué la méthode de négociation : «La présidence a utilisé une stratégie éprouvée qui consiste à présenter un texte inacceptable, puis à revenir avec un traité médiocre à prendre ou à laisser […] qui reste insuffisant pour répondre pleinement à la crise. Lorsqu’un processus est défaillant, comme c’est le cas ici, il est essentiel que les pays identifient les solutions nécessaires pour y remédier.»
Une question demeure pour la prochaine séquence de pourparlers : certaines délégations demandent que la procédure exceptionnelle d’un vote sans nécessité de consensus soit envisagée pour débloquer la situation. À Genève, Manon Richert (Zero Waste France) a déclaré : «Le multilatéralisme, il faut absolument le préserver. Mais pour ça, il faut mettre en place des mécanismes afin que les négociations internationales vitales pour l’humanité ne soient plus confisquées par quelques‑uns au détriment de tous les autres.»
Mis à jour jeudi 15 août à 14h41 avec davantage de précisions.