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Depuis plus de vingt ans, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou multiplie les alertes internationales, affirmant que l’Iran est à quelques semaines, mois ou années de posséder la bombe nucléaire. Sur toutes les tribunes, il a régulièrement brandi des cartes en avertissant que « le danger iranien » approchait un point de non-retour. Pourtant, après ces deux décennies d’avertissements répétés, l’Iran ne détient toujours pas cet arsenal.
Si les Israéliens ont surnommé Netanyahou « le père de la bombe iranienne » en raison de ses menaces incessantes et de son incapacité à agir de manière décisive, l’ancien président américain Donald Trump a pu, par son retrait de l’accord nucléaire de 2015, fournir à l’Iran un prétexte pour intensifier son enrichissement d’uranium et pour justifier, à ses yeux, la nécessité d’une arme nucléaire, malgré ses dénégations officielles.
Israël sait pertinemment que le chemin le plus rapide vers la bombe passe par l’expulsion des inspecteurs et le retard dans leur retour, exploitant chaque faille pour s’approcher du seuil nucléaire. La menace devient d’autant plus grave si Téhéran se sent menacé, comme lors des frappes ciblant ses dirigeants et scientifiques, qui ont coïncidé avec des appels explicites d’Israël et des États-Unis pour renverser son régime, voire des menaces d’assassinat contre le guide suprême Ali Khamenei.
Des résultats contraires aux attentes
En 2018, sous l’impulsion de Netanyahou, Trump a décidé de quitter l’accord nucléaire avec l’Iran, une décision que Téhéran a rapidement exploitée en augmentant le taux d’enrichissement d’uranium, passant de 3 % à 20 %, voire à 60 % en 2025 selon les rapports de l’Agence internationale de l’énergie atomique.
L’attaque israélienne surprise du 13 juin contre l’Iran était un pari risqué, même avant que Trump ne s’y engage avec ses bombes dites « anti-bunker ». Malgré la défaite apparente de Téhéran, plusieurs experts britanniques considèrent que cet assaut pourrait n’être que temporaire, et qu’il aurait peut-être paradoxalement rapproché l’Iran de la possession de la bombe nucléaire.
Trump souhaitait probablement freiner rapidement l’ambition nucléaire iranienne. Mais à l’issue des frappes sur les trois sites visés par les bombardiers furtifs américains, le constat des spécialistes est que ces attaques pourraient en réalité avoir renforcé la détermination iranienne.
Une volonté politique plus déterminante que la technique
Jeffrey Lewis, expert au Middlebury Institute of International Studies, estime que sur le plan technique, la bombe iranienne reste un peu éloignée, mais du point de vue politique, elle est désormais beaucoup plus proche.
Selon lui, l’Iran a toujours été à quelques mois d’obtenir l’arme nucléaire. Ce qui a freiné ce processus n’est pas un déficit technique, mais un manque de volonté politique. Cette dernière, affirme-t-il, peut compenser largement les pertes techniques et représente un danger potentiellement plus grand.
En effet, les menaces précédant la dernière frappe américaine, notamment sur l’installation de Fordow, ont donné à l’Iran le temps d’évacuer le site et de déplacer les équipements essentiels, réduisant l’efficacité de l’attaque, d’autant que Téhéran possède environ 400 kilogrammes d’uranium enrichi.
Un expert nucléaire cité par The Independent souligne que les États-Unis font face à un véritable dilemme : impossible de confirmer si toutes les quantités d’uranium enrichi iranien sont inventorier, ni si tous les centrifugeuses ont été identifiées.
L’héritage du savoir-faire nucléaire
L’expert souligne que l’élargissement des objectifs américains à la chute du régime iranien n’est pas une stratégie efficace pour empêcher l’Iran de se doter de l’arme nucléaire à long terme. L’appel à un changement radical de régime n’a pas de portée stratégique réelle dans ce contexte.
Jeffrey Lewis rappelle que pour empêcher l’Iran de posséder l’arme nucléaire à l’avenir, il faudrait multiplier les frappes répétées. Mais tant que Téhéran conservera les connaissances techniques, il sera impossible d’éliminer complètement la menace.
Une inquiétude grandissante émane du stock d’uranium enrichi dont la localisation est inconnue et échappe à toute surveillance.
Nicholas Miller, spécialiste de la prolifération nucléaire, prévient que si ce stock est intact et protégé, l’Iran pourrait l’utiliser dans une installation secrète de purification, lui permettant de fabriquer plusieurs têtes nucléaires en quelques mois seulement.
Selon Miller, les dirigeants iraniens considèrent que le développement d’armes nucléaires garantirait mieux la survie du régime face aux tentatives étrangères de changement, estimant que les frappes ont accru la probabilité d’un engagement américain plus profond dans le conflit, notamment par l’intermédiaire d’Israël pour détruire les restes du programme nucléaire iranien.
Une nécessité inévitable pour Téhéran
Foreign Policy souligne qu’il serait surprenant que l’Iran n’ait pas déplacé une partie importante de son uranium hautement enrichi, ni pris de mesures pour protéger ses centrifugeuses avancées. Malgré la supériorité des renseignements israéliens et l’élimination de plusieurs scientifiques nucléaires importants, il est très improbable que Téhéran ait perdu les connaissances ou compétences techniques nécessaires pour relancer son programme en cas de besoin.
Kelsey Davenport, de l’Association pour le contrôle des armements, insiste sur le fait qu’Israël ne peut effacer le savoir nucléaire accumulé par l’Iran. Elle met en garde contre un risque réel que l’Iran ait déjà transféré de l’uranium enrichi vers des sites secrets, rendant les frappes aériennes incapables d’arrêter définitivement le programme, seulement de le retarder.
Par conséquent, les attaques américano-israéliennes n’ont pas affaibli la détermination iranienne, au contraire, elles rendent de plus en plus difficile d’imaginer un abandon total de ses ambitions nucléaires.
Le programme nucléaire iranien remonte à plusieurs décennies, même lorsqu’elle était un allié proche de l’Occident sous le règne du Shah soutenu par les États-Unis. À cette époque, l’Iran avait déjà compris que sa géographie, sa richesse pétrolière et sa position au cœur d’une région instable rendaient la possession d’une capacité nucléaire une nécessité stratégique plutôt qu’un luxe.
Cette motivation s’est renforcée après que Israël eut acquis l’arme nucléaire à la fin des années 1960. Le magazine américain s’interroge : si l’Iran avait suivi cette voie à une époque où il ne considérait pas Israël comme un ennemi, comment pourrait-il aujourd’hui renoncer à ses aspirations ?
Ainsi, la frappe que Trump voulait être l’annonce de la fin du projet nucléaire iranien pourrait, au contraire de ses espoirs, représenter un pas supplémentaire vers son achèvement, après l’échec des tentatives de Netanyahou de provoquer un long conflit américano-iranien.
La guerre ne s’est pas étendue mais s’est figée à un seuil qui pourrait donner à Téhéran le temps et le prétexte pour avancer. La paix promise par Trump, quelques jours après avoir appelé à évacuer Téhéran, pourrait n’être qu’une pause avant l’explosion.